Il y a trois jours, c’était le dix-neuvième anniversaire de la mort d’Aaliyah. La chanteuse américaine avait 22 ans quand le jet qui la ramenait d’un tournage aux Bahamas s’est écrasé et elle venait de sortir son troisième album, Aaliyah. Son décès tragique a forcément dû contribuer à sa légende mais je suis personnellement convaincu qu’elle était déjà légendaire de son vivant. Par sa précocité, certes (une précocité dont a malheureusement profité R. Kelly à ses débuts pour lui imposer une relation ultra glauque), mais surtout par sa collaboration miraculeuse, à partir de 1995-96, avec Timbaland et Missy Elliott. Les trois artistes (auxquels on peut ajouter un quatrième, moins connu, à savoir Static du groupe Playa) ont ensemble complètement bouleversé l’histoire du R&B, et la voix d’Aaliyah a été l’objet d’un culte un peu partout, notamment dans le UK garage et ses ramifications – c’est elle dont on entend ainsi des éclats dans « CMYK » de James Blake.
Ce qu’il est intéressant de relever au sujet de son succès, c’est que sa voix et son chant n’ont en soi rien de très spectaculaire, et que ses textes ne sortaient pas non plus tellement du lot en termes de thèmes et d’intensité. Sa magie reposait sur un mystère, une grâce indescriptible, on pourrait limite parler d’inconsistance ontologique : elle était quasi absente au micro, imprimant un groove qui sous nos yeux semblait presque se dissoudre, mais dont il demeurait pourtant toujours une forme, une présence fantôme. Impossible en général de distinguer les contours de ses mots ou de suivre sa respiration : ses performances restaient toujours plus ou moins immatérielles. Même dans l’acapella de « Are You That Somebody », alors qu’elle est donc seule, sans rien sur quoi s’appuyer, on l’entend se faufiler voire s’échapper entre les piliers du monde solide et ennuyeux, régi par la gravité. Certains parlent d’elle comme d’un ange, je veux bien comprendre l’image mais je dirais que son timbre vient surtout d’une question de sensibilité, de souffle, de rapport à l’air et à l’espace : elle se sentait à l’aise en chantant comme ça, se trouvait juste, posée dans l’éther terrestre qui était le sien, elle qui dès son enfance à Detroit a vécu en chantant puisque sa mère était elle-même dans le métier.
J’ai choisi pour composer cette playlist plusieurs titres, souvent des hits, issus de chacun de ses trois album, mais aussi sélectionné plusieurs featurings et singles hors-albums, dont certains pour moi font partie de ses meilleures productions : « Are You That Somebody », donc, mais aussi le théâtral « Final Warning » sur le deuxième LP de Ginuwine, le si doux « Best Friends » avec Missy, « One Man Woman » avec Playa où son flow est vraiment la parfaite intégration du rap dans la soul, c’est merveilleux, ou encore « Come Back In One Piece » en duo avec DMX, où son couplet me met toujours à terre vingt ans plus tard. Le track est extrait de la BO de Romeo Must Die dont venait aussi « Try Again », tube que je n’ai pas mis parce que, je vous le dis sans salamalecs, je ne l’ai jamais aimé. J’ai toujours trouvé que c’était un geste cynique de la part de Timbaland de faire un morceau aussi bourrin, aussi autocaricatural, aussi dirigé vers le public hors R&B/rap, avec la basse soi disant acid et cette mélodie qui, selon moi, pesait lourdement sur Aaliyah et la rendait finalement banale.
Voilà pour aujourd’hui, la rentrée de Musique Journal va se faire en douceur et c’est bien dans cette perspective de douceur que j’ai choisi de rendre hommage à Aaliyah, en espérant que vous ne soyez pas déjà tous des gros fans et connoisseurs de son travail. Au passage, si vous ne le savez pas, j’ai produit la semaine dernière une série pour France Culture qui portait sur les liens entre la musique électronique et « la vie » : j’ai notamment écrit tout un épisode sur Drexciya et un autre au sujet des voix modifiées, où j’ai justement passé « CMYK ». Allez donc écouter si ça vous tente, et de mon côté je croise les doigts pour avoir un jour une émission régulière sur cette belle radio nationale (même au fil du temps si je n’y crois plus vraiment).
Un commentaire
Je croise mes doigts également !