Tropique du concert (3/4) : Underworld Canada

Sheer Mag, Phew, Afrirampo, Sleep, EXEK Tropique du concert (3)
2017-2022
Écouter
YouTube
Musique Journal -   Tropique du concert (3/4) : Underworld Canada
Chargement…
S’abonner
S’abonner

Lorsque je m’installe à Montréal en 2017, les concerts me paraissent de nouveau excitants. Je tiens une liste de tous les groupes vus depuis mon arrivée au Québec, et les premières années, celle-ci donne le vertige. Au début, une amie me propose de l’aider à faire les entrées à un concert de Sheer Mag. Je constate d’emblée que les pratiques diffèrent : les gens qui ont « réservé en ligne » – la chose peut paraître bien anecdotique aujourd’hui, mais je n’avais jamais acheté une place de concert sur Internet, et encore moins pour un concert de punk, avant d’arriver à Montréal – doivent présenter leur pièce d’identité à la porte… je m’occuperai plutôt de tracer des croix au marqueur sur leur poignet. On me parlera de « choc culturel », mais lorsqu’on a soi-même organisé des concerts pendant près de vingt ans, on a sa propre manière de faire les choses. J’assiste donc aux concerts en simple « spectateur ». J’observe aussi que le public montréalais, par ailleurs fort chaleureux, est très anonyme. Ce n’est pas juste parce que je ne connais pas grand monde : il y a beaucoup de gens seuls aux concerts. La faute sans doute à la taille de la ville et de sa population, au fait que beaucoup de petits milieux s’y croisent sans toujours se mélanger. Certains lieux DIY de longue date plus propices à la création d’espaces de vie éphémères, comme la Loudhouse, vivent alors leurs dernières heures.

La même année, je me rends à Toronto pour le festival Not Dead Yet. Les meilleurs festivals de punk-hardcore des années 2010 avaient lieu dans des métropoles (Londres, Toronto ou New York) où l’espace – longtemps une condition à l’émergence des scènes underground – est soumis à une implacable logique de rentabilité. Contrairement à une époque antérieure, il ne s’y passe pas grand-chose qui dépasse le strict cadre musical. J’y verrai de bons groupes (Lebenden Toten…), mais je me rappelle surtout que nous avions loué le sous-sol d’une maison occupée par un couple qui, lorsque le fameux cadenas à code de l’entrée s’est grippé, nous a parlé au téléphone depuis l’intérieur de la maison au lieu de sortir… Voilà donc où nous en étions, une décennie après les émeutes d’Ungdomshuset : aux prises, entre deux groupes de punk radical, avec le genre de savoureuses interactions générées par les plateformes. Je ne dis pas que tout devrait se passer comme au K-Town Fest à Copenhague en 2003, où chacun lavait son assiette et où 250 punks dormaient à même le sol d’un grand gymnase ; où, pourvu que vous ayez réussi à vous endormir malgré le grind core diffusé par des Polonais insomniaques, un type en pleine rêverie éthylique couché sur une table à côté de vous risquait de vous dégringoler dessus (histoire vécue par mon pote Xa, pour ma plus grande hilarité). Mais les squats européens auront bien montré que cette façon – même temporaire – d’accaparer l’espace donnait une tout autre dimension aux musiques radicales. Pour info, le K-Town Fest a toujours lieu chaque année dans le nouveau Ungdomshuset, mais j’ignore quelles sont les dispositions en matière de couchage…

J’étais pourtant le premier à regretter, à la grande époque des squats lyonnais et de GZ, que l’intérêt pour la musique se perde parfois dans le tumulte de la fête. Les festivals de musique expérimentale « sérieux » comme celui de Victoriaville (Québec), où je verrai les Japonaises Phew et Afrirampo en 2018, ont aussi du bon. L’organisateur vient présenter les musiciens avant chaque set (une pratique également en vigueur à la Cave 12 de Genève, dans mon souvenir), puis tout le monde écoute poliment des artistes de free jazz ou de musique improvisée leur défoncer les oreilles. Mais comme on le verra, ces égards pour les artistes peuvent prendre le pas sur la convivialité la plus élémentaire…

Peu importe, en définitive, car la lassitude me rattrape. Il m’est devenu pénible de regarder deux, voire trois groupes de première partie, espérant tout le long que le groupe pour lequel je suis venu jouera avant le dernier métro. Non seulement je n’ai pas grand monde avec qui discuter, mais j’ai arrêté de boire (ce qui reste le meilleur moyen de patienter). Le temps que je passe devant ces groupes commence à s’apparenter à autant d’instants volés, une punition pour avoir cédé à ma crainte de rater quelque chose. Avec un ami, on se met à annoncer, à moitié pour plaisanter, qu’on « arrête les concerts ».

En sortant exalté d’un concert de Sleep à l’automne 2019, je décrète que « si après ça je ne vois plus jamais de concert, je crois que ça m’ira ». Le ciel m’entendra en me privant de concerts durant deux ans. Pendant le premier confinement, je suis le compte Twitter de Greg, l’organisateur de Not Dead Yet, qui s’interroge sur l’avenir de la musique underground, en particulier la musique live, après la pandémie. Comme c’est à peu près la seule personne que je vois lancer une discussion sur les pratiques liées à la musique (et non juste déplorer la perte de leur gagne-pain), je décide de l’interviewer pour le fanzine lyonnais Psycho Disco. Une de mes questions s’inspire d’un article du Guardian lu au moment où je prépare l’interview. Il est justement question des « concerts du futur », décrits comme une expérience hygiéniste et sécuritaire rappelant celle d’un aéroport. (Après tout, il m’avait bien fallu franchir un détecteur de métal pour voir EXEK dans un club de Los Angeles en 2018…) Dans sa réponse, Greg ne peut bien sûr que spéculer. Ses appels à échanger sur le sujet via les plateformes resteront lettre morte. En 2022, je retourne aux concerts avec un mélange d’appréhension et, malgré tout, d’enthousiasme.

Rincée mais téméraire : plaidoyer pour la musique de danse qui craint mais ne craint rien ni personne

De quel amour aime-t-on les morceaux composant la charpente de notre mauvais goût musical ? Cette question, à première vue oxymorique et alambiquée, nous donne ce matin l’occasion de plonger dans les méandres de la dance qui craint du boudin, la vraie, pour en ressortir grandi, peut-être, et ainsi interroger nos taxinomies.

Musique Journal - Rincée mais téméraire : plaidoyer pour la musique de danse qui craint mais ne craint rien ni personne
Musique Journal - Ce son si ardent d’une guitare indie début années 10 qui ressurgit d’un disque dur

Ce son si ardent d’une guitare indie début années 10 qui ressurgit d’un disque dur

Aurait-on déjà oublié le second âge d’or de l’indie-rock aux cheveux longs, celui qui survint il y a une dizaine d’années ? Loïc Ponceau l’a en tout cas vu rejaillir dans toute sa fougue alors qu’il exhumait de vieux disques durs, sous la forme du premier album des Londoniens de Yuck.

La danse la plus triste du monde [vol.1]

En 1983, les Anglais de Furniture ont enregistré un classique instantané mais presque personne ne s’en est rendu compte.

Musique Journal - La danse la plus triste du monde [vol.1]
×
Il vous reste article(s) gratuit(s). Abonnez-vous pour continuer à nous lire et nous soutenir.