Tropique du concert (1/4) : De grandes espérances

SNFU, The Offspring, Echobelly, NOFX, Against Me ! Tropiques du concert, de grandes espérances
1994-2003
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Musique Journal -   Tropique du concert (1/4) : De grandes espérances
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Lorsqu’au printemps 1996, mon pote Mouz me propose de prendre le train en fraude pour aller voir un concert à Albi, alors capitale française du punk à roulettes, je le regarde avec de grands yeux. « Mais ouais, rien de plus facile, une fois là-bas on a qu’à taxer des thunes devant la salle ou, encore mieux, demander aux groupes de nous mettre sur la liste… »

J’ai 15 ans, je ronge mon frein dans une classe de troisième en banlieue lyonnaise, à la maison c’est pas la joie, et les concerts sont pour moi une sorte de Saint-Graal. J’en ai alors quelques-uns à mon actif qui, hormis les groupes de lycéens dans des bars, se comptent sur les doigts d’une main. Le premier, à Québec en juin 1994, a tout d’une initiation : après un interminable trajet de bus, je traverse le quartier Saint-Roch, à l’époque fort lugubre, pour assister au show survolté des Canadiens SNFU, dont le punk-hardcore mélodique semble directement transcrire mon angoisse adolescente et le désordre hormonal déclenché par la présence d’une fille plus âgée de mon bahut qui, ô miracle, m’adresse la parole devant la salle. De retour en France cet été-là, je gagne un concours dans Hard’n Heavy pour aller voir Offspring à Londres. Comme je n’ai que 14 ans, je dois obtenir in extremis une autorisation de sortie de territoire pour mineur. Le groupe m’a sous sa responsabilité durant 24 heures et doit me traîner à bord de son tour bus aux séances photos à Rough Trade et autres engagements promotionnels. Il joue au Garage, un club de 500 places, où je fais la connaissance d’un groupe de jeunes Anglais avec qui j’échangerai plus tard des mixtapes par la poste, et d’un journaliste de Rock’n Folk (Cyril Deluermoz, RIP), qui m’offre des shots de whisky. Le même automne, je vais voir Oasis au Transbordeur, à Lyon, découvrant au passage ce dont le punk rock m’avait jusque-là épargné : des groupes qui méprisent leur public. Par chance, la pétillante brit-pop d’Echobelly, en première partie, m’a mis d’excellente humeur, et je n’arrive pas à prendre trop au sérieux les simagrées des lads de Manchester. Je fréquente un bahut de banlieue où cette musique n’a guère droit de cité, à une exception notable : un des pions, habitué des concerts lyonnais organisés à cette époque par l’asso Silly Hornets, finit par m’emmener en voiture à Valence pour voir NOFX durant l’hiver 1995.

Voilà qui résume mon expérience de la musique live à ce moment-là. Et si chacun de ces concerts a été une aventure en soi, je suis encore assez candide pour dévisager Mouz comme s’il venait de m’annoncer que Liam Gallagher avait rejoint Green Day.

Il se trouve qu’il a raison. Enfin, si on veut. On peut prendre le train sans payer, du moins pas tout de suite. C’est la première d’une série de virées dictées par l’excitation de voir certains groupes, dont le passage en France justifie alors à peu près tout : se faire éjecter d’un train en rase campagne un dimanche soir, passer un sale quart d’heure entre les mains de la police ferroviaire, dormir à même le sol des gares, abonner mon père au Trésor public, puis, solution finalement la plus commode, fuguer et, à quelques mois de mes 16 ans, quitter l’école.

À un concert à Valence en 1997, on rencontre Nabil, qui nous ramène à Lyon en voiture. Naît alors une amitié qui donnera naissance à une émission de radio puis, l’année suivante, à la création d’une asso et à l’organisation d’un premier concert. Les gens du Pez Ner nous ouvrent les portes de leur salle pourtant dédiée à des musiques plus exigeantes que le punk rock mélodique ; ceux de l’asso Time to Burn nous donnent des conseils qui contribueront beaucoup au succès de cette première tentative et, de fait, à la suite de mon existence… La recherche de salles est une lutte de chaque instant, et on doit se contenter de ce qu’on trouve, des bars mafieux aux MJC. Je ne fais pas d’études, travaille encore moins et passe l’essentiel de mon temps à copier les CD de mes potes sur cassette, à faire de la radio et mes premiers fanzines, avec toujours les concerts en point de mire. 

En organiser devient une sorte d’école de la vie. Je ne parle pas de savoir tenir une compta ou préparer un catering pour 25 personnes, même si ça en fait partie (aujourd’hui encore, c’est plus fort que moi, je cuisine toujours en trop grande quantité). C’est plutôt la découverte du collectif, du compromis, du rapport de forces et de l’humilité, bref, des relations humaines. La façon dont vous réagissez, vers 20 ans, lorsqu’un patron de bar fraîchement sorti de taule vous fait gentiment chanter, qu’un type arrache l’oreille d’un autre avec les dents lors d’une baston dans un squat ou que des gamins de la cité voisine essaient de vous tirer la caisse à un concert dans une MJC vous renseigne sur votre caractère. L’autre jour, en voyant un documentaire réalisé par une connaissance sur « les adolescentes à l’ère numérique », j’ai d’abord songé que ces pauvres ados découvraient la vie sur TikTok alors que vers le même âge, je partais en stop au Danemark ou en République tchèque pour assister à des festivals de punk avec à la clé, le genre de bonnes et moins bonnes histoires qui vous donnent du plomb dans l’aile. D’un autre côté, si j’y réfléchis, mon rapport aux concerts a longtemps été fait de la même attente anxieuse et rarement comblée que celles de ces jeunes face aux réseaux sociaux…

Mes souvenirs du début des années 2000 se résument à un brouillard de concerts dans différents pays et sur deux continents, d’innombrables virées aux quatre coins de la France pour voir le moindre groupe en tournée, à des trajets de 25 heures en Greyhound entre le Québec et les États-Unis pour assister à des festivals d’indie-rock dans d’insipides villes du Midwest, en passant par des fouilles intégrales à la frontière suisse. Je me mets à caler les dates françaises des tournées de groupes étrangers. Si organiser des concerts est une façon de bâtir un semblant de monde parallèle dans notre ville, c’est souvent le seul moyen de voir les groupes que j’ai envie de voir. J’en accompagne certains sur la route et en 2003, sur la seule foi d’un concert d’Against Me! (chanter en chœur a le chic pour vous faire prendre des décisions hâtives), je décide de déménager à Bordeaux. Je m’y coule dans mon milieu naturel, celui des concerts punks ou « do-it-yourself » qui ont lieu à l’Athénée libertaire ou au Local universel. Je passe en cours du soir le bac que d’autres avaient décroché des années plus tôt pendant que je fraudais les trains et collais des affiches dans la rue. Je redébarque à Lyon avec la tournée suivante d’Against Me!, moins de deux ans plus tard. La boucle est bouclée, comme on dit, mais surtout, les concerts semblent littéralement dicter le cours de ma vie… [À suivre]

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