Plutôt vita rustica que vida loca : les néo-zélandais d’Hysterical Love Project ont tranché

Hysterical Love Project Endless Bliss Weekender
auto-production , 2021
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Musique Journal -   Plutôt vita rustica que vida loca : les néo-zélandais d’Hysterical Love Project ont tranché
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Lashes, dernier album en date d’Hysterical Love Project, est sorti en mars dernier sur le label américain Motion Ward. Son écoute m’a remis en tête le premier opus du duo sorti deux ans auparavant, au cœur du couvre-feu pandémique, Endless Bliss Weekender. J’avais d’abord abordé cette œuvre avec un goût mêlé de curiosité : d’abord parce qu’il faisait écho au flottement général que connaissaient les travailleur·euse·s non-essentiel·le·s à ce moment-là (on ne bosse plus et on s’extasie devant trois plantes qui bourgeonnent), mais aussi parce qu’à travers lui, je jetais un premier coup d’œil intéressé sur le trip-hop, genre que je jugeais jusqu’alors ringardissime – je suis né à la fin des années 1990, et comme je voyais Massive Attack, que je méjugeais également, trôner en haut des line-up des festivals pendant toute mon adolescence, j’étais persuadé que le genre dans son entier était naze.

La vita rustica, ce sont les charmes de la campagne chantés par les urbain·e·s : accord avec la nature, nappes à carreaux, vie au rythme des saisons, abondance et simplicité, et cætera, et cætera. Ce qui m’a intéressé particulièrement dans le cadre de mes recherches (j’ai péniblement rédigé un mémoire sur la dimension temporelle du fantasme néo-rural), c’est l’aspect temporel de cette chimère, l’idée qu’on pourrait partir à la campagne pour ralentir, se reconnecter avec la nature et vivre en harmonie avec les plantes et les animaux en se calant sur leur cycle. On appelle aussi ça le « ruralisme », et c’est vieux comme le monde européen ; ça remonte à la fondation de Rome pour Augustin Berque, et ça affleure régulièrement depuis, par exemple dans la poésie de Virgile ou dans les discours de Pétain. Plus récemment, on y a été exposé·e à forte dose avec le cottagecore ou les journaux de confinements : un départ, de grands espaces, le travail de la terre sur son lopin perso, des promenades avec un border collie, une césure radicale d’avec la frénésie et la pollution des villes et un renouement avec la nature. Bref, le « cool » de la campagne sonnant comme une évidence.

Après quelques mois de bricolage ethnographique, il m’a fallu donner forme à mes réflexions et rédiger quelque chose. J’écoutais alors beaucoup de musique et, en retombant sur Endless Bliss Weekender, une affinité assez nette m’est apparue entre les deux. Le titre est déjà sans équivoque : un (court) séjour d’une infinie béatitude, ça respire (pue ?) le pastoralisme. De jeunes urbain·e·s en villégiature, une naïve sensualité et un accord heureux avec les éléments dont Paul et Virginie, de Bernardin de Saint-Pierre, constitue un modèle du genre – loin de la métropole corrompue, réfugié·e·s sur l’île Bourbon, deux jeunes âmes s’épanouissent tendrement et « connaissent les heures du jour à l’ombre des arbres ». Une partition donc rejouée quelques siècles plus tard, quelque part en Nouvelle-Zélande par Brooklyn Mellar et Ike Zwanikken, les deux membres d’HLP.

D’elle et de lui, on ne sait pas grand chose, sinon qu’iels vivent en Nouvelle-Zélande, que Brooklyn finissait un master il n’y a pas si longtemps, qu’Ike produit des choses allant de l’ambient à l’IDM et qu’il masterise des chouettes choses pour 3 XL ou INDEX:Records. On trouve quelques mixes épars du duo, pour Theory Therapy, pour Braden Wells, ou pour knekelhuis – avec, fait notable, un titre d’Alain Souchon dessus (!) ; Ike m’a dit avoir entendu ce dernier sur NTS, et une recherche rapide sur « tracks played » m’a appris qu’outre mon collègue PAM (bien évidemment), Bill Spencer ou dj python (! bis) avaient aussi succombé au chanteur français. Hysterical Love Project a d’ailleurs été un temps le demi-secret de la scène réunissant entre autre Braden Wells, 3 X L, Ian Kim Judd, Mike Midnight ou encore Sleek Fata (pour l’appendice français), un pont entre les tracks de guitare dépouillés, le discret revival trip-hop, l’IDM rêveur ou l’illbient éthéré. Sur soundcloud, je guettais donc comme d’autres « HLP – unreleased » glissés dans les sets ; chacun y allait de son « blissful », « lush » ou « drifting » en commentaire, et l’attente de Lashes était sensible.

Sur Endless Bliss Weekender, la musique ne dément pas le pastoralisme du titre. Dès l’ouverture (« Love-in-a-mist »), c’est le départ pour un ailleurs : une portière claque, des clefs de contact lancent impatiemment l’aventure. Tempo lent, voix lascive, gazouillis d’oiseaux, nappes heureuses, notes cristallines : à la croisée du shoegaze, de l’ambient et du trip-hop, on s’imagine sans mal dans une clairière avec des rayons de soleil chaleureux sans être brûlants, une herbe fraîche et un être aimé à nos côtés. Le visuel du projet – une vision déformée de fleurs – ou encore le clip sorti à l’époque pour le diptyque « Lifelong / Backseat of forever » participent de cet univers sémantique de l’échappée douce et onirique. Dans ce dernier, Brooklyn, plus hologramme qu’humaine, chante au milieu d’une jungle en sur-brillance (un mélange de miserere de NINA en plus luxuriant et des clips d’Erika de Casier) avant de danser comme étourdie, flotter presque, dans ce qu’on imagine être le vent tiède de la nuit néo-zélandaise.

Les morceaux se suivent à peu près et se ressemblent : guitare et voix traînante, rythme alourdi, appels répétés depuis un eden diffus. Puis « Glass (I Want More) » déboule, et les fissures apparaissent ; l’instru se coupe subitement sans raison apparente, comme si les oiseaux prenaient conscience, erratiquement, de leur idéalisme. Le malaise se précise sur « Saccharine Giiirls » (mon morceau préféré) où Brooklyn semble plongée dans une torpeur confinant au marasme. Enfin, sur « Psychic Nausea », le problème ne peut plus être nié : il y a toujours ces gazouillis, mais c’est franchement chiant ; même Brooklyn « cannot savour this moment ». On se rend compte qu’il y a toujours les mêmes éléments (bourgeons, oiseaux, rayons) mais que l’ennui est là, bien présent.

Il y a du bon à la campagne, mais aussi du moins bon, voire du pénible. C’est d’une trivialité agaçante ou d’un amusement de vieux·ieille sage pour celles et ceux qui en font l’expérience durable, et c’est là toute l’ambivalence de cette vie « en prise avec la nature ». Oui, on peut chercher à se soustraire aux rythmes soutenus et insoutenables de la ville, à sa temporalité en accélération continue, mais la naturalité des rythmes n’équivaut pas à leur lenteur. La transplantation d’un milieu dans un autre ne fait pas, par magie et systématiquement, le bonheur de notre espèce : on s’arrache à une dépendance certes, mais c’est pour aussitôt en nouer de nouvelles, et comme nous l’indique Madeleine Sallustio, autrice d’une étude sur le sujet, on se coule rarement sans frictions dans un nouveau milieu temporel.

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