Attirons-nous les faveurs de l’automne avec Tété

Tété À la faveur de l'automne
L'air de Rien, 2001
Écouter
Spotify
Deezer
Apple Music
YouTube
Musique Journal -   Attirons-nous les faveurs de l’automne avec Tété
Chargement…
S’abonner
S’abonner

« Posté devant la fenêtre je guette les âmes esseulées, à la faveur de l’automne » : voici l’incipit d’un complainte de l’an de grâce 2003, grisante sans être révolutionnaire, ayant transformé mon expérience d’auditeur et consolidé de manière déterminante ma voie/voix de musicien. Une ballade dont la simplicité et le lyrisme effectivement équinoxiale se lovait à la fois dans le lit d’une chanson française désabusée et d’un r’n’b plein d’espoir. Quelque part entre Jean-Louis Murat et Sam Cooke (disons Corneille, plutôt), une étendue inconcevable et pourtant cohérente prend forme : un homme noir à mille lieux des stéréotypes de l’époque, chante avec une passion triste des vers simples mais flous. Un peu comme Devonté Hynes quelques années plus tard avec son premier album sous l’alias Lighspeed Champion, « À la faveur de l’automne », me proposait une autre image de ce que je pouvais être, ressentir, montrer au monde – et ce que dernier pouvait être, aussi.

Ado, c’est la première chanson que je chante, à gorge déployée par-dessus l’originale, presque soudainement et malgré moi, pour une fille, et l’expérience est autant fondatrice que libératrice.

Niang Mahmoud Tété, musicien haut-marnais d’ascendance sénégalo-antillaise, sort au début du XXIe siècle son quatrième album, À la faveur de l’automne, où se loge donc la chanson bien-aimée du même nom. Bien que celui-ci n’ai pas cassé la baraque comme d’autres sorties françaises de cette même année – au hasard : Le Chemin de Kyo, Brut de femme de Diam’s ou la compilation Dis l’heure 2 zouk –, son single inaugural s’est lentement enraciné dans la psyché française, au fil des ans, comme le marqueur mélancolique d’une époque (mais aussi des castings de la Nouvelle Star, merci du rappel sergent Cordier). Les autres albums (postérieurs, il y en a eu cinq, avec un dernier en 2005) de Tété n’ont pas non plus pété les scores, mais le chanteur a quand même continué, à travers ceux-ci, à développer son propre style d’écriture, imprégné par un bayou à la française, fantasmé et magique, mais tirant « un peu » trop sur le bucolique bluesy circa 2000, si on me demande mon avis – vous les visualisez bien là, les Trilby et les Borsalino portés nonchalamment ?

Pour moi, la force de cette chanson tient dans son indéniable clarté, à la concision de son écriture, de ses mots et de ses lignes mélodiques, de sa structure et de sa durée. Son épure est parfaite : en vérité, si je ne peux citer aucune autre œuvre de Tété, je peux chanter celle-ci à l’inflexion près, avec un mimétisme qui me fait parfois un peu flipper.

Les paroles ne demandent et ne permettent pas une exégèse vraiment très avancée : une (ex-)amante qui ne répond plus, ne rappelle pas, qui est absente quoi, mais à qui Tété parle ; il fait un peu frais, la pluie pourrait même être de la partie, Tété est en bad. Mais ce qui est dit importe peu, au final : le torrent éclatant de feuilles mortes qu’est cette voix en forme de gros chagrin exprime tout. C’est un spleen savouré, sublimé et incarné à chaque mélisme plaintif. La ritournelle est simple et cadrée, et les échappées hors-langage sont les plus percutantes pour l’auditeur. Le chanteur envoie la sauce avec audace, et à chaque retour du refrain, ça devient plus évident : on a là une glorification de la mélancolie en elle-même plus que pour ce que sa cause, une mélancolie carrément euphorique et décomplexée.

Sans questionner l’évident talent de composition de l’artiste, il me semble que l’élégance de ce morceau tient aussi pour beaucoup dans la production et les arrangements d’un duo, dont je n’avais aucune idée qu’il avait pu prendre part à ce disque jusqu’à il y a peu (c’est-à-dire avant-hier), et dont la présence devient évidente une fois qu’on le sait. Édith Fambuena et Jean-Louis Piérot, plus connu·es sous le nom des Valentins, ont marqué de leur patte commune la musique française gentiment arty (Étienne Daho, Brigitte Fontaine, Daniel Darc, Jacno), des années 80 aux débuts des années 2000 ; étonnamment, À la faveur de l’automne est la dernière entreprise où iels collaboreront en tant que duo.

La rencontre est miraculeuse, et engrange un véritable classique de pop francophone champêtre, entre Ottawa (le clip me donne clairement le feeling de cette ville que je ne connais pas) et Limeil-Brévannes. Ça aurait pu vraiment mal tourner, tomber dans le saucisson rococo, mais il y a un équilibre qui rend le tout aussi fin que direct : les arpèges simples de guitare (l’ouverture du morceau est quand même une masterclass de conditionnement de l’oreille), les cordes soyeuses à chialer, notamment sur le pont modulé, le cor d’harmonie très discret, la voix doublée faussement contenue et les chœurs virginaux, une myriade de fines modulations harmoniques qui viennent bousculer l’architecture un peu rigide du guitare/voix. Il y a un côté grandiloquent façon corne d’abondance auquel j’adhère à 100 %, je quitte mes habits de corbeau branché sur Scorn et j’embrasse la véritable mélancolie, celles des supermarchés jouant inexorablement ce morceau en boucle depuis 20 ans.

Peu importe le nombre d’écoutes (cumulées ou d’affilées), l’effet de cette chanson est toujours intact sur moi. Je peux me dire que j’en ai eu mon compte, que cette fois c’est bon, que c’est trop facile, qu’on a eu du bon temps, mais qu’il faut laisser filer la rengaine ; mais c’est justement cette facilité apparente qui m’agrippe encore une fois et me bouleverse. On ne va pas encore refaire l’histoire de la simplicité complexe comme caractéristique essentielle de la musique pop, mais il y a de ça, oui. De ça, mais aussi de l’expérience fondatrice, d’être à la fois musiqué et musiquant, pendant presque 4 divines minutes.

Eve, Clarice et Vica, encore plus fortes que les sœurs Halliwell !

En 2020, la sororité la plus classe de l’espace beneluxo-français convoquait le pouvoir des trois pour un album empli de presque-riens qui veulent dire beaucoup : Cloud Walking Brew, œuvre symbiotique et mystérieuse, sorti en 2020 sur le label KRUT.

Musique Journal - Eve, Clarice et Vica, encore plus fortes que les sœurs Halliwell !
Musique Journal - Rien ne peut entraver l’absolue musique de Morricone (pas même ce drame mollasson)

Rien ne peut entraver l’absolue musique de Morricone (pas même ce drame mollasson)

Sans être un fan névrosé du « signore » Morricone, Nicolas Golgoroth nous sort ce matin la BO composée par le maître pour le dernier film de Silvano Agosti, La Ragion Pura. Une œuvre où le compositeur met en branle son légendaire artisanat du thème, plein de réminiscences et de citations hypnagogiques.

En direct du mix de six heures joué par Kode9 pour les 20 ans de Hyperdub

Le mois dernier, Laura Courty est partie à Londres voir Kode9 jouer aux Corsica Studios, pour un mix all-night-long qui fêtait les vingt ans du label qu’il a fondé. Une expérience mémorable dont elle témoigne en mode reportrice embarquée.

Musique Journal - En direct du mix de six heures joué par Kode9 pour les 20 ans de Hyperdub
×
Il vous reste article(s) gratuit(s). Abonnez-vous pour continuer à nous lire et nous soutenir.