Starkweather, serial killers du metal hardcore

STARKWEATHER Crossbearer
Harvest, 1992
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Musique Journal -   Starkweather, serial killers du metal hardcore
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Charles Starkweather fut le pendant maléfique de James Dean. Auteur d’un road trip sanglant – 11 victimes au compteur – en 1958 avec Caril Ann Fugate, sa petite amie de 14 ans, il sera exécuté sur la chaise électrique du pénitencier de Lincoln l’année suivante, à l’âge de 20 ans. Être instable et diminué, Starkweather ne supportait pas d’être inférieur et incompris, il fit du constat suivant sa devise : « Dead people are all on the same level ». Évidemment, c’était mal barré. Son mythe inspira le meilleur film de Terrence Malick (Badlands), le meilleur d’Oliver Stone (Natural Born Killers, qui était également son surnom) et la meilleure chanson de Bruce Springsteen. Il était donc logique qu’il inspire aussi le plus torturé des groupes américains des années 90.

Formé à Philadelphie à la fin des années 80, Starkweather annonçait bien avant tout le monde le tournant chaotique et malsain qu’allait prendre la scène hardcore américaine, surtout celle de l’Est des États-Unis. Après une démo en 1990, le groupe sort son premier album en 1992 sur Harvest Records, Crossbearer, un disque à l’effet nocif encore remarquable aujourd’hui. L’album commence par « Tumult » où l’on découvre d’entrée la beauté du chant clair de Rennie Resmini. C’est expéditif, et c’est contrebalancé par sa deuxième personnalité, celle du chanteur qui agonise au micro, d’une voix rauque et sourde. D’ailleurs, les lyrics de ce premier titre ne laissent aucune ambiguïté sur l’état d’esprit du groupe : « I never asked to live my life this way … I never asked to live this life at all ». Bienvenue chez les Léon Bloy du hardcore ! L’album s’appelle « Porteur de croix » et le parolier se demande où est passé sa putain de foi. Le rythme y est lent, on navigue entre un mid-tempo lancinant, des montées inattendues et des breaks lumineux. Le chant schizophrénique est placé n’importe comment, les phrases ne se finissent jamais vraiment, Starkweather ne veut pas nous emmener ailleurs mais nous faire rentrer dedans, et ça marche. Aucun morceau n’est conçu pour faire mosher ou kiffer, mais comme une éternité de glaires à cracher.

Le deuxième titre, « Mean Streets », dure 8 minutes et fait passer Scorsese pour Christophe Honoré avec un récit crasseux digne des pages faits divers du Philadelphia Daily News. Spirituellement, pas de jugement, pas de morale. Musicalement, pas de volonté d’être technique mais simplement de changer la « narration rock ». Le groupe a mélangé des influences très disparates, du prog metal (Fates Warning, Watch Tower) au thrash héroïque (Celtic Frost, Voivod), du hardcore dissonant (Articles of Faith, Die Kreuzen) au goth rock (Killing Joke, New Model Army), pour les réunir sous une même bannière dépressive. À côté de ses lectures de Thomas Ligotti, Flannery O’Connor ou Cormac McCarthy, le chanteur doit beaucoup au mauvais esprit de Michael Gira des Swans, autant qu’aux textes de Amebix (précurseurs du crust) ou de Rites of Spring (précurseurs de l’emo). Jamais de fantasmagorie, on reste ici fermement dans le réel, et le tragique humain. A l’embranchement de toutes ces influences, Starkweather transcende cette mixture sombre en un art à la fois morbide et électrique. « Rest the Soul » ne reposera personne tandis que sur « Lazarus Runs », la batterie sonne le glas et le tempo s’est encore ralenti pour pénétrer dans les eaux troubles du chopped & screwed. 7 minutes abyssales, dont on ne tire aucun argument pour les trouver risibles ou ampoulés, surtout lorsque la phrase boomerang retentit tout du long : « A broken man paints a picture of a broken man (etc) ». Le titre ne pourrait jamais s’arrêter que ça m’irait – ils s’en sortent même par une pirouette acoustique à la fin.

Nous ne sommes qu’à la piste 5 et le climat est déjà si aride, vous ne trouvez pas ? L’oasis est là et s’appelle « Murder in Technicolor ». Rennie rampe toujours, chatouillé par les flammes du suicide, mais il les maîtrise et parvient même à crooner : « This evening’s no different from last night or the nights before / I find myself in a fetal position hands wrapped tight around my throat ». Combien de meurtres évités grâce à la télé ? Il doit y avoir des études là-dessus. Et puis le riff assassin déboule à la deuxième minute de « Shards-Unto Me », un morceau double qui en fait onze, point culminant de la descente aux enfers de Crossbearer. La première version du disque se concluait sur « Picture It Obsidian », chute finale dans le vide tout en roulements de batterie. Sur les 3 titres supplémentaires de la version augmentée sortie en 1994 sur le label Too Damn Hype, passons sur « The Rift » et « Desolate » qui n’apportent pas trop de sang au moulin, et concentrons-nous sur « Above the Rafters », sa guitare très giallo et son break ultra emo qui se transforme en un nouveau morceau. Aucune règle. Mieux produit, il annonce le maxi Into the Wire qui sort en 1995 sur Edison Records. Ce sont ces deux disques, agrémentés de multiples bonus qui ont fait l’objet d’une réédition courageuse du label Translation Loss en 2015. Considérés comme les pères du metalcore aux côtés d’Integrity (leurs homologues de Cleveland), le groupe a toujours rejeté le terme qu’ils rapprochent volontiers d’un « cancer ». Ahah.

Après 1995, Starkweather a disparu pendant dix années, période où ils sont devenues la source d’inspiration de groupes comme Converge, Dillinger Escape Plan (avec qui ils partageront un bassiste, Liam Wilson) ou Mastodon. Des groupes que je n’ai jamais su aimer mais qui ont fait leur chemin bien au-delà des limites du hardcore et du metal, ce qui ne sera pas le cas de Starkweather. Après un retour en 2005 avec l’album Croatoan, suivi de This Sheltering Night chez Deathwish en 2010, le groupe continue d’exister, mais je n’ai jamais réussi à retrouver la magie et l’énergie du désespoir qui se dégageait de leurs premiers titres. Son acte de naissance violait les frontières de la « musique extrême » mais il est toujours resté intimement lié à la scène metalcore qu’il a initiée. Qu’il le veuille ou non, son génie sera toujours lié à ce terme bâtard. C’est ainsi.

Pour aller plus loin dans le hardcore métallique, brutal et torturé des années 90, une playlist ici.

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