Il y a des expériences math-rock qui lassent. Le genre s’est au fil du temps construit une esthétique qui se dessine dans ses textures de mixage, dans ses sons de guitare « crunchy » voire « whammy » (du nom d’une pédale d’effet assez prisée), dans ses micro-voix éloignés pour donner une impression de profondeur de la pièce, dans son groove frénétique mais contrôlé. Parmi les disques les plus adeptes de ce langage, on pourrait penser à Animals de This Town Needs Guns, à For Long Tomorrow de Toe ou encore à No drum and bass in the jazz room de Clever Girl. Loin de moi l’idée de dénigrer ces albums, qui présentent chacun dans leur genre de véritables qualités.
Cependant, il y a des expériences math-rock qui percent le confort routinier de la balade jazz que mène le rock dans les contrées du jeu temporel. On peut ainsi penser à deux groupes japonais : Nuito pour un son doux mais chaotique, et Sajjanu pour un son strident et chaotique. Mais c’est assez logique tant l’île a vu évoluer la fine fleur du déluge sonique.
L’expérience du jour nous vient cependant des États-Unis et a pour nom Tera Melos, groupe composé, à l’époque de leur premier album, de Nick Reinhardt à la guitare, Jeff Worms à la guitare aussi, Nathan Latona à la basse et Vince Rogers à la batterie. Plus précisément, ce disque sobrement appelé Untitled, paru en 2005 et réédité en juin 2010, est une oeuvre à part entière dans la discographie du groupe mais aussi dans le genre du rock mathématique. On sait Reinhardt très amateur des pédales d’effets et expériences soniques puisqu’il apparaît très régulièrement sur la chaîne YouTube Pedals and Effects, mais on connaît aussi son amour pour certains groupes japonais, notamment Melt Banana, où officie le magicien Agata.
S’il est important de mentionner tout cela, c’est que l’album est quasi-instrumental et que la guitare y fait son travail de guitare, mais aussi de synthétiseur, de voix, de vague de son, de nappes et d’agent du chaos. Cet album pourrait d’ailleurs être une très bonne démonstration du potentiel de l’instrument, avec les titres « Melody 2 », « Melody 5 » et « Melody 8 » en dévoués représentants des sonorités atteignables avec quelques pédales d’effets.
Mais s’il n’était que question de prouesse guitaristique, j’aurais plutôt chroniqué des albums de Nils Clyne ou Spike d’Ichirou Agata. Car dans Untitled, il y aussi et surtout le travail de Vince Rogers à la batterie et son jeu Aphex Twinesque hardcore. C’est simple, il y en a partout et chaque instant est une merveille de rythmique et de mixage. (Nathan Latona, on ne t’oublie pas avec ta basse. Mais si ton jeu est remarquable, il est malheureusement éclipsé par tes autres camarades).
Ici est livré peut-être un des meilleurs albums de chaos à base de basse/guitares/batterie et l’on se demande concrètement comment il a été possible de composer et de faire advenir cet ensemble cohérent. Car c’est un défi de précision sonore, de mémoire et de moments suspendus. On a été chercher la complexité au profit de la résolution. Tout headbang est évidemment impossible tant tout est coupé et saccadé. Malgré ça, ces moments, où les pêches musicales défilent, où il est impossible de prévoir quoi que ce soit, ces moments s’enchaînent avec des instants de répit de quelques secondes suivi d’une petite envolée de guitare que l’on pourrait chanter. Mais jamais trop longtemps sous peine de trop se souvenir.
Untitled est un album qui diffère du Tera Melos d’aujourd’hui. Il est une affirmation plus dévastatrice que leur première démo (dont on retrouve les mélodies dans Untitled), se détachant du mixage et de la linéarité de la pulsation du math-rock, mais il est aussi d’une radicalité sans concession dans ses partis-pris esthétiques. Le groupe a ensuite repris une direction plus pop, toujours brusque et surprenante, expérimentale mais d’une autre manière.
Vince Rogers a depuis quitté les fûts de Tera Melos pour jouer en solo sous le nom de Blank Reference ainsi qu’en tant que batteur de tournée pour la guitariste Marnie Stern. Il serait ensuite devenu professeur de mathématique selon d’obscures rumeurs. Jeff Worms, lui aussi, a quitté son poste de guitariste pour d’autres projets artistiques, selon sa lettre de départ en 2006. Quoi qu’il en soit, longue vie au chaos.