Ça y est : après une longue abstinence, je creuse à nouveau YouTube comme un maboule – pas forcément une dynamique super saine, mais qu’on se rassure, je préserve le mental ! Par contre, pour pimenter un peu le truc et ne pas retomber passivement dans le même trou sans fond, j’ai décidé de passer en niveau expert et sans les codes : je surfe ainsi sans être connecté à un compte gmail, avec en sus interdiction de taper dans la barre de recherche après que la première vidéo soit enclenchée ; je ne dois donc choisir qu’entre celles « recommandées ». Et attention, pas de retour en arrière non plus. Rien. Jamais. Je me tape donc des voyages aux frontières du réel, tricksant l’algorithme dans la symbiose. Le genre de jeu qui me rappelle combien vaste est l’Internet.
« Faire sauter Youtube à l’usure », c’est le nom que notre bon Thomas D2S – monsieur est nouvellement papa ET donne une exposition du 5 au 28 avril à la galerie Treize ET sort un bouquin sur Rotolux Press, on est sur une bonne dette de sommeil, là – avait donné à un article déroulant un semainier déglingué, empli de l’angoisse que peut engendrer la plateforme au logo rouge et blanc. J’ai donc décidé de lui voler (avec la plus grande des courtoisies) son titre et son procédé afin de vous présenter un assemblage de certains des items m’ayant cartouché lors de ces périples hallucinés. Une sorte de méta-dérive disparate, une fiction élégante (je l’espère) qui transversalise le réel et comprime l’espace-temps (si, si), de mon année de naissance – même pas fait exprès – à aujourd’hui.
lundi : Ste Milano – Vroum! vroum!
Début de semaine, y’a même pas à moyenner, il faut directement envoyer la sauce fort, sinon ça prend pas. Logiquement, démarrage en Côte d’Ivoire avec ce son de Ste Milano défiant les lois de la thermodynamique ! Ce n’est même pas un bolide mais une pointe de vitesse en tout droit cette histoire, de l’énergie pure, j’en reviens toujours pas. Les synthés trancy-accordéons, les samples de moto musicalisés, la voix tendue et sans déviation d’un personnage sûr de sa destinée (« J′ai vu mon rêve, conquérir le monde / c’est ça ma mission / certains me parlent de chance / c’est pas mon mood »), les breaks qui relancent : mais quelle ambiance, bordel ! À écouter sans retenue, mais attention, comme le dit si bien monsieur Milano : « Portez vos casque, hum / soyez vigilant », ce n’est que le début de semaine !
mardi : Da Blazz – Guerreiro
Bon par contre mardi, redescente d’un étage, quatre ou cinq même, sinon on arrivera pas au bout. Direction le sous-sol, ça laisse de la marge. Da Blazz est un groupe portugais qui sortait en 1999 son premier album, Catchores Di Pinga, sur le label Sons D’Africa – déjà responsable du 2000 de Forsi Live, le hasard fait bien les choses. Sauf que là, l’ambiance est bien bien bre-son mais pas poisseuse, elle a un truc décharné mais sec qui me charme fort, surtout cette espèce de cliquetis télégraphique, belle trouvaille qui prend tout l’espace quand surgissent les voix modifiées. On pense direct à une École du Micro d’argent lusitanienne, un Wu-Tang émacié, on y entend même des sons de machettes et tout. Et puis mention spéciale pour l’intro, vrai cauchemar qui sonne comme une inquisition à la sauce Medievil au royaume Ndongo – la colonisation et l’esclavage, quoi…
mercredi : ERR WALOU & 2012 – MACHIN
Le ciel est peut-être gris, tu ne sais pas trop ce que tu fous là : c’est bien le couperet du mercredi qui tombe. Je préfère accompagner le mouvement dans ces moments-là, partir dans la saudade en lâchant la rampe pour m’y adonner avec plaisir. Donc bravo Err Walou, tu fais partie de ces jeunes rappeureuses sensibles que j’imagine pas trop éloigné·es de l’équipe White Garden par exemple (peut-être que je me trompe mais j’essaye d’être dans le coup, charriez pas les potes), je ne suis pas là pour distribuer les bons points mais un peu quand même, et là j’en donne beaucoup ! Le blaze, je valide, tout comme la boucle de gratte, le beat qui casse les genoux, la prod qui manie les skips astucieusement, le traitement de la voix et même le débardeur. J’aurais aimé proposer « PEU IMPORTE » de Tommy Moisi, mais je ne suis pas tombé dessus – inopinément, vous savez.
jeudi : Ophélie Winter – This Is How I’m Gonna Make You Mine
Je pense que la seule chose que je connaissais d’Ophélie Winter avant cette aventure sur « la toile », c’est qu’elle avait plus ou moins fréquenté (vous donnez la connotation que vous voulez à ce mot) Prince et été la compagne de Claude MC, ce qui en dit long sur les années 1990. Bon, il y avait aussi « Dieu m’a donné la foi », mais ce prosélytisme chrétien born-again funky en français, je peux pas. Par contre, « This Is How I’m Gonna Make You Mine », je succombe. Le morceau est quand même solide, le refrain est carrément legit, Ophélaïe a posé des bases sur le sol français, en fait ! Je crois que ce qui me donne le plus de force pour continuer la semaine avec ce titre – outre la prononciation too much (la manière dont elle sort les « kisses so sweet, lovin so fine », so jazzy) et le feeling très smart très chic et donc très new jack/r’n’b de juste avant le nouveau millénaire –, c’est la pochette avec les « signes chinois » : 1998 très exactement, je suis sur le marché de Torcy et je crève de posséder un jogging orné des mêmes motifs, waouh !
vendredi : noujoum saf – atini l3ahed
Nique. T’es au chômage, t’as un boulot, t’es étudiant, c’est la même : vendredi soir, c’est la quille, désolé pour les collègues d’astreinte. Chamboule-toi en teuf, fais un tour à la mosquée, cale-toi sous un plaid avec un pavé de Jack London ou touche-toi, je sais pas, mais en tout cas échappe-toi, s’il te plaît. Le capital ne peut pas te manger, pas ce soir. Dans tous les cas, ce morceau, que dis-je, ce chef d’œuvre audiovisuel de noujoum saf devrait vous aider à transcender le libéralisme. Du saf et donc également des Algérien·nes au top de la grâce (comme toujours), mais aussi des synthés FM, des ralentis, un montage « dynamique », des images de gens qui kiffent (les extraits de concert !), une ligne de basse insidieuse et un chant sous forme responsorial qui porte en lui toutes les révoltes à venir.
samedi : Farina & Al Alfa – DORA
Farina, la dame qui a ramené le reggaeton en Colombie au début des années 2000 + El Alfa, « le roi du Dembow » = ce que j’imagine être un samedi soir pour les gens qui ont un smartphone avec Tinder dessus. J’avoue que ça donne envie, même si je préfère regarder Alien Theory avec ma chérie !
dimanche : Nesly & Fanny J – Cordialement
Et donc pour conclure la semaine en beauté, ce morceau qui est un énorme tchip envoyé à tous les fainéants de l’amour par deux papesses du zouk à la guyanaise (qui est en fait juste un zouk comme les autres) circa début de notre millénaire. Vraiment, messieurs, pas besoin de vous fatiguer, il est assez peu probable que vous ayez le niveau (« Pardonne moi / j’suis qu’à 10% / et le plus triste, c’est que c’est suffisant ») pour satisfaire ces déesses désabusées ! « Ancré à ton port » de Fanny J reste un émoi zouk très important car je pouvais comprendre toutes les paroles, un peu comme avec Slaï ou Thierry Cham, et je crois que cette chanson va également rester avec moi. « CORDIALEMENT » (all caps, c’est important) tape exactement dans ce que j’aime, à savoir « le mélange inavoué » comme diraient les gens de Mulhouse : zouk de stade avec une rythmique massive bien d’aujourd’hui, des harmonies et une énergie qui s’ancrent à la fois chez Grace Jones période « La Vie en rose » et la Beyoncé de « Love on Top » ; un petit truc variété française limite comédie musicale 2K, aussi. Des toutes-belles, des divas inégalées qui lancent des méchantes lignes de voix, rien de mieux pour chanter à s’en décoller les orteils avec les copines, le dimanche matin. Et sinon, c’est moi qui imagine où y’a un gros travail subliminal et coquin sur les paroles ?