Ce matin on va essayer de faire un peu moins enivrant que Woo mais tout aussi estival avec The Embassy, groupe indie-pop suédois qui en 2005 a sorti un super album (son deuxième sur quatre) pour un label local alors très branché qui s’appelait Service (où opéraient aussi The Tough Alliance et Studio), avant d’être commercialisé deux ans plus tard en France chez Asphalt Duchess (c’est par ce biais que j’ai découvert Tacking, et d’ailleurs au passage, salut Guillaume, salut Alex).
On sait que les Suédois possèdent, comme les Japonais, une certaine science de l’imitation optimisée et de la combinaison bien dosée, que ce soit en musique, en mode ou en ameublement. Il y a bien sûr tous les hits sortis des studios Cheiron de Denniz Pop et de son disciple Max Martin, on pense aussi forcément à Abba ou dans une moindre mesure à Europe ou Roxette. Et même dans des genres moins mainstream, les Suédois et plus généralement les Scandinaves excellent tout autant dans l’amélioration des répertoires, je pense entre autres aux Danois de Oh No Ono, qui à la fin des années 2000 faisaient du Sparks contemporain vraiment très réussi. Pourquoi ils y arrivent si bien là où les Français, les Espagnols ou les Néerlandais galèrent, je ne saurais pas le dire exactement, même si je crois que l’éducation musicale y est primordiale dans les collèges et lycées, et puis ce sont aussi des pays beaucoup plus anglophones que la moyenne européenne, ce qui doit les rendre plus perméables aux cultures anglaise ou américaine.
Dans le cas de The Embassy, duo de Gothenburg, le modèle est un certain son anglais : d’un côté le New Order post-Ibiza et de l’autre les Stone Roses, et plus généralement un esprit hyper mélodique allié un groove un peu maladroit, bref c’est en gros le célèbre “esprit Manchester” de la fin des eighties. Un esprit dont, on le sait, l’héritage a été aussi “cultifié” qu’exploité, et qu’on a entendu un peu partout dans la pop pour connaisseur depuis les années 90 ; et moi-même qui ne suis pas toujours fan de ce style ai tout de suite identifié les sources de Tacking, c’est un répertoire devenu presque patrimonial mais c’est justement parce qu’il ne fait pas que les citer de loin que ce disque est si réussi. C’est un album court, compact et qui sait exactement ce qu’il fait tout en laissant s’exprimer avec spontanéité l’allant relâché de ses modèles, jusqu’à l’accent du chanteur Fredrik Lindson, au côté plus ou moins maîtrisé des machines de son copain Torbjörn Håkansson, et à certains détails de mix, un peu foireux exprès. Mais ce n’est pas non plus trop parfaitement fidéliste, et d’ailleurs ça aussi, c’est peut être fait exprès ? Je ne sais pas, mais ce dont je peux en revanche vous assurer c’est que Tacking s’écoute d’une traite et qu’à chaque chanson je suis content, je ne zappe jamais, c’est la fête, et ce même si – voire parce que – les compos se ressemblent parfois beaucoup.
J’aime bien me dire que les mecs ont tellement aimé les idées qui ont donné leurs premières chansons qu’ils se sont dit ensuite, allez, pourquoi on les reprendrait pas presque à l’identique trois morceaux plus loin. C’est vrai que pourquoi pas, quand on y pense. Et c’est sans doute ce qui donne ce charme grisant à ce disque qui ne pourrait être que super bien exécuté, qui pourrait se contenter du minimum taxidermiste. Rempli de joie, il enchaîne les haies et reste sur le même terrain, sans chercher la virtuosité ou la démonstration. Et du coup il s’écoute tellement bien, c’est fou, c’est fou qu’il dure autant après toutes ces années. Pourtant, c’est un disque qui puise dans des énergies juvéniles très volatiles, qui à chaque refrain voire à chaque début de chanson semble affirmer un truc poignant et définitif, genre “après ça je me casse, vous m’avez saoulé, je vous préviens”. Mais en fait, non, ça reste quand même là. Comme quoi faire simple, fougueux mais circonscrit, ça augmente l’espérance de vie.
2 commentaires
Excellente chronique de mon disque pop préféré de la décennie précédente. Merci ! Il faudrait aussi parler de leur sens de l’humour (les titres du premier et du dernier morceau), des textes méta « pure imitation also take strenght ». Bref, ce talent d’être second degré au premier degré, l’inverse étant aussi possible et ce sans afféterie. Les loulous Happy Mondays qui passeraient une bonne soirée avec les cœurs fragiles Field Mice parce que. L’album suivant était raté mais le dernier est vraiment chouette, comme une face B catastrophiste de Tacking. On peux aussi rajouter le super nonchalant unique album de The Crêpes (mi Embassy mi Studio).
Toute cette école de Gothenburg a rendu audible la sensation d’un été sans fin aussi doux que mélancolique. Merci TTA, Air France, JJ, The embassy, The radio Dept <3