Esperanza Spalding est la nouvelle diva jazz-prog

ESPERANZA SPALDING Emily's D+Evolution
Concord, 2016
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Musique Journal -   Esperanza Spalding est la nouvelle diva jazz-prog
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Il me semble que personne n’a jamais parlé de jazz sur Musique Journal, que ce soit du jazz ancien ou du jazz contemporain. Et ce ne sera pas encore tout à fait le cas aujourd’hui, puisque si Esperanza Spalding est bel et bien considérée comme une musicienne et chanteuse de jazz, elle mélange depuis quelques années son background à d’autres genres. Vous me direz que c’est peut-être le propre du jazz que d’inviter ou d’absorber des esthétiques « exogènes », et en effet, probablement, mais nous en débattrons plus tard si vous le voulez bien. Pour le moment, je vais me pencher sur le cinquième LP sorti par cette Américaine de 35 ans, originaire de Portland, qui a reçu pas mal de Grammys et connaît aux États-Unis un succès commercial assez impressionnant pour le marché du jazz. Elle a notamment joué en 2015 lors d’une soirée à la Maison Blanche, bref elle est comme qui dirait en place. On dirait qu’elle n’a pas tout à fait eu la même résonance en France, même si elle s’est produite à la Cigale et qu’elle a bien dû passer sur FIP à un moment donné.

Mais il n’est en revanche pas certain que les morceaux de Emily’s D+Evolution aient été diffusés sur la célèbre station jazzoclectique de Radio France, puisque ce disque publié en 2016 n’évolue pas dans un registre proprement smooth. Produit par Tony Visconti (qui avait travaillé sur Blackstar de Bowie juste avant), c’est un album qui n’a pas peur de jouer la carte de la sinuosité et de la collision des couleurs. Riffs heavy en HD, assauts funk-rock, intensité soul et précision jazz dans la voix, tout ça mené par une basse (ou une contrebasse) virtuose qui définit des compositions clairement prog. On passe donc par des tas de changements de cadence, des sentiers escarpés et étroits, des rivières pleines de rapides, des bouts de jungle quasi indépétrable. Mais on traverse aussi de lumineuses clairières, des plateaux verdoyants, d’inspirants chemins en pente douce, à flanc de montagne. Et je ne me plaindrai surtout pas qu’Esperanza Spalding assume aussi bien sa principale influence vocale, celle de Joni Mitchell, puisque la Canadienne est l’une des mes artistes préférées (et aussi celle de Prince, avec lequel c’est sans doute mon seul point commun).

Je dois pourtant dire que j’ai d’abord eu du mal avec Emily’s D+Evolution : l’ambitieux mélange d’influences m’a semblé initialement trop chargé, trop démonstratif, et souvent la voix à la fois « pure » et très technique de Spalding ne me paraissait pas à sa place, ou disons trop à distance du reste. Et puis, assez vite, cette élocution aux racines jazz a réussi à se frayer au milieu du magma un chemin cohérent, convaincant, parce que brillant mélodiquement, et ce qui sonnait alambiqué s’est transformé en évidence pop. Dans les passages les plus rock, le son et le jeu des musiciens (parmi lesquels on compte Karriem Riggins, batteur et producteur réputé pour son travail auprès de Dilla et Common) m’a un peu gêné par sa clarté, sa propreté. Mais le feeling global est tellement juste et personnel, les chansons si bien pensées, les détails si idéalement ajustés, que sans s’en rendre compte on se laisse happer. Je me suis au passage fait la remarque que l’approche prog, du moins lorsqu’elle est aussi bien maîtrisée qu’ici, rend l’écoute inépuisable ; on ne se lasse pas de contempler tous ces ornements, de se faire surprendre par les changements de cap, et l’audacieux agrégat de références finit par sonner naturel à nos oreilles. Il y a des moments épiques – sur « Judas » ou « Rest In Pleasure » – mais jamais boursouflés, des acrobaties vocales qu’on apprend à aimer comme des rengaines toutes simples. Je crois qu’à ce niveau-là, on peut vraiment parler de sophistication vertueuse, de complexité altruiste, et comment dire, on sent que la formation et l’expérience musicale de Spalding et ses collaborateurs sont des choses qu’ils veulent transmettre, partager, expliquer, une fois soulevé ce mince rideau d’exigence formelle.

Je devine que ce disque évoquera à certains d’entre vous d’autres projets de fusion savante entre jazz, metal, psyché et prog, des choses que je connais mal à vrai dire, mais peut-être peut-on citer certains trucs sortis de la planète Laswell, ou encore Chrome Hoof, ce groupe qui dans mon souvenir faisait à un moment du P-funk zappaïen et futuriste, mais que je n’ai hélas jamais bien capté. J’allais aussi comparer Esperanza à Janelle Monae à son plus expérimental, mais même si elles ont joué ensemble, en réalité les deux artistes ne font pas tellement la même chose : Janelle est plus rap, pour résumer les choses. Je vous laisse découvrir le reste de la discog de Spalding, dont le dernier album en 2019 donnait moins dans l’épopée et davantage dans l’introspection physique puisque chaque morceau s’intéressait à une partie du corps. Voilà donc pour aujourd’hui, avec ce disque qui pour le coup ne contredira pas la pub YSL puisqu’en effet, il peut laisser à penser que parfois, « c’est si bon d’être jazz ».

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