Mais où va donc la scène yacht goth ? [2/2]

Silver Leaf Can We Rebuild Our City?
Emotional Rescue, 1986/2021
Rick Poppa Howard Ceremony
Tevo Howard Recordings, 2020
bar italia Arena
World Music, 2021
Toni True Lies
Harsh Riddims, 2021
The Trash Company I Don’t Mind
Peoples Potential Unlimited, 2012
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Sunset au Café del Mort, pantalons blancs et idées noires, c’est le retour du yacht goth ! La première partie de cet article a paru en août dernier dans une indifférence que j’imaginais plus ou moins générale, mais pas du tout, figurez-vous qu’il paraît que quelqu’un a demandé quand sortirait la suite. Ni une, ni deux, je me suis mis à l’ouvrage. Comme moi, vous méprisez probablement l’abominable conception linéaire du temps qui nous est imposée, et vous me pardonnez donc d’avoir traînassé au lit de ma petite vie avant de vous proposer la seconde partie de cet assortiment de hits qui définissent ce faux genre aux contours nébuleux.

Cela peut paraître poussif de vouloir concilier la musique de gros darkos écorchés vifs qui dansent dans des caves à chauve-souris, et le yacht rock, ce son suréquipé, conçu pour et par des silver foxes sybarites et cocaïnomanes, au regard perdu vers la ligne d’horizon, leurs mains fripées et trop bronzées fermement arrimées au garde-corps chromé du pont de leurs bateaux de luxe. Mais cette rencontre ouvre néanmoins une brèche qui offre la liberté d’assumer des contradictions sans trop avoir de comptes à rendre. Est-ce que nous nous imaginons faire du neuf avec du vieux en réinventant pour la énième fois Eros et Tanathos ? Probablement. Est-ce que c’est grave ? Non. Appelons donc yacht goth ce bon gros gâteau à la crème rococo, comme on en voit dans les films ricains, sur lequel serait déposé, en lieu et place de la traditionnelle cerise, l’« infracassable noyau de nuit » de Breton. C’est suffisamment clair(-obscur) pour tout le monde ? Alors, allons-y, fendons les flots.

Silver Leaf – « Can We Rebuild Our City? » (Emotional Rescue, 1986/2021)

Difficile de rester de marbre devant ce monument du genre, et le troublant à-propos dont il fait preuve aujourd’hui, après plus d’un an de cette crise sanitaire qui a pulvérisé ce qui restait de nos rares convictions. Car c’est vrai après tout, pouvons-nous, oui ou merde, rebâtir notre cité ? L’histoire nous le dira, pour l’heure concentrons-nous sur cette gemme noire, un pied (oui, cette gemme est non seulement noire, mais elle a des pieds, c’est aussi ça, le monde merveilleux du yacht goth) chez Phil Collins, avec langoureux cuivres synthétiques et break de batterie rocambolesque, l’autre pied dans n’importe quel disque sorti sur 4AD avant 1986 (ce « Can We Rebuild Our City » date lui-même de 1986), le tout au service d’un texte simple et beau, au désarroi bouleversant (« Would you have me believe again? Can we find what really matters? Can we rebuild our city? Ruins around us, can we hear music in the streets? »). John Faris, l’homme derrière Silver Leaf, a officié durant toutes les années 1970 aux claviers d’un groupe, Zephyr, que je connais peu, ou disons pas du tout, mais dont il me semble pouvoir dire qu’il était un probable fleuron de la scène rock lourd de Boulder, Colorado, et naviguait dans les mêmes eaux, forcément usées, que la doublette britannique Deep Purple/Led Zep’. Ce qui est sûr, c’est qu’en fondant Silver Leaf, Faris était désireux de passer à autre chose. Je ne vous l’apprends pas, rien ne dure jamais vraiment, donc ça ne durera pas : le groupe n’enregistrera qu’une poignée de 45 tours et puis s’en va. Autoproduit et sorti sur un micro label de Cincinatti (dans l’Ohio), « Can We Rebuild Our City » circulait depuis quelques années déjà sous le manteau, brisant moult cœurs sur son passage, quand les bons Anglais du label Emotional Rescue ont eu la merveilleuse idée de le rééditer en février dernier, accompagné de l’une de ses faces B d’origine (à moins que ce ne soit l’inverse), l’étonnant, charmant et proto-Beckien « Hey! », qui ne coche malheureusement pas toutes les cases pour entrer dans le unbroken circle du yacht goth. Ça marche pas à tous les coups, les gars.

Rick Poppa Howard – « Ceremony » (Tevo Howard Recordings, 2020)

Depuis quelques années déjà le producteur house noir et américain Tevo Howard s’est lancé dans un exercice de désossage d’une certaine pop synthétique européenne de la fin des années 1980, où l’on devine à la fois une donquichottesque lutte contre l’appropriation culturelle, et une déclaration d’amour enflammée. Avec son projet Black Electro Orchestra, il ramène sur la piste d’un moite entrepôt chicagoan des ritournelles de petits blancs qui n’auraient jamais dû la quitter. Depeche Mode, Madonna, Art of Noise, Culture Club, les Pet Shop Boys et surtout New Order, qui a eu droit à plusieurs covers épiques : tous passent au filtre de ses humeurs tendres et revendicatives. Quel rapport avec le yacht goth qui nous occupe aujourd’hui ? Eh bien, disons qu’en ce début d’année, Tevo a sorti sa nouvelle reprise de New Order en cessant de se planquer derrière l’alias du Black Electro Orchestra et en allant travailler un vocal enregistré par feu son père, le bien nommé Rick Poppa Howard (1947-2018), auquel il avait confié le soin de chanter les mots cryptiques et brisés de Ian Curtis (oui, c’est Curtis qui a écrit « Ceremony » même si c’est le premier single officiel de New Order), tandis que derrière lui, Tevo déroule une version fidèle mais craquelée du morceau. D’une chaude voix habitée et légèrement vacillante de chanteur d’hôtel qui termine sa saison sur la Costa Brava, Rick délivre une interprétation crève-cœur de cet intouchable classique post-punk, laissant entrer dans les mailles serrées de « Ceremony » un rayon de soleil, certes crépusculaire, mais un rayon de soleil quand même. Le résultat est authentiquement saisissant, sûrement l’une des meilleures reprises de New Order jamais enregistrées, et lorsque le morceau s’arrête net, nous abandonnant au bord d’un gouffre émotionnel, « watching love grow, forever », il ne nous laisse d’autre option que d’appuyer (ou de cliquer ) à nouveau sur la touche play, encore et encore. Et encore. [P.S : Au rayon cover yacht goth, on n’oublie pas aussi de mentionner celle, un peu groovy, un peu lazy, un peu flippante, du « Mother of Pearl » de Roxy Music par Scribble, formation australienne ayant elle aussi opéré dans les années 1980, tout juste exhumée par le très chouette label Strangelove.]

bar italia – Arena (World Music, 2021)

bar italia, projet opaque qui réunirait au moins Dean Blunt et sa collaboratrice Nina (et dont le nom est probablement emprunté à une chanson de Pulp), a sorti l’an dernier un mini-LP, mystérieux et sexy, Quarrel, dont on n’avait toujours pas fini d’épuiser les charmes quand a déboulé sur Bandcamp, il y a un gros mois, l’album Bedhead. Avec sa « pochette » basse def ornée d’un dessin flingué représentant une espèce de pou et son œuf, il porte sans aucun doute les stigmates de la philosophie « No promo, no surrender » de Blunt et sa clique. À l’intérieur, en lambeaux allant de 50 secondes à 2 minutes (seuls deux tracks de l’album franchissent cette barre), treize chansons absolument sublimes, dont l’une est une somptueuse reprise d’un gros classique de The Cure dont le titre a été changé, empreintes d’une esthétique que l’on pourrait sûrement résumer en trois hashtags – #indie #US #90s –, ce que nous nous garderons bien de faire, puisqu’il s’agit ici de vous fourguer notre propre #yachtgoth. La tentation de glisser tout Bedhead dans notre hotte est grande, mais on s’arrêtera sur « Arena », une minute et 34 secondes coincées en fin d’album, entre l’un des plus beaux morceaux de 2021 (« No Holy Hell ») et la fameuse cover du crew de Robert Smith (je tease à fond là-dessus, vous avez vu ?). Quelques notes de guitare sèche (mais un peu humide aussi), une volée de mots éplorés, et une envolée de cordes cinématographiques comme on ne les ose plus depuis les grandes heures de Craig Armstrong (et de son classique un peu oublié The Space Between Us, sorti en 1998 sur Melankolic, l’éphémère label de Massive Attack, dont le slogan était « Glad to Be Sad »). Protip : gardez la pour le moment où les invités auront quitté la fête et que vous serez seul·e sur le pont de votre super-yacht, parmi les bris de coupes de champagne et les reliefs de mets de luxe, face à votre destin. Sensations fortes garanties.

Toni – True Lies (Harsh Riddims, 2021)

Pas de top yacht goth sérieux sans carte postale de Los Angeles, peut-être la capitale internationale du genre. On adore la façon dont ses musiciens, qui pour la plupart n’ont jamais connu sérieusement ni automne ni hiver rigoureux, traduisent leur mélancolie – une mélancolie autre, peu lisible et pourtant lumineuse, parfois agaçante aussi dans ses postures –, une forme d’affliction aride à laquelle nous autres, pauvres habitants de pays au climat tempéré, n’auront jamais véritablement accès. Que cela ne nous empêche pas d’arpenter ce vaste et passionnant domaine, quitte à rester finalement parfois un peu coincés devant ses grilles. Bref, Toni, alias Antonio Harper, qui a sorti il y a quelques semaines son album The Beauty chez Harsh Riddims, est précisément un zikos de L.A., ça tombe bien. Un ami m’a dit l’autre jour, alors que je partageais avec lui mon enthousiasme au sujet de ce disque, quelque chose comme : « Ah ouais, ça fait un peu Devonté Hynes ». J’avoue que ça m’a un peu fait chier, mais c’est pas totalement faux. Ajouter un peu de Beach House, voire une lichette de Chromatics peut-être, et vous aurez une idée assez précise de The Beauty. Pour notre top, j’en retiens un des temps forts, « True Lies » (là, je viens d’effacer une longue digression sur le film de James Cameron, parce que trop, c’est trop), sa basse irrésistible et ses enchanteresses incantations désenchantées. Harper a le bon goût de décliner obsessions et influences tout au long du disque sans trop s’attarder ni chez les unes ni chez les autres, leur imposant sa patte laidback mais concernée, et finit par créer un album qui s’installe durablement en vous et devrait pas mal resservir dans les mois qui viennent. 

The Trash Company – I Don’t Mind (PPU, 2012)

Le meilleur pour la fin, comme on dit. Avant toute chose, je me dois de préciser que, même si je ne l’ai jamais rencontré et ne le rencontrerai selon toute vraisemblance jamais, je considère Max E. Monroe, le membre unique de The Trash Company, comme un frère. L’espèce d’anthologie que lui a consacré le label Peoples Potential Unlimited en 2012 ne quitte jamais mon chevet : elle s’appelle Earle Hotel Tapes 1979-1993 et rassemble une douzaine de morceaux enregistrés sur une longue période de vie, à l’aide d’un quatre-pistes, seul ou avec son vieux pote, dans la chambre de cet hôtel miteux de Richmond, en Virginie, où il a vécu durant tout ce temps. Peu d’infos sur Monroe sur la toile mondiale : on saura juste qu’il enregistrera un seul single avec le line-up original de The Trash Company avant que le groupe ne splitte et qu’il garde le nom pour lui seul. Un single d’ailleurs stellaire, qui voulait sonner comme Parliament/Funkadelic mais ressemble en fait à du Love tout schlingué et pourtant de très haut vol. Bref, je vous suggère d’écouter ce disque, il est génial. Son seul défaut peut-être est de ne pas contenir « I Don’t Mind », le phénoménal chef-d’œuvre de The Trash Company, sorti également en 2012 sur un maxi du même label. Une feelgood song pour flâner sur les berges de la James River en en ayant mais alors vraiment rien à foutre de rien, où la voix sépulcrale de Max, noyée d’écho, et saupoudrée d’une petite couche de sol de cave – poussière, gravats et merdes de souris recouvrant des arrangements déjà chiches – nous propulsent pour notre plus grande joie triste au firmament du yacht goth. 

La vie, c’est de la merde, et c’est ça qui est bien, comme disait il y a bien longtemps un dessin de Lefred-Thouron (si ma mémoire ne me joue pas de tours) auquel je repense souvent. C’est pourquoi je reviendrai pleurnicher sur votre épaule en écoutant des trucs cool dans pas trop longtemps (en écrivant ça, je réalise que j’ai zappé le fabuleux album Seance de Maxine Funk qui sortira le 10 mai 7 juin sur A Colourful Storm, pensez à moi en écoutant la merveille « Quiet Shore »). Après tout, la tristesse durera, on le sait ; notre summer est endless, on le sait aussi ; alors pourquoi se limiter à un vulgaire Top 10 ? 

Ce n’est pas parce que Miharu Koshi a travaillé avec Haruomi Hosono qu’elle l’a laissé faire sa musique à sa place

Leslie Chanel nous parle de son amour pour Miharu Koshi et de l’agaçante surestimation du rôle de Harry Hosono dans la musique de cette Japonaise synth-pop, qui s’est ensuite tournée vers la chanson de cabaret à la française.  

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Polyvalent, fun et pas bégueule sur la tightness, ce bassiste-explorateur est aussi à l’aise dans les eaux troubles de la funk souple que dans celles de la Tamise entourant un vieux fort abandonné. Leçon d’élégance friponne en deux albums en apparence contrastés.

La pop vaincra toujours l’art contemporain : le jour où le sound artist Paul DeMarinis a fait un tube

Un morceau vocal imparable qui fait revenir aux balbutiements du langage, suivi d’une démonstration de prononciation anglaise sur la chaîne YouTube du dictionnaire Collins : Musique Journal vous propose aujourd’hui un bon petit programme de khâgneux assorti d’un exercice de dissolution de l’ego.

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