Punks mexicains martelant cumbia sur marimbas : bienvenue dans le troisième monde de Son Rompe Pera

Son Rompe Pera Chimborazo
AYA Records, 2023
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Il y a des gens, comme Patrick Bateman, qui n’aiment pas la musique live. Mais il y a aussi des musiques qui n’aiment pas ces gens-là. Des musiques qui ont de l’intérêt presque uniquement en live, voire dans leur environnement urbain. Récemment, quelqu’un demandait sur Facebook quelle était la signature sonore de Paris. J’y ai vécu neuf ans, mais aucune réponse percutante ne m’est venue. 

À Mexico où j’habite et occupe entre autres un poste de correspondant pour Musique Journal, la musique live est partout. Ça joue dans la rue, dans les bars et dans les boîtes de nuit : mariachis, groupes de son jarocho ou norteña, orchestres de reprises de salsa et cumbia, etc. Et si on adopte une perspective plus large sur le son, il faut mentionner les sound systems de cumbia ralentie (la cumbia dite rebajada) et les inimitables vendeurs de CD ambulants qui traînent sur leur dos d’énormes enceintes grâce auxquelles ils font la promotion de leurs compilations de reprises rock en version salsa (voire, de manière inattendue, des compilations de comédies musicales françaises). La faible application de la régulation sur le bruit rend la musique souvent envahissante à Mexico : trop forte dans les restaurants, à la limite de la saturation des baffles dans les marchés de rue, proche du tremblement de terre lors des fêtes de quartier. Mais on ne va pas trop se plaindre non plus, car Mexico s’est convertie en hub de digital nomads pendant la pandémie et la gentrification pourrait avoir raison de ce dépaysement cacophonique.

Dans la galaxie acoustico-urbaine de la mégapole, j’ai toujours eu un faible pour les joueurs de marimbas. Généralement en famille, père-fils, frères ou cousins, ils arpentent la ville avec leur énorme instrument cabossé. Sans même l’équiper de roulettes, ils portent leur attirail et se posent tous les deux ou trois coins de rue, où ils interprètent quelques classiques en espérant récolter un brin de monnaie. C’est aussi une forme d’auto-promotion censée leur permettre de décrocher éventuellement le Graal : jouer dans un mariage ou un événement privé. C’est une économie de la galère que je ne voudrais pas romancer outre mesure, mais elle est la source d’inspiration d’artistes tout aussi uniques que la ville.

Le groupe de marimba dont je vais vous parler aujourd’hui s’appelle Son Rompe Pera et ce sont au départ des punks issus d’une banlieue de Mexico qui s’appelle Naucalpan. Fils d’un joueur de marimba de rue, les frères Gama (Kacho, Mongo, Kilos, Ritchie et Raul) ont eux aussi porté le lourd instrument à travers la ville avant de se tourner vers les guitares électriques. Puis ils ont repris le flambeau de l’instrument à bois de leur papa, mais avec l’idée de le tabasser au rythme de la cumbia. Le succès est arrivé sans qu’ils l’aient trop prévu et aujourd’hui ils jouent parfois loin des rues de leur ville natale. Il n’y a encore pas si longtemps, on pouvait les voir sur le fameux marché de la Lagunilla, une sorte de puces de Saint-Ouen mexicaine, ou encore dans le Parc Mexico du quartier hipster Roma/Condesa où presque tous les Français habitent (dont moi). Mais après une tournée internationale avec d’autres cumbieros, ils sont passés dans les émissions virtuelles de KEXP et Tiny Desk. L’année dernière, ils ont mis en PLS le Womex, ce grand raout des musiques du monde qui avait lieu à Lisbonne. Et voilà qu’ils viennent de sortir l’album Chimborazo qui, s’il ne fait pas justice à leurs prestations live, a le mérite de me donner le prétexte d’écrire cet article.

« Bienvenue dans le troisième monde », m’a dit un jour un ami mexicain qui ne savait pas que nous disons « tiers-monde » et non « troisième monde ». J’ai toujours aimé cette erreur qui dédramatise un peu la précarité mexicaine et la fait entrer dans une sorte de science-fiction. Or, quand j’écoute cet album de Son Rompe Pera, je n’entends que ça, un son-fiction qui provient des entrailles de Mexico où une bande de punks s’est empiffrée de tout ce que l’Amérique latine a produit de variations sur la cumbia, pour ensuite la régurgiter et la faire voyager à travers le monde. D’ailleurs, eux aussi aiment la science-fiction, comme vous pourrez le voir dans le clip de « Chucha », peuplé de vaisseaux spatiaux et d’aliens DIY.

La chanson parle d’enlèvement extra-terrestre et de cauchemars, allégorie consciente ou non de l’épidémie de kidnapping et du système judiciaire ubuesque au Mexique. Ceux qui n’aiment pas voir la politique dans la musique pourront se satisfaire de « El Tamal », une ode, ici accompagnée de la fameuse gaïta colombienne, à ce plat typique des Amériques, généralement enveloppée dans une jolie feuille de bananier ou de maïs. Le reste de l’album brasse différents styles de cumbia, souvent moins énervés que sur « Chucha », mais avec des invités de marque, notamment Chaca du groupe chilien Chico Trujillo ou le rappeur colombien N. Hardem. Bref, un album-éventail qui devrait suffire à vous donner envie d’aller tester le mosh pit au son des marimbas cet été, à Arles ou à Lyon.

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