5 country songs pour pleurer la fin de l’été

Karen Dalton, Iris Dement, Lee Murdock, James Talley, Kathleen Edwards 5 country songs pour pleurer la fin de l'été
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Musique Journal -   5 country songs pour pleurer la fin de l’été
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Au moment où je finalise ce texte, nous sommes depuis quelques heures entrés en automne et sans doute serons nous en plein dedans lors de sa mise en ligne. Il sera donc bien temps de vous débarrasser de vos traces de maillots et de développer ce petit teint blafard caractéristique de celleux qui passent trop de temps à lire des chroniques de disques sur écran. Je vous propose donc de célébrer l’équinoxe, ce moment où la nuit égale le jour, dans une saine déprime avec une sélection de 5 morceaux country implacables de beauté mélancolique, et de tenter par ce stratagème de définir les contours et enjeux d’une musique finalement assez mal comprise, et donc mal aimée, de par chez nous.

James Talley – Mehan, Oklahoma (1975)

Les country songs fonctionnent toutes autour du même tour de passe-passe émotionnel un peu cheap qui consiste à susciter une bouffée nostalgique autour de lieux et de moments passés. Le vrai truc de prestidigitation dans ce tour, c’est que ces localités et instants fantômatiques renvoient plus souvent au concept hyperbolique du « bon vieux temps » qu’à une expérience identique vécue en lieu et place par l’auditeur·ice. Chacun·e d’entre nous avons en nous ces lieux et ces moments d’enfance qui ne demandent qu’à être revitalisés par pure invocation musicale. Même si on nous parle d’un bal dans les Rocky Mountains de New Mexico ou, comme dans le morceau choisi ici, d’un enfant qui chante des cantiques devant une épicerie de Mehan, Oklahoma, cela marchera toujours, que l’on soit de Charleville-Mézières ou de Bourg-en-Bresse. Et ça, mes ami·es émotif·ves, c’est the oldest trick in the world. Et dans le style, James Talley est un champion du genre Houdini malsain car il ajoute une seconde couche d’illusion. Ce morceau, comme souvent chez Talley, commence de manière classique dans un style honky tonk, forme archaïque de country music déjà considérée comme surannée en 1975. Premier niveau subliminal de nostalgie. Le morceau se développe jusqu’à son milieu et c’est là que le second niveau apparaît, un moment de cassure, un break avec les mêmes accords mais lâchés et ensuite tristement égrenés pendant que l’anecdote se fait plus précise et plus morose. La gorge se serre. Les larmes montent. Bien joué, James. Et enfin, le honky tonk reprend, joyeux, dansant, trivial, pour mieux nous laisser groggy après cet instant furtif, déconnecté du reste du morceau. C’en serait presque cinématographique.

Lee Murdock – Where The Pinary Narrows (1983)

Le picking à deux guitares de ce morceau instrumental est totalement atemporel. Il m’évoque à la fois les choses les plus tragiques, mais aussi les plus belles que j’ai pu vivre. Les proches perdu·es, les naissances, les projets ratés, les projets futurs, les amours qui n’ont pas duré et ceux qui te tiennent encore. Chacun de ces moments ont un temps dans ce morceau. Et c’est d’autant plus poignant qu’il est coincé à l’intérieur d’un album de country et protest songs garanti 100 % blue collar, entre un morceau a capella sur la lâcheté du patron de l’usine où travaille Lee Murdock (« The Boss Is A Bastard ») et un autre sur l’espoir que fait naître le syndicat au sein de cette même usine (magnifique « Smoke In The Air »). Ce private press tiré à quelques exemplaires est un instantané d’une réalité tellement prosaïque qu’elle éclate d’une beauté pittoresque et merveilleuse. Difficile d’écouter un disque plus « vrai » que celui-ci.

Iris Dement – Our Town (1992)

Iris Dement possède cette voix caractéristique des country singers biberonné·es aux jams familiaux sur le porche de la maison, les oncles aux banjos, la maman à la guitare et au chant, et papa au washing board. Iels devaient toustes regarder cette petite fille, émerveillé·es par tant de talent et d’aisance vocale, sans se douter que 20 ans plus tard, elle chanterait elle-même ces moments passés. Dans le fond, la country n’est qu’un empilement de strates temporelles en trompe-l’œil, des poupées russes sous forme de chansons dont le but jamais avoué est de remonter le fil des origines du pays, jusqu’à se taper contre le « mur de planks » étasunien, c’est-à-dire l’héritage des premiers colons européens. Et c’est ce qu’on entend dans la musique d’Iris Dement. Son impeccable vibrato proche du yodel peut être clivant mais il est d’un indéniable pouvoir évocateur. J’y entends les voix des immigrés arrivant en terre promise, fuyant les persécutions pour une autre vie de misère. J’y entends aussi tous les espoirs et l’énergie brute d’une fille de 25 ans qui tend à s’extirper des carcans familiaux, de la religion et de la mentalité des petites villes de province. Deux temporalités intriquées et un mélange de conservatisme et de liberté progressiste, finalement une autre définition valable de ce que pourrait être par essence la country music.

Karen Dalton – Something On Your Mind (1971)

Puisque l’on parle de voix caractéristique et clivante, c’est sans doute le moment d’évoquer Karen Dalton. Sa voix à la fois chaude, cassée et nasillarde peut être un répulsif puissant. J’ai moi même du mal à écouter ses albums dans leurs intégralités justement à cause de cela. Ses inflections peuvent parfois paraître légèrement affectées mais elles ont une fonction qu’il serait absolument criminel de ne pas évoquer. Quand soufflent à travers Iris Dement les chants des colons nord-européens, Karen Dalton évoque, elle, ceux des voix afro-américaines comme Billie Holiday ou Bessie Smith qui faisaient déjà écho à l’autre moitié du background historique de la country music, la musique des esclaves afro-américains, du gospel, du jazz et d’un folk décharné, rudimentaire et rempli d’une émotion brute qu’on appelle aussi blues. Et c’est cet empilement historique qui peut être au détriment de Karen Dalton puisqu’en s’inspirant fortement, jusqu’au mimétisme, des voix des grandes chanteuses afro-américaines, elle reste aussi cette jeune fille blanche d’Oklahoma qui « réussira » artistiquement (au moins à titre posthume) là où d’autres n’ont pas eu cette chance simplement de par leurs origines. Ce reproche a été fait par le passé à Janis Joplin, à Elvis, et l’était encore récemment à Miley Cyrus. Je vous laisse donc juge de la part d’hommage ou de réappropriation culturelle de chacun·es de ces artistes pour revenir à « Something On Your Mind ». Une chose est sûre, ce morceau capte quelque chose de tellement authentique, de tellement beau et juste, que tout ce que j’ai pu dire précédemment n’a aucune importance à son écoute. La basse tonitruante marque un rythme lancinant qui ne nous lâche plus, le pedal steel brode son thème autour de cette charpente rustre entre phrasé typique de la country music et raga au goût du jour. Et vient alors cette voix étranglée, hésitante mais d’une incontestable puissance émotionnelle. À 2:11, si vous ne ressentez rien lorsque sa voix se fait à la fois extrêmement fragile et d’une époustouflante maîtrise, je ne peux plus rien pour vous. Allez, viens Karen, ça va aller, on va boire un verre et on en parle si tu veux…

Kathleen Edwards – In State (2005)

Kathleen Edwards est canadienne, ce qui ne la disqualifie pas du template de la country music américaine, bien au contraire. Elle y apporte un accent assez typique d’Ottawa que j’arrive aujourd’hui à discerner après plus d’une décennie à l’écouter. Ça vous donne une idée de l’obsession qui m’habite. En 2005, quand son deuxième album sort, ce qu’on appelle alors la country alternative est déjà bien installée aux Etats-Unis, Old 97’s est passé par là dans les années 90, Wilco sortira Sky Blue Sky un an plus tard, ce mélange de rock, de pop et de country a donc de beaux jours devant lui. Ce qui caractérise Kathleen Edwards au-delà de la qualité de ses compositions et de son interprétation, c’est le duo qu’elle formera pendant quelques années avec son producteur/guitariste – et mari d’alors – Colin Cripps. La symbiose artistique est à cette période parfaite. Lorsqu’ils harmonisent vocalement dans ces intervalles typiques du genre, la chair de poule n’est jamais loin. Les arrangements de guitare de Cripps sont d’une évidence touchant au génie et le son de sa guitare un des plus beaux de la country moderne. Je vous invite à visionner le live de 2005 au mythique Austin City Limits pour constater l’alchimie que dégageait leur duo à l’époque. Pour autant, leur couple ne survivra pas malgré la qualité de leur association artistique. Dans son dernier album de 2020, Kathleen Edwards retrace cette période en quelques couplets d’une grande honnêteté :

« I was so lucky to be under your wing / But I think I went and outgrew ’em / Now when I find myself looking back / I think of all the cool shit that happened / Like, we had a tour bus with a bed in the back / We bought a rock and roll dream, it was total crap / Well, we toured the world, and we played on TV / We met some of our heroes, it almost killed me / And I, I will always be thankful for it. »

(« J’avais tellement de chance d’être sous ton aile / Mais je pense m’en être détachée et débarassée / Maintenant que je regarde enfin en arrière / Je pense à tout les trucs cools qui nous sont arrivés / Comme : on avait un tour bus avec un lit / On s’était acheté notre rêve rock n’roll et c’était de la merde / On a tourné dans le monde entier / On a joué à la télé / On a rencontré nos héros / Ça m’a presque tuée / Et j’en serai toujours reconnaissante. »)

La country music ancestrale n’a jamais été avare de confession comme celle-ci, mais les aveux de la country classique sont ceux d’un·e pénitent·e, d’un homme ou d’une femme dont la foi est centrale en sa vie. La country alternative en est le parent proche qui se serait débarrassé de la religion, de la culpabilité associée au dogme. Et comme un revers de la médaille, la country alternative peut faire preuve parfois de beaucoup d’impudeur, voire carrément d’une exhibition crasse qui nous pousse en tant que spectateur·rice au voyeurisme contraint. On ne peut pas reprocher ça à Kathleen Edwards. Elle travaille sur cette fine corde mais ne la brise jamais et incorpore souvent un humour à froid, assez visuel, qui dédramatise la déclaration la plus intime. Elle nous donne une version laïque voire agnostique d’une musique dont le cœur à toujours battu en rythme avec le gospel. Dans cette nouvelle incarnation, L’Homme (la Femme en l’occurence) a simplement remplacé Dieu en son centre.

L’anti-world music des chœurs féminins du Golfe [archives journal]

Aujourd’hui, on vous propose de re-découvrir un article succinct et éclairant de l’honorable (et assez discret) Étienne Menu ! Nous y retrouverons quelques femmes et filles de la péninsule Arabique, qui chantent, dansent et jouent des percussions au retour des pêcheurs de perles, aux mariages ou au travail. Chorale, aride et entêtante, leur musique nous pousse d’ailleurs nous aussi à faire travailler notre écoute.

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Musique Journal - La femme et la belle-sœur de Brian Wilson nous prennent par la main pour nous emmener au paradis, puis nous jettent en enfer

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Le duo American Spring a sorti un seul album en 1972, écrit et produit en partie par Brian Wilson, qui offre une version féminine peut-être encore plus poignante du conflit wilsonien de l’extase face aux ténèbres. Et qui reste en tout cas un super disque mineur de pop psychédélique, pour qui aime les allers-retours entre rêverie et cauchemar.

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“Redécouvert” au cours de la décennie écoulée pour ses travaux les plus expérimentaux, le Serbe Mitar Subotić avait, avec son alias Suba, tenté la grande aventure de la musique lounge de la fin des 90s. Mais une lounge très personnelle, mitée par la noirceur et l’urgence de São Paulo, ville d’adoption de Subotić, entre saudade et capitalisme tardif.

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