Vous le savez sans doute si vous vous tenez un peu au courant des tendances électroniques, mais depuis quelques années un certain nombre de DJ et de producteurs se sont mis à faire baisser les tempos. Ce n’est pas une « tendance lourde », ce serait plutôt une tendance douce – sans effusion de BPM, ni montées épileptiques, ni drops ravageurs – qui cherche à placer la lenteur au coeur des débats.
Une lenteur dans le club que l’on appelle slow-dance, mot qui définirait le plus justement cette idée de danse, de rave ou de transe au ralenti. Slow-dance mais ambiance extatique, bouffées de chaleur sur un dancefloor en slow-motion : c’est ici que réside ce paradoxe qui occupe nos esprits, nos jambes et nos clubs la nuit venue.
D’étrange au premier abord, cette expérience de clubbing historiquement cantonnée au warm up s’étend désormais à toute une soirée, toute une nuit. La vitesse d’un disque n’est plus une fin, ni un moyen de remplir une piste de danse ou même de contenter les danseurs : à travers cette approche, on ne vise plus l’effervescence par la rapidité ou la brutalité d’un track, mais une vibe avant un tube, une ambiance plutôt qu’un hit. Une célébration de la lenteur, un hédonisme lent et curieux, où toute la place est faite à la découverte, au pas de côté vers des contrées moins connues et attendues.
Car dans ces nouvelles conditions, la pression du dancefloor, l’attente du public n’est plus la même ; la construction d’un DJ set n’est plus liée à la quantité de tubes enchaînés en un laps de temps, ni à l’efficacité d’un disque. On prend son temps, au propre comme au figuré, d’emmener les danseurs plus loin, plus lentement.
De nombreux DJ, producteurs et collectifs se tournent donc vers cet éloge de la lenteur. Parmi eux, le collectif Bruits de la Passion : un assemblage hétéroclite d’une quinzaine de DJ et producteurs qui promeuvent une fête libre et curieuse. Hédonistes, leurs soirées régulières très souvent planquées en banlieue et leur rendez-vous annuel champêtre, la Zone Disco Autonome, forment le laboratoire le plus laidback de France. House jouée à – 8, pop bancale, rave ralentie, soft-rock, beaucoup d’obscurités nineties, d’Europe et d’ailleurs : les influences sont nombreuses.
Power duo du collectif, Aymard & Antonin forment Jita Sensation et délivrent en une heure sur ce podcast pour Bayetë, autre collectif parisien, tous les principes de la slow-dance avec grâce et volupté. Une heure de groove doux et décalé, comme si l’on soulevait tout d’un coup la pierre sous laquelle étaient rangées toutes les faces B des années 90.
Après une reprise de Hendrix par le projet Axiom Funk de Bill Laswell (avec Bootsy Collins au micro), le duo fait un détour par un introuvable track aux relents très Madchester avant d’embrayer sur un track trip-hop rebondissant, un breakbeat aérien et un obscur morceau hip-hop brésilien, « Lobo Mau » de Sampa Crew. La suite se fait entre riffs de sitar et de guitare, là encore sur fond trip-hop, un mélange que n’aurait pas renié le Fab Four George Harrison. L’empreinte des late eighties et des nineties est partout.
De ces recoins oubliés de la dance music se dégagent une sensation de fraîcheur vivifiante, salutaire. Quelques uns des morceaux réunis peuvent sonner datés – certains pourront y voir des liens avec l’effroyable générique d’Ushuaïa, l’émission culte de Nicolas Hulot – mais ces réminiscences permettent de mieux regarder notre histoire et culture musicale. Sans révisionnisme, mais avec un regard bienveillant sur des époques et des scènes peut être trop vite honnies.
Surtout, cette ode au ralenti souligne chaque morceau joué avec plus d’intensité encore et met en avant la sélection du duo plus nettement. Comme cet incroyable remix du « After The Rain » de Titiyo par Dakeyne, ralenti pour l’occasion : de la piano house happy et naïve, fraiche, comme on en voudrait en écouter plus souvent, qui lance deux DJ-tools baléaric lorgnants vers l’acid avant un final francophone, « La Relève Du Matin » de Marco Attali, mythe du French boogie. La version club de 91, ralentie à l’extrême par les Jita Sensation, offre un finish sourire aux lèvres, 100% slow-dance.
Jita Sensation & les Bruits de la Passion ne sont pas les seuls à explorer cette face de la club music. Le collectif Maybe Tonight est ainsi composé de quatre garçons qui, de leur propre aveu, « consacrent beaucoup de temps à la recherche de morceaux plus ou moins rares ». Leftield house, proto-disco ou balearic, ils oscillent entre les lignes d’une rave pour tous. Et si le tempo lent leur sert bien souvent, comme chez Jita Sensation, de prétexte à un digging forcené, c’est aussi le meilleur moyen d’apprécier cette bascule des 80s aux 90s, en particulier sur ce podcast pour Phonographe Corp.
Un commentaire
Effet miroir sur pas mal de souvenirs 90’s.
Soul II Soul + System 7 + Stone Roses ?
Art of Noise ? ZTT ? Axiom ?
Café Del Mar ?
Merci Thibaut.