Je préfère vous le dire tout de suite, le titre que j’ai choisi est une sorte de blague, il n’y a à ma connaissance pas eu de grande époque du prog-rock kabyle, ni même peut-être de prog-rock kabyle tout court, mais que voulez-vous, il faut bien un peu manipuler la vérité de temps en temps. Surtout qu’ici c’est pour une bonne cause puisque le disque dont je vais vous parler est d’une rare beauté, il exhale quelque chose d’amical, de vertueux, de bon. C’est un objet a priori étrange, parce qu’il mélange des registres pas forcément complémentaires en théorie, mais qui se révèle pourtant très facile à écouter, très fluide, ses titres s’enchaînent avec une fougue et une flamboyance qui me rendent vraiment heureux de posséder un système auditif en bon état de marche et d’avoir un minimum de sensibilité musicale.
Mort d’une longue maladie en septembre dernier à l’âge de 71 ans, Djamel Allam était un chanteur très aimé des Kabyles, qui l’adulent à peine moins que son ami Idir. Il il travaillait en France depuis les années 70, où il s’était lié avec Ferré, Lavilliers ou, dans un autre genre, Pierre Desproges. Cette fois-ci, je ne vais pas mentir, surtout si des Kabyles me lisent : je n’avais jamais entendu parler de lui jusqu’à ce que je tombe il y a quelques semaines sur son deuxième album, Les rêves du vent, publié en 1978, orchestré par l’arrangeur Jean Morlier et exécuté par une équipe de musiciens à la fois français et kabyles. Allam y chante dans sa langue, l’amazigh, un choix très osé à l’époque – les radios algériennes ne passaient que des chansons en arabe – qui fit de lui une icône pour son peuple. Les compositions, à couper le souffle, tiennent du prog et du jazz-rock leur caractère capricieux, virtuose, et du funk et de la pop psychédélique leur groove enlevé mais jamais en retrait. Je suis tombé amoureux ces arrangements virevoltants – qui sur deux morceaux laissent la place à des instruments kabyles –, de ces chansons construites comme des cavalcades, de ces mélodies aux élans glorieux et poignants, de cette fusion de tradition kabyle, de références anglo-saxonnes et de facture très française. Il y a aussi la voix haute d’Allam et la façon totalement étrangère qu’à de sonner l’amazigh pour des oreilles non-kabyles : j’ai beau avoir écouté le disque des dizaines de fois, je reste à peu près incapable de pouvoir reprendre ne serait-ce qu’une phrase en entier.
Avec les années 80, le chanteur a pris un virage, disons, un peu plus world et a notamment sorti un album chez Celluloid en 1985. Je ne suis pas forcément contre la world (je suis par exemple un grand fan de Beauty de Sakamoto), et certains morceaux de cette période ont pu beaucoup me plaire, mais je n’y ai pas retrouvé le lyrisme si grisant des Rêves du vent. Le truc intéressant, c’est que L’Escargot, éditeur du disque, mais aussi des premier et troisième albums d’Allam, était un label fondé par le Québécois Gilles Vigneault, qui sortait depuis le début des années 70 pas mal de folk et de chanson contestataire, et où évoluaient un certain nombre de musiciens issus du prog ou du jazz, d’où la présence de certains d’entre eux ici. En fait, ils ont ensemble sorti un disque complètement world dans son principe – on télescope les styles et les instruments de différents pays – mais avec des outils de soixante-huitards rugueux, plutôt qu’avec l’approche technophile et mollement universaliste qui définirait la « vraie » tendance world quelques années plus tard. On ne peut qu’imaginer l’évolution de cette hypothétique world music, si seulement elle avait pu prendre à l’époque.
Un grand merci, hélas posthume, pour ce disque fantastique. RIP Djamel Allam.
NB : la discographie complète du chanteur est disponible sur Spotify et Deezer, référencée sous le titre Integral.