Rhythm’n’grime : une brève histoire du grime sentimental

Musique Journal -   Rhythm’n’grime : une brève histoire du grime sentimental
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Que se passe-t-il quand l’hyper réalisme désillusionné du grime rencontre le sentimentalisme tiède du R&B ? Apparu au début des années 2000, le R&G, pour « Rhythm And Grime », est l’un de ces sous-genres qui se développe là où on ne l’attend pas. Un interstice fertile à la croisé de deux monde antinomiques. Le R&G est une mauvaise herbe qui fleurie au bord d’un chemin goudronné. Il est une alternative à la masculinité souvent puérile du grime. Une musique sans illusion, à la fois profonde, enchanteresse et désolée, qui esthétise ses maux au point de les rendre agréables, confortables.

Tout commence en 2002 avec l’arrivée sur le devant de le scène grime d’un jeune collectif du nom de Ruff Sqwad. Le son du Sqwad est différent, l’histoire qu’il raconte aussi. Plutôt que de surjouer comme beaucoup la road reality chère au grime, Dirty Danger, Fuda Guy, Rapid, Tinchy Stryder et les autres (ils sont sept ou huit au total), choisissent de jouer les garçons sensibles. Le masque du gangster tombe pour révéler un être vulnérable. Le grime se décentre de lui même, et à l’egotrip succède une quête de l’autre. Une quête vaine, par définition, et il n’est donc pas question d’amour chez le Ruff Sqwad, mais plutôt de manque d’amour. L’impossibilité d’aimer ou d’être aimé est une fatalité. Elle est la conséquence d’un environnement, d’une condition à laquelle il est difficile d’échapper. L’amour est comme pris en étau, coincé entre le béton et le regard des potes.

En 2005, le collectif sort un morceau intitulé « Together », en collaboration avec Wiley. Sorte de hors-sujet fascinant, le track marque pourtant un tournant dans l’histoire du grime : pour la première fois, le lead est donné à un élément mélodique. La composition n’a rien de bien complexe, c’est une boucle de guitare empruntée à « Message In A Bottle » de The Police, augmentée de quelques snares mal égalisés et d’une poignée de charleys. Et pourtant la magie opère. Wiley se livre, rationnel, flegmatique, un brin blasé. Le texte est une lettre d’adieu à un amour sans nom, présent mais perdu. La prose est simple, un peu adolescente, d’une maladresse touchante. Le grime sentimental vient de naître.

« Not now, but maybe in a few years. When I get past self-destruction. We both know what it is, it’s over ».

Un élément plus que tout autre cristallise l’essence du spleen ruffsqwadien. Des échantillons vocaux de chanteuses aux timbres modifiés marbrent les compositions. Une présence accélérée et fugace évoquant la fuite, celle d’un amour insaisissable, fantomatique. Des voix sous hélium dont l’humanité s’évapore. De cette présence féminine, il ne subsiste en réalité qu’un résidu, telle une mémoire qui peu à peu s’estompe, une image floue qui nous échappe.

En mariant le scepticisme bitumé du grime au romantisme du R&B, le Ruff Sqwad pose donc les fondations esthétiques et narratives du Rhythm & Grime. Dans les années qui suivent, les disciples du collectif se multiplient. Un Grime instrumental d’un genre nouveau est entrain de naître. Parmi eux se trouve un certain Low Deep, producteur énigmatique à l’origine d’une série d’EP gothiques au possible. Sa musique oscille entre l’épique d’une bataille dans une église en feu et le seum existentialiste. Deux de ses titres valent particulièrement le détour.

D’abord « Down like that », une pièce brutaliste anguleuse empreinte de morosité urbaine.

Puis « Jedi », la lumière après l’orage, ce moment où le héros triomphant se met à courir dans l’herbe encore humide.

Dans la même veine, on retrouve Kromestar et son alias Iron Soul. Un side-project relativement dense, fort d’une une dizaine d’EP, dont on retient un morceau en particulier : « Art Of Music », sorti en 2007 sur le label Shut Your Mouth.

Les producteurs de grime sont pour la plupart des personnages de l’ombre. Alors qu’il a produit pour Wiley, Ghetts, Devlin, Skepta, ou encore Roll Deep, quasiment personne n’a entendu parler de Kid D. Comme bon nombre de ses productions, « Set Fire », se suffit à elle-même. Une instrumentale destinée à n’être peut-être qu’une instrumentale. C’est en cela que réside toute la force du R&G, un sous-genre autosuffisant qui ne se préoccupe que peu des MC, et peu à peu trace sa propre route.

Une liste digne de ce nom ne saurait se passer du fameux « Wifey Riddim » de Fluke. Repris il y a quelques années par AJ Tracey, le morceau est aujourd’hui entré au panthéon du grime. Sorti aux alentours de 2007, le track est une balade langoureuse ponctuée de percussions filtrées. Il n’est plus question ici d’ornements vocaux mais d’un chant. Une voix noyée dans l’éther dont le ton se confond avec celui des cordes qui l’accompagnent. Longtemps resté dans l’ombre, jamais officiellement pressé sur vinyle, le morceau vivra une existence paisible sur YouTube et quelques forums spécialisés. La légende voudrait pourtant qu’une énigmatique copie ait fait surface il y a quelques années dans un Oxfam du sud de Londres. Dubplate inestimable ou simple bootleg, peu importe : Discogs s’enflamme.

La définition du R&G est en réalité assez large. En parallèle du courant que nous venons de suivre, aux alentours de 2004/2005 un second sous-genre, lancé par les producteurs Terror Danjah et Davinche, tâchait aussi de combiner l’énergie houleuse du grime à la douceur des voix féminines, des voix cette fois-ci non samplées, et interprétées par de « vraies » chanteuses. Sur des productions parfois plus lentes, de jeunes Anglaises telles que Shola Ama ou Sadie Arma sont invitée à se produire. Trop rêche pour intégrer les tops chats, trop américanisé et lisse pour les radios pirates, ce style avortera rapidement, ne laissant que de rares souvenir inoubliables. On en mentionnera toutefois un. En mai 2006, le légendaire riddim « Ghetto Kyote » du producteur Kamikaze est pour la troisième fois réédité. Katie Pearl est invitée en studio. La chanteuse flirte avec l’instrumentale, sa voix s’étire, mime le mouvement de la production. Sur la surface lisse des sub-bass, son timbre mi-clair glisse, contraste, ne se mélange pas, telle une goutte d’eau qui danse sur une plaque huilée. C’est sans doute dans ce genre de contrastes que réside la quintessence même du R&G. Un musique ou le chaud se mêle au froid non pas pour créer du tiède, mais qui, à la façon des ces vieux robinets mitigeurs défectueux, distillent un flot bigarré, à la fois glacial et brulant.

En 2011, Total Freedom produira l’un des mash-ups les mieux pensés de l’histoire des bricolages Soundcloud. En apposant un accapella du « Promise » de Ciara à l’instru néo-grime du « Real Talk » de Young Dot, le DJ américain compose l’un des meilleurs morceaux de R&B des années 2010. Le beat importé semble pourtant taillé sur mesure pour la voix de l’ex de Future. La quête de l’âme-sœur prend une tournure dramatique et alors que le grondement digital de la basse conclut chaque phrase, le quête passionnelle de la chanteuse se transforme en tension existentielle. Tell me if it’s you, you, you ? What you wanna do, do, do? : sa voix résonne, reste sans réponse, telle un écho lointain à la solitude du Ruff Sqwad et à leur incurable tristesse.

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