Les rêveries du chineur de house solitaire

Musique Journal -   Les rêveries du chineur de house solitaire
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Aujourd’hui il va juste être question de quelques tracks de house (et de techno aussi) que j’adore et que nos amis les « neurchis » ont déjà sûrement postés. Que ces jeunes diggers du sillon rhodanien sachent néanmoins une chose : je connaissais ces petites pépitasses bien avant qu’ils ne commencent tout leur bordel – seulement à l’époque personne ne m’écoutait à part les quatre ou cinq sociopathes qui suivaient WRCP. Le monde est mal fait, même si bien sûr il y a des choses plus graves que ça dans la vie (par exemple : l’industrie bovine, les inégalités sociales, la mauvaise foi chez les classes supérieures, les gens dans le train qui se lèvent vingt minutes avant l’arrivée en gare, etc.)

Je crois que la plupart des morceaux dont je parle ci-dessous ont été réédités, ils se trouvent donc facilement en fichiers audio de bonne qualité et pourront être joués dès ce soir dans des environnements de type warehouse. Allez gros bisous la HOUSE NATION !

AARON CARL – « Crucified » (Soul City, 1996)

Deep house vocale intimiste, intense, indécente, par ailleurs un peu lo-fi, avec une structure dramatique presque jam où plateaux et pics se mêlent sensuellement. C’est juste une sorte de boucle désespérée et hypnotique qui tourne à vide, qui sait bien qu’elle ne va rien trouver mais qui persiste à inventer le retour d’un objet (l’être aimé, disons-le) qu’elle n’a jamais possédé. Plus d’infos sur deuiletmélancolie.gaydeephouse.com.

Pour tout qui est interprétation christique (cf le titre), je m’y connais moins donc je vous laisse vous débrouiller, mais visiblement le doux Aaron se sent « crucifié » par cet abandon amoureux dont il a été victime, j’imagine donc qu’il s’imagine sauver les hommes en sacrifiant sa vie sentimentale. Ce qui est vraiment triste dans cette histoire, c’est qu’en 2010 Aaron Carl est mort prématurément, d’un cancer foudroyant, je m’en rappelle c’était horrible, quand il avait appris sa maladie il l’avait annoncé sur Facebook en disant « je vais le défoncer ce putain de cancer » et quinze jours plus tard c’était fini.

Bref, aussi atypique qu’il puisse sonner pour du garage de cette époque, « Crucified » fait pour moi partie des meilleurs morceaux de ce genre longtemps décrié par les mecs un peu rock’n’roll de l’electro. La voix quasiment chuchotée, ce désespoir maniéré, cette impudeur affective (« begging for affection » répété à l’infini), cette rythmique a priori soft mais profondément impitoyable, ces brèves et trompeuses éclaircies au moment des refrains, la partie de basse juste après qui sème le doute et ajoute encore un peu plus à la confusion ambiante… C’est un trésor non pas uplifting mais downlifting.

OCTAVE ONE – « Envision » (430 West, 1996)

Avec le recul, Octave One m’apparaissent parfois comme des mecs relativement surestimés. Leurs superbes textures et leur science du mixage avaient de quoi esbroufer : des tracks de techno deep aussi bien tenus du point de vue technique ne laissaient pas tellement le choix à l’auditeur, qui se retrouvait presque coincé avec tous les éléments réunis pour « le faire kiffer » sans pour autant parvenir au ravissement effectif. Bref, c’est comme ça que je perçois beaucoup de morceaux des frères Burden, même si évidemment quelques-unes de leurs productions sortent nettement du lot, ainsi ce sobre et deep « Envision », avec ses percussions en avant et pourtant lointaines, désincarnées, presque destituées de leur fonction initiale, sans oublier ce fascinant charley, ses magnifiques nappes un peu Badalementiennes et ce beat sourd, sans résonance. Pas de montée, pas de résolution, juste un flux sans durée qui pourrait s’étendre à l’infini. Découvert dans un mix de Garnier sur Nova.

SUNDOWNERS – « Jungle Line » (Entity Records, 1993)

Le revival tribal house/bitchy house, Danny Tenaglia/Junior Vasquez mid-90s, a-t-il bien eu lieu ? Un peu, beaucoup, pas vraiment ? Je ne me rend pas bien compte, si ce n’est qu’un un récent post de Dizonord montrait plein de bonnes sorties du label Tribal Italy mais qui ne sont pas vraiment de la tribal pure, il me semble. Longtemps méprisée, la tribal house a pourtant connu de beaux moments, notamment lorsqu’elle prenait la peine de mêler ses fameux et spectaculaires gimmicks percussifs – qui l’ont fait se confondre avec la latin house, terme un peu flou mais bien pratique et bien présent à une époque – à autre chose, qui soit de préférence plutôt sobre, tant qu’à faire. Dans le cas de ce morceau des Sundowners (deux mecs de Chicago aux noms 100% bonne ambiance : Karr Krash et Mystic Bill), on a affaire à une sorte d’épopée aux déclinaisons subtiles : on passe d’une zone dark vaguement terrifiante à une zone mentale plus abstraite, puis ça devient plus banalement hard house avec une basse « hoover » classique, avant de revenir se finir sur le passage mental, qui ce coup-ci se laisse aller à quelques fantaisies en mode « n’oublions pas la musique », bref : on en a pour son argent.

PLANET SOUL – « Set U Free [Fever mix] » (Strictly Rhythm, 1995)

Un morceau américain (Miami) de 95, mélange de confusion et d’ambition : ça démarre hard house bitchy et honnêtement, ça sonne assez dégueu, mais là, assez vite, hop, surprise :  ralentissement soudain, puis break avec climax surjoué et nettement prématuré (même pas deux minutes que le titre a commencé), et re-surprise : petite montée acid vite rejointe par un beat electro (ou plus précisément un beat bass, puisqu’on est à Miami) super fatal, du coup on a droit à plusieurs minutes de débauche combinant voluptueusement 808 et 303. Sentiments mêlés : la basse impose son discours sans rémission, ses effets ne pourront pas s’annuler, c’est irrémédiable, on doit lui obéir, tandis que la voix appelle en gémissant à l’extase et propose de suivre un mystérieux chemin vertical libérateur (« come into my plateau », « set u free », ou plus littéralement « extasy »).

La dernière partie de ce track déconcertant vaut moins la peine d’être décrite puisqu’elle a le mauvais goût de « partir en trip-hop », puis de carrément revenir au passage bitchy du début. En même temps, il se trouve que Planet Soul s’avère être au départ, si j’ai bien compris, le projet trip-hop de George Dacosta, producteur de hard house latinisante, donc bon, ce n’est pas non plus hyper étonnant. En revanche, ce qui est marrant, c’est qu’il ait décidé d’intégrer cette fenêtre un peu expérimentale au sein de ce «Fever mix » d’un track dont la version originale avait plus ou moins cartonné à l’époque, en Floride et à NYC, en tout cas. D’ailleurs, en écrivant ce post, je me suis fait remarquer que les vocaux féminins sur-utilisés dans la house bitchy des 90s venaient plus ou moins directement du latin freestyle de la précédente décennie (né à NYC mais hyper largement diffusé à Miami, comme chacun sait).

Bref, tout ça pour étayer l’argument de Simon Reynolds selon lequel, dans l’histoire de la dance music, l’impulsion avant-gardiste/expérimentale est plus souvent venue des producteurs peu ou pas conscients de leur démarche que des innovateurs « officiels ».  C’est typiquement en entendant ce genre de morceau que l’on se rend compte à quel point la production de dance music US d’autrefois, artisanale et à l’arrache, produisait de charmants accidents esthétiques, bien souvent sources d’imprévisibilité, de perception troublée et de jouissive illisibilité. Donc voilà je voulais juste dire bravo et merci à Planet Soul (auquel on décerne au passage l’Oscar du nom le plus rien à voir avec la musique).

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