Tenniscoats, ce nom qui ne veut rien dire : les manteaux de tennis, c’est n’importe quoi. Une Japonaise et un Japonais qui font de la musique depuis la fin des années 90, de la pop, et même de l’« avant-pop », comme eux-mêmes le disent. Une sorte d’avant-garde d’on ne sait quelle garde, d’on ne sait quel avant.
Leur musique est un univers plein comme un œuf tout enserré dans sa coquille, plein de prodiges en lumières et en eaux. C’est ça, Tenniscoats, un groupe lumineux et aquatique, et plus punk c’est pas possible. C’est tant de poésie qu’on ne peut pas résumer, qu’il est impossible de faire bref, qu’il faut examiner précisément chaque vibration, à la loupe. Alors, on se contentera, avec une délicieuse frustration, d’un morceau, sans doute la chanson la plus connue du groupe : « Baïbaba Bimba », la première de l’album Tan-Tan Therapy sorti en 2007. Si vous avez la chance que ça ne vous soit pas encore arrivé, je vous souhaite que vos oreilles tombent sur ce morceau parce qu’elles tomberont dans un précipice enveloppant de douceur, ou plutôt un précipité de tendresse humaine qui rentre et sort par tous les pores de l’épiderme, qui se tend comme la peau d’un tambour.
Au tout début du morceau, arpèges de guitares et petits souffles haletants, trente secondes et on a déjà l’impression de n’être retenu par rien aux alentours, que le monde s’efface pour une transe immédiate, incroyablement douce, une transe-mutation en fleurs printanières.
Il n’y aura plus de temps ni d’espace définis parce que l’humble duo composé de Saya et Takashi Ueno porte tranquillement, mine de rien, toutes les civilisations et toutes les époques en une mélodie ; et si on peut être tenté d’y retrouver exotiquement un kangen, sorte de musique d’ensemble instrumental profane de la Cour impériale japonaise déjà jouée au IXe siècle, on est aussi au beau milieu de la poésie punk-pop des Television Personalities. Leur « Strangely Beautiful » par exemple pourrait surgir, comme ça, au détour de « Baïbaba Bimba »… « It’s not the end of the world » : non, ça non. Ou alors comme une consolation, par la voix.
La voix percussive de Takashi, sorte de beat-box élémentaire ; la voix de Saya qui prend les devants sans contraindre, et qui porte le même enchantement de femme toujours fille que celle de Katrina Mitchell, des cousins écossais des Pastels. Un son rond et piquant à la fois, qui réconforte et qui réveille.
En japonais donc. Mais pas tant que ça. Apparemment, ce n’est pas le japonais standard, ce serait le japonais de Saya. Par la magie de la chanson, impression impossible de comprendre cette langue qui raconte l’histoire de ce qu’on se raconte en l’écoutant. Ça parle de la vie, fait appel au corps et au « core », le substrat universel (ou presque) de nos vielles et jeunes âmes malmenées. Cette chanson, sa ritournelle, le retour toujours attendu du « baibaba bimba » : ça réconforte, calme les aigreurs. Ou alors, c’est un élan, une envolée, un début d’amour, une découverte. Et on remet et c’est encore… Life affirming !, disent les anglophones. On ne saurait que mal le traduire en français. On pourrait tenter de définir : « Qualifierait une œuvre, un acte, une posture qui confirmerait la vie » ? Vitaliste ? Une musique vitaliste ? La meilleure traduction de life affirming, c’est l’écoute de cette chanson. On remet, et on découvre encore.
Au fil du morceau, se dévoile une structure qui se construit en même temps qu’elle se déconstruit. La structure gagne, la mélodie s’enrichit d’harmonies, de voix, de melodica, de trompette ; ça disparaît, ça revient, ça accélère par touches presque imperceptibles et ça ralentit, comme une marée qui monte et qui descend à la fois ; tout se tient, on reste sur l’embarcation sans dommages, avec une vision étonnamment plus précise du monde, une augmentation des sens, une nouvelle perception, pour un nouveau commencement. Ou une nouvelle fin.
Tenniscoats, c’est donc ça : une sorte de leçon sur les possibles. Des créations musicales singulières, non feintes, franches, inspirantes. Toute leur musique nous prend la main pour une promenade inédite dans le n’importe quoi joyeux qui fait la puissance de nos communes existences, quand celles-ci sont magiques.