Au début des années 1990, les Pastels ont créé un réseau social primitif, Friends Of The Pastels, qui mettait en relation épistolaire les fans et amis du groupe. Moyennant trois timbres et des kopecks, l’heureux abonné recevait, quelques semaines plus tard (il fallait alors de la patience), un passeport avec sa photo, un badge (« My Heart’s My Badge »), des newsletters régulières et, donc, trois noms et adresses qu’un algorithme manuel avait choisi pour elle ou lui. Selon les réponses apportées à un QCM sommaire, les Pastels tentaient de faire se rencontrer, parmi leurs admirateurs, les plus proches en matière de goûts musicaux et plus largement culturels. C’était mon premier réseau social et en guise d’ouverture, j’entamais directement des relations de quasi harcèlement de mes trois élus en leur demandant à tous de me retranscrire les paroles de mon groupe préféré, obsédé que j’étais par les textes de Stephen Pastel, qui n’avait pas pour habitude de les dévoiler sur les pochettes intérieures de ses disques : mes trois contacts étant anglais, je me figurais que ça leur serait très facile de satisfaire ma demande. Mais peu importe, dans la mythologie des Pastels, l’amitié est une notion importante, voire primordiale puisque depuis cette époque, elle nourrit les sujets abordés dans leurs chansons, mais surtout la formation qui joue sur scène sous ce nom présentement est un ensemble de proches du membre fondateur unique, Stephen Mc Robbie. Parmi eux, j’ai choisi trois personnes dont je vais vous présenter les side projects. Leur charme souterrain constitue un bel exemple du fameux son de Glasgow des années 1990 et 2000, lignée Pastelism.
C’est Katrina Mitchell qui ouvre le bal avec ses fameux Melody Dog. Avant d’incarner, au début des années 90, le renouveau des Pastels – elle en deviendra la co-compositrice, en même temps que la compagne de Stephen, unique et brillante – elle jouait en duo avec Pat Laureate, une aimable poète amateur, et fondatrice du label Vesuvius (Lung Leg, Yummy Fur, Ganger, Sally Skull…). Sous le nom de Melody Dog, elles enregistrèrent ni plus ni moins que quelques morceaux épars sur des compilations et deux 45 tours : l’un sur le label Seminal Twang (dont il faudra ici ou ailleurs raconter l’histoire minuscule) avec une reprise du « Movin On Up » de Primal Scream, l’autre sur K Records, le célèbre label d’Olympia, dirigé par Calvin Johnson. Sur ce petit bout de plastique, on peut trouver une chanson bancale et sautillante, la fabuleuse ritournelle de « Futuristic Lover », à la fois touchante, fragile et entraînante. Il n’était pas rare d’entendre dans les chansons des instruments-jouets, concept emprunté à l’Impressive Toy Orchestra d’Aggi, sorte de cellule secrète de la première muse des Pastels et amatrice d’arrangements à base de petits instruments (ceux qui savent Pianosaurus, savent). Melody Dog aura l’honneur d’un report de concert par le grand Everett True, journaliste et chroniqueur au Melody Maker – un concert dans une chambre, bien entendu. Il est régulièrement entendu du côté de de Geographic (sous-label de Domino dédié… aux amis des Pastels) que les Melody Dog doivent faire bientôt l’objet d’une anthologie, avec peut-être des inédits ?
Moins important sans doute, mais plus secret encore, je vous présente Jonathan Kilgour. Petit bonhomme extrêmement doué à la guitare, il a joué de façon régulière avec les Pastels sur scène, au moment sans doute où le groupe atteignait ses sommets (tournées de Mobile Safari et d’Illumination) : c’est sans doute sa présence qui aidait à faire le lien entre le son des Pastels des années 80 avec son orientation des années 90. Témoin d’un énorme concert à la Laiterie de Strasbourg (sans doute le plus beau que j’ai vu du groupe), j’ai pu admirer l’orthodoxie amoureuse avec laquelle Jonathan Kilgour interprétait leur répertoire. Noisy et rock’n’roll, il complétait avec génie le trio de base (Stephen-Aggi-Katrina) et se mariait magnifiquement avec les arrangements d’un cinquième membre tout aussi décisif, le discret Tom Crossley – dont il va être question juste après –, sa flûte traversière et autres joyeusetés. Jonathan, de son côté, a lui aussi enregistré trois 45t et maxi sous le nom de Policecat. Pour les connaisseurs d’Hanna Barbera, il s’agit du chat du dessin animé Hong Kong Foufou. Policecat a produit très peu de temps une musique traversée par les obsessions des Pastels : les Swell Maps, Subway Sect, The Fall, avec un côté plutôt enfantin dans l’exécution. Adorable : une petite musique pour badge. Je vous ai choisi « Drown » sorti sur Domino (il faut préciser que le fondateur de Domino, Lawrence Bell faisait partie des Friends Of The Pastels)
International Airport : c’est le nom passe partout (faites une recherche Google pour voir) choisi par Tom Crossley, cité plus haut. Il a décidé de vivre caché (pour vivre heureux) : en plus d’être l’homme de l’ombre des Pastels auquel il a apporté des arrangements soyeux, il a réalisé en parallèle, sur une période allant de 2000 à 2004, deux magnifiques albums sous le nom d’International Airport, sortis chez Geographic. Comme tous les satellites les plus proches du plus influent groupe de Glasgow, International Airport est associé à un son au contours cotonneux, une rythmique basse tension, des voix qui se cachent dans les médiums et des arrangements improbables (cuivres qui glissent, électroniques spectrales). Mais cette association bâtie autour de Tom Crossley a amené cette musique si spéciale dans son expression la plus magique et la plus ultime : les mélodies sont d’une extrême richesse et les textures des chansons aux apparences paresseuses se révèlent d’une incroyable résistance au temps. Plus d’une décennie après leur parution, les deux albums Nothing We Can Control et Reunion Of the Island Goose restent d’une incroyable fraîcheur, et laissent une empreinte indélébile sur un chemin caché, serpentant entre le Glasgow urbain et ses environs champêtres.
PS : Si vous souhaitez en connaître un peu plus sur les Pastels, vous pouvez lire mon histoire d’un de leurs chefs-d’œuvre, Sittin Pretty, parue en août chez mes amis de Section 26.