Vous êtes sans doute au courant si vous suivez Musique Journal et Audimat mais nous publions en novembre la traduction française de Shock & Awe : Glam Rock and Its Legacy, from the Seventies to the 21st Century, livre de Simon Reynolds sorti en 2016, qui comme son nom l’indique raconte l’histoire du glam rock, et que nous avons simplement titré Le Choc du glam. C’est Hervé Loncan qui s’est coltiné de le traduire et nous sommes très heureux du résultat – c’est étrange à dire mais le bouquin semble encore meilleur en français.
Par où démarrer pour vous convaincre de le précommander ici, ou simplement pour rappeler une nouvelle fois à quel point le travail de Reynolds est pertinent, excitant et unique dans le paysage de la critique musicale ? Je crois qu’il faut déjà souligner qu’il réussit à rendre passionnant un sujet qui a priori peut ne pas forcément captiver les lecteurs et lectrices francophones, à savoir le glam-rock, et la notion même de « glamour », en musique mais aussi plus largement dans l’art et la vie. Style profondément anglais à quelques exceptions près – Alice Cooper, les New York Dolls, Sparks –, le glam-rock n’a pas connu de destin aussi populaire en France qu’en Grande-Bretagne, où Bolan et Slade étaient des phénomènes comparables aux Beatles première période. J’ai l’impression que la majeure partie des mélomanes français.e.s (et je m’y inclus) associent confusément le glam à une période ringarde, à des looks et des coupes qu’on aurait préféré oublier, à des artistes souvent plus soucieux du visuel que du sonore, et à des créations pour le moins clivantes, telles que le Rocky Horror Picture Show. Et certes, tous ces préjugés sont plus ou moins justifiés car ils font bien partie de l’histoire du glam. Mais ce que Reynolds parvient à écrire tout au long des 700 pages, c’est vraiment une histoire, au sens réellement « historien » du terme, de cette période qui part de l’extrême fin des sixties et ne s’essouffle qu’avec l’émergence du punk. Son ouvrage se lit comme un volume d’histoire de l’art, dont les sources seraient principalement des vieux numéros du Melody Maker et du NME et un paquet d’interviews menées auprès des intéressés lorsqu’ils sont encore vivants.
Reynolds poursuit en partie ses recherches entamées avec Rétromania puisque le glam, par des bien des aspects, revendiquait d’un côté (via T. Rex, Slade ou les Dolls) un retour aux sources juvéniles du rock et de la pop après les années de maturité post-psychédélique, et d’un autre (via Roxy Music, Sparks ou évidemment Bowie) se réclamait carrément de la musique populaire d’avant la « pop » et le rock : les cabarets, l’opérette, Vegas et Broadway, le répertoire des tubes showbiz de la première moitié du 20e siècle. C’est donc l’occasion de repenser le langage du rock en exposant ses influences plus ou moins oubliées avec le temps. Et ça permet aussi de se rendre compte que le glam, à la fois visuellement et musicalement, avait pu littéralement « choquer » les esprits en débarquant dans les charts et sur le plateau de Top of the Pops pour balancer cet espèce de rock régressif mais déguisé, basique mais produit avec des outils modernes, et dont il se dégageait un halo magique, simultanément séducteur et perturbant.
Si vous vous intéressez donc à l’histoire du rock (mais moins à sa story) et à la réévaluation de certaines ses phases, Le Choc du glam est pour vous. Mais il s’adresse tout autant aux fans de Bowie (qui sont peut-être plus nombreux) puisque Reynolds lui consacre quatre chapitres (sur ses périodes londonienne, new-yorkaise, californienne et berlinoise) et une longue partie de l’épilogue – il achevait l’écriture du livre lorsque Blackstar est sorti et que David s’est éteint –, ce qui équivaut un peu à écrire, au sein même de son livre, une véritable bio du chanteur. Personnellement je ne connaissais presque rien de la vie de Bowie et j’ai appris des tas de choses, comme la maturation de presque dix ans qui l’a mené au succès, et l’influence majeure exercée sur lui par le fascinant chanteur/comédien Anthony Newley, dont j’ai mis une chanson dans la playlist qui illustre cet article. Quand il écrit sur des icônes ROCK’N’ROLL comme Iggy Pop, Lou Reed et les New York Dolls, Reynolds réussit instantanément à faire oublier la vulgate Philippe Manœuvrienne en rendant ces types totalement captivants. Par ailleurs, il sait extrêmement bien convoquer des références extra-musicales pour nourrir son propos : il cite pas mal de livres peu connus chez nous (enfin, il me semble), comme en vrac L’image publique de Muriel Spark, Mother Camp d’Esther Newton, ou Occult Reich (ekip) de J.H. Brennan, creuse l’univers de Tolkien, du théâtre d’avant-garde ou des pictures palaces anglais (ces salles de cinéma immenses et somptueuses dont vient le nom de Roxy), et dissèque pochettes, paroles et reliefs sonores avec une passion qui donne beaucoup d’espoir et de joie.
Il est aussi beaucoup question du genre, de théorie queer et de mouvements féministes et gays, même si le glam était en soi un courant essentiellement animé par des mâles hétérosexuels – un paradoxe que Reynolds ne manque pas d’examiner, tout comme il s’intéresse aux évolutions de la masculinité britannique à travers des figures aussi diverses que Bowie, Ferry, Bolan, Eno ou Noddy Holder de Slade. Et puis donc, au-delà ou en deçà de tout cela, il fait découvrir des tas d’artistes et de chansons largement ignorés, que j’ai essayé de rassembler dans la playlist que je vous propose aujourd’hui, dans laquelle j’ai mêlé obscurités et choses plus classiques puisque je crois qu’au fond peu de gens en France connaissent vraiment bien la discographie de Slade, The Sweet, Wizzard, Cockney Rebel, Jet, ou du Sensational Alex Harvey Band (à part peut-être « Philman », justement, qui pourrait même éventuellement enchaîner sur les secrets bien gardés du glam français). Je vous laisse donc naviguer dans cette sélection que j’ai faite sans trop réfléchir, et qui grosso modo propose du rock arrogant mais convivial, en général très habilement produit, qui tape très fort et qui n’attend que d’être placé en synchro dans des films juke-box. Bonne journée à toutes et à tous et surtout n’hésitez pas à précommander Le Choc du glam dès maintenant pour le recevoir d’ici aux alentours de la mi-novembre !
2 commentaires
Attendez, mais il fait 700 pages le bouquin ?!
bah ouais on se fout de pas la gueule des gens !