Le label Z Records, à ne pas confondre avec ZE Records (ni avec Z la marque de vêtements pour enfants et sponsor du Tour de France) est la maison montée par Joey Negro, alias Dave Lee, producteur house et énorme digger et compilateur disco/funk auquel on doit entre mille choses géniales les anthologies Destination : Boogie ou Backstreet Brit Funk. Sur Overdose of the Holy Ghost – un titre bien matrixant qui est au départ celui d’une chanson des Clark Sisters, qui ouvre justement le programme –, il fait appel à David Hill, lui aussi un vétéran de la house anglaise, ancien « soul boy » (du moins, je présume), membre du groupe Ballistic Brothers avec entre autres Ashley Beedle et co-fondateur de Nuphonic dont on a déjà parlé ici. Lee ne reste d’ailleurs pas très loin puisqu’un certain nombre de plages sont éditées par ses soins.
Mais passons ces formules de politesse pour nous intéresser directement au contenu de ce double CD, sous-titré The Sound of Gospel Through the Disco and Boogie Eras : il s’agit de 24 morceaux produits à travers les milieux évangéliques afro-américains dans les années 70 et 80, soit de la musique d’église (enfin, de temple, mais on sait qu’aux États-Unis on dit indifféremment church qu’on soit protestant ou catholique) nourrie de soul onctueuse ou psychédélique, de disco orchestrale et de funk synthétique. Le résultat est à la hauteur des promesses : ce sont des tracks la plupart du temps complètement imparables, pouvant faire déraper positivement n’importe quel instant de vos journées ou de vos soirées, mais qui servent au départ un propos dévotionnel tout à fait explicite. Je ne sais pas si ce sont les voix qui sont mixées plus haut que d’habitude pour qu’on les comprenne bien, ou juste que l’auditeur de funk n’est pas habitué à ce que des chanteurs et chanteuses de ces styles entonnent des refrains disant « No Cross No Crown » ou « I Must See My Lord », mais en tout cas l’élément chrétien n’est pas discret du tout – personnellement je suis gnostique donc dans l’idée je ne suis pas du tout d’accord avec ces histoires de Jésus qui nous sauve mais dans ce contexte précis, je les tolère sans aucune difficulté.
Évidemment quand on connaît ne serait-ce qu’un tout petit peu l’histoire de la culture noire aux USA, on sait bien que cet élément gospel n’a absolument rien d’étrange ici : c’est un des plus gros poncifs de la critique musicale de dire que tous les vocalistes noirs ont appris à chanter à l’église, et puis il y a aussi cette ambivalence (intrinsèque au blues, à la soul et à leurs héritiers) entre le profane et le sacré, la chair conçue comme à la fois divine et démoniaque. Ici, on pourrait croire naïvement que cette ambivalence est totalement évacuée puisqu’il n’est bien sûr jamais question de cul ni même de désir « terrestre », sauf qu’entre le groove infernal des morceaux et l’érotisme christique de certains textes, on doit admettre que cette ambivalence est plutôt déplacée, contenue, sublimée. Le premier morceau, le fameux « Overdose of the Holy Ghost » des Clark Sisters, est ainsi un récit de possession physique et de speaking in tongues : « a storm ran down my spine (…) and electrified my neck », où le Holy Ghost finit donc par overdoser et à permettre aux animaux de parler en langues. Je peux vous dire que quand j’étais aux louveteaux protestants, j’ai jamais vu un truc pareil pendant les prières, mais alors même rien qui s’en rapproche un tout petit peu.
Que vous soyez sensibles ou non à la dimension chrétienne, je peux en revanche vous garantir que vous serez comblés par la qualité des sélections de David Hill. Ce que j’aime en particulier, c’est que le son général reste assez sage, pas très edgy, un peu variété par moments mais sans que ça fasse édulcoré. On sent que les producteurs ne comptaient pas vendre leurs vinyles aux DJ des clubs locaux, et que leur marché se limitait aux pratiquants ou aux futurs convertis. Ce serait d’ailleurs intéressant de savoir comment ces disques, dont quelques uns sont devenus très chers aujourd’hui, étaient distribués : dans les églises, les supermarchés, les disquaires, les centres communautaires ? Leur valeur fonctionnelle reste en tout cas leur principal attrait à mes yeux : c’est une musique accessible, qui ne s’embarrasse d’aucun souci de présentation autre que ses arrangements aiguisés. Je me rends compte que ça fait de longues années maintenant que j’écoute des disques afro-américains de cette période qui va en gros de 75 à 85 et que je découvre tout le temps de nouveaux trésors, qui deviennent des petits tubes personnels : c’est de la vraie pop, qui se consomme dans la simplicité et la modestie, mais qui réussit chaque fois son coup. Et dans ce cadre officiellement instrumentalisé, cette idée prend encore plus de sens : on écoute ces chansons parce qu’elles nous font du bien, parce qu’elles n’ont rien d’autre à nous proposer que de la joie, de l’élévation, de nous appeler à nous retrouver pour chanter et danser ensemble.
Je conseille notamment « No Cross No Crown » de Gloster Williams & Master Control avec son intro au dessus de tout et son refrain surpuissant à reprendre en chœur si vous avez un chœur à disposition autour de vous, « Awake O’Zion » de Twinkie Clark qui aurait pu connaître le même destin que « Stand On the Word » des Joubert Singers avec ses timbres enfantins et ses enchevêtrements de voix proprement célestes, ou encore l’extatique « As A Nation » de James Moore, mais franchement il n’y a rien à jeter sur cette anthologie, allez-y sans crainte, et si possible sans la morgue de l’athée imbu de lui-même.
Un commentaire
Une chose me travaille depuis que j’ai lu votre article et je viens d’éclaircir tout ça. La version disponible en streaming est moins fournie que celle en physique. Il manque notamment un de mes titres préférés que je tiens à vous partager : https://youtu.be/M47ZBsslUh8