Lolina – Unrecognisable (Relaxin Records)
Lolina confirme encore les thèmes qui habitent la musique qu’elle produit depuis maintenant presque vingt ans. La ville, l’architecture, les relations qu’on y tisse au milieu. Le temps qui manque, la confusion provoquée par les ambiances urbaines. Dans Unrecognisable, la musique prend des allures de film d’espionnage amateur : dans ce concept album, également roman graphique visible en ligne, Inga Copeland se remet en scène, change de voix, conspire avec elle-même, s’organise. Sur son arrangeur Casio, les morceaux s’écrivent sur le coup, entre deux rendez-vous. Mais avec la maîtrise assurée d’une chanson effortless et précise toute londonienne, dont elle s’est faite cheffe de gang avec son label Relaxin Records [NdMJ : sur lequel sort aujourd’hui l’excellent et so sad nouvel album de great area, light decline, d’ailleurs mixé par Lolina…]. Une musique matérialiste, pressée mais fiable. [RM]
Aziza Brahim – Mawja (Glitterbeat Records)
Aziza Brahim chante en hassaniyah, la langue des Sarahouis. Chaque morceau est un équilibre sur le fil tissé entre cordes, percussions et cette voix qui vibre le souffle dans tous les recoins de résonance possibles du corps. De chanson en chanson, on est embarqués dans une marche continuelle sur des rythmes qui disent la fuite et l’exil, avec des jalons organologiques familiers parfois, genre guitares électriques et batteries. C’est surtout une longue marche vers soi, celle qu’a visiblement eu à faire la chanteuse pour maintenir son ancrage dans le monde : « J’ai traversé de grandes angoisses, et puis il y a eu le COVID, le confinement, ça n’a rien arrangé… j’ai dû combattre pour garder mon équilibre. » Dans « Haiyu Ya Zawar », elle parle des combats des Sarahouis ; sur « Duaa », elle s’adresse à sa grand-mère disparue. Chaque sonorité semble porter l’urgence à continuer le chemin, même quand l’endroit où celui-ci mène est inconnu. [AD]
Party Escort Bot – Bot Selected (Association Fatale)
Party Escort Bot – F4IR CITY (autoprod)
CHAT.GPT™ – Veteran (autoprod)
Party Escort Bot, aka CHAT.GPT™ est un garçon productif puisqu’il comptabilise quatre sorties entre le 16 février et le 1er avril, dont une compilation sur Association Fatale, où sont choisis et rassemblés des titres publiés précédemment au fil du web. Bot Selected se distingue par sa cohérence mais surtout par un son plus contemporain : une sorte de trip hop pour 2024, avec guitares éthérées, lignes rythmiques piquées à la bass music, rap emo. Le titre d’ouverture « Bodycam » a un gros potentiel d’earworm, et ses tics de production extrêmement agaçants (le son qui se coupe, le volume qui se baisse !?) ressemblent aux astuces d’un producteur pervers qui voudrait nous titiller pour nous rendre accro, comme s’il s’inspirait des récompenses aléatoires.
Perso j’aime aussi beaucoup les autres sorties, qui en font moins pour sonner « actuelles ». Moins de bass music, plus de guitare, des presets rythmiques de bossa nova trouvés sur un Casio ; la couleur est d’avantage post-punk. Sur l’EP Veteran, « Taxi Driver » et « Last Flight » ont un fort goût de reviens-y. Quant à ce qui justifie ces deux alias, j’avoue que je l’ignore, visiblement le Marseillais est inspiré par les robots et par les États-Unis. Je préfère me passer d’un storytelling sur l’IA, dispensable pour apprécier ces morceaux. [NM]
guervens – college dropout (Ukiuki Atama)
Mais qu’est-ce donc que cela ? De la skip musik pour thugs cyborgs émotifs ? Ces fragments vont-ils cessés de rebondir ? Et le plus important : sommes nous avant ou après la création de l’agglomération d’Houston-Kyoto ?
Et voilà, encore un album laissant apparaître les coutures d’internet et la matérialité de l’archipel-monde numérique, ce dont je ne vais pas me plaindre, ma foi. Une découverte faite en checkant les achats de mes pairs sur Bandcamp – merci, révérend-président Tomas –, aka ma nouvelle technique de corsaire de la culture. Pas vraiment d’infos sur ce·tte guervens à première vue québecois·e également graphiste (bah tiens), qui sait en tout cas très bien jouer avec les dynamiques et les durées, nos attentes, les samples, dans ce minimix ergonomique (j’adore ces formes ramassées où rien n’est de trop et rien ne manque) fondu de la tête mais pas trop, qui ne demande qu’à être joué encore et encore. C’est rugueux et tout doux, dense mais simple, affûté, j’en perds carrément mes repères. Avec un point bonus pour le titre qui vise totalement juste, je ne sais pas si c’est une blague audacieuse ou une vision, mais c’est sûr que si Kanye sortait son premier album, disons, dans 9 ans, il ressemblerait à quelque chose comme ça. [LP]
Owen Gardner – Where is my hand in space ? (Blorpus Editions)
Où Owen Gardner cherche-t-il donc à nous emmener ? Guitariste microtonal dans le quatuor Horse Lords, notre protagoniste laisse ici sonner les cordes et vibrer le feedback de son ampli, l’espace autour et les notes de ce qui semble être un orgue électrique pour décliner une approche fine de sa pratique. Un assemblage réduit qui lui permet de faire évoluer sa musique de manière originale en dehors de la communauté de seigneurs chevaux où elle se déploie d’habitude, tout en précisant et enrichissant la compréhension de sa place dans la confection des tapisseries que déploient le groupe. C’est à la fois un mouvement de concentration et de détachement qui s’opère ici, offrant à l’oreille des variations subtiles dont la simplicité permet d’explorer la richesse : un autre voyage-sans-le-déplacement que permet ce genre d’exercice.
La minimalité de la proposition en fait donc la saveur, l’excellent mastering d’Angel Marcloid en souligne les meilleures idées. Les tonalités marquées alternent avec ce que les jeux de cordes viennent isoler en vignette. Des séquences de notes constituent une collection étrange, comme un herbier métallique dont des pages auraient été extraites ; des volants de badminton rebondissent au ralenti, de filets en filets de raquette, dessinent des danses élégantes mais jamais illusoires (pas d’entêtement). On peut y voir une façon de rechercher, tout en la déjouant, l’intensité de la matière. Une certaine sincérité, aussi : il est très intéressant d’avoir su amplifier le bruit de fond pour lui permettre d’être un personnage à part entière. Les jeux psychoacoustiques tournoyants sont délicieux, et fournissent un appréciable et matériel exercice d’écoute. La respiration et les méditations induites n’enlèvent rien de l’excitation primordiale suscitée. [HP]
Difficile d’extraire de mon cerveau la vibe totalement obsédante de ce nouveau single d’ENER, jeune rappeur du Morvan, prodrome d’un premier album (ou d’une première mixtape) qui naîtra sous peu. Dans une association céleste avec le producteur xplus depuis quelques années maintenant, ENER présente une sorte de rap à la fois très contemporain, où des lyrics troublées et ardentes, à peine audibles, sont couchées sur des instrumentalisations poussant les frontières des catégorisations et des étiquettes. C’est du rap monté à la sauce Aphex Twin, produit par des gens parvenant aisément à créer une filiation entre Black Kray et Autechre, Yung Lean et Boards of Canada, clams casino et Portishead. Dans des loopings mélancoliques où la santé mentale défaille et la vision du monde reste un cauchemar lambda, ENER se positionne tel un Gaspard Noé du dirty south, explorateur de mondes cachés. Rap spirituel et détaché, ne se souciant de plus grand-chose, la musique pourrait limite nous ramener à des états dissociatifs, le chant semblant parfois très loin de l’instru tout en la complétant merveilleusement. À bien des égards, le travail encore vert d’ENER s’observe comme une errance, ou la quête immatérielle d’un jeune homme vers l’accalmie et la concorde. Une proposition aussi douce, belle, différente voire déconstruite reste rare dans le paysage du rap francophone et mérite d’être soulignée. SOLAR X sort bientôt sur Arena Records, entre temps, restez bien Kali Yugax. [NG]
Melon Sprout – collected ceramic memories (Blorpus Editions)
collected ceramic memories, encore une sortie sur Blorpus Editions, net-entité chicagolaise née du surplus de bonnes choses à éditer constaté par Max Allison (aka Mukqs), lui-même moitié du précieux label Hausu Mountain. Les manifestations de pure énergie sont arrangées orchestralement et avec brio dans cette exploration d’un bruit aux sources céramiques (sauf la piste très justement nommée « study in non-ceramics »). La saveur est directe et complexe, comme les sculptures dont elles proviennent. Extension corporelle par voie d’argile pour un EP délicieux, c’est tout à la fois mouillé, aiguisé, joueur et corrodé, quel plaisir.
Se balader en ville et se griser du chaos des trajectoires humaines et de leurs choses au son de ces triturations qui virent vers le vénére, quel plaisir.
Des sons concrets recomposés, quel plaisir. [HP]
Fior 2 Bior & Medikal – « C’EST L’ENFANT DE KI ? » / EJ + L’Oiseau Rare – « ZANETTI »
Bon je n’arrivais pas à choisir entre ces deux morceaux qui me mettent dans un état pas possible. Des prods dangereuses à s’en casser les chevilles et la démarche, de la malice et de la classe dans les paroles et le débit, tout ce qu’on veut, quoi. Je vous suggère d’ailleurs de vous les enfiler selon l’ordre présenté ci-dessus. D’abord la collaboration entre l’Ivoirien Fior 2 Bior (de rigolo d’Instagram à ambianceur tout-terrain, la transformation est finalisée) et Medikal le Ghanéen donc, un tout-droit qui torpille tout avec en prime la réutilisation du thème dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom ; pas grand-chose à dire de plus sur ce sortilège à écouter très fort. Puis « Zanetti », donc : ce track me bute, on sent qu’il est un peu plus artisanal, mais les gars sont assurés de leurs atouts, a aucun moment il n’a été envisagé que le plan puisse foirer. Les voix et façons de poser d’EJ et de L’Oiseau Rare sont super complémentaires, y’a de la punchline (« en vérité on s’habille super bien, et on n’est super fort / tu vois là, super gros, je sors de City Sport ») et des backs solides, les kicks tombent en déluge et les synthés tiennent discrètement la baraque… Franchement trop fort les Gabonais, chapeau ! [LP]
Muon S – Muon S (Fougère Musique)
Après bientôt trois ans d’existence à mêler claquettes amplifiées, électroniques modulaires ou bendées et trompette, voici enfin couchée sur bande magnétique et passante, la musique de Muon S ! En se concentrant sur son aspect sonique – il faut noter à qui ne les a pas vu jouer qu’une partie de leur expression passe aussi par la danse –, cette première documentation nous permet une compréhension plus acousmatique de ce que le duo nous a donné jusqu’à ce jour. Bon alors, oui, la harsh-noise c’est de l’anti-musique, c’est atemporel, tout ce que tu veux, mais quand même : la finesse de la composition est démentielle, l’élasticité de la matière permet d’explorer plusieurs états sans jamais avoir le sentiment de s’attarder ; on procède par glissements, on traverse une diversité de formes et d’espaces où interagissent le sol et les parois. Des élévations entêtantes rejoignent des sensations de masses en fusion, des frappes éclatantes. Voici une réalisation vraiment très soignée, qui comme la composante subatomique qu’évoque son nom, nous amène (ou ramène) à l’élémentaire. [HP]
Sol Hess – Waiting for the cricket Choir (Platinum, P572)
Je vous mets au défi d’écouter cet album de manière distraite. Quelque chose de la voix de Sol Hess, de son chant parfois parlé, de sa manière de poser les mots le long de ses arpèges vous attrape et ne vous laisse pas détourner votre attention. Ce n’est pas la seule qualité de ces huit morceaux épurés et précis, flamboyants mine de rien, nous imposant, avec force breaks et relances inattendus, une temporalité autre, en dehors de nos quotidiens un peu débiles, parce que « the world is crazy », le monde est fou et on le sait bien. Le temps se suspend donc ici, quand il faut et si besoin, comme dans « This Sorrowful Tune », air douloureux qui ne l’est pas, du tout. Et puis on finit sous les étoiles, allongé·e dans l’herbe à écouter la belle histoire d’amour de « The Starlight, the Moonlight, My Dear ». Et il nous reste comme une impression du Jonathan Richman de Girlfriend plus britannique, baigné dans la lumière du Sud-Ouest français. [AD]
Carmen Jaci – Happy Child (Noumenal Loom)
Carmen Jaci sort huit morceaux qui dressent des passerelles très convaincantes entre sound design hyperpop, délires de samples à la Art of Noise, et cette espièglerie dont sait parfois faire preuve la musique électroacoustique (si vous ne voyez pas où je veux en venir, « L’Oiseau Chanteur » de François Bayle, par exemple, est un sacré cartoon). Cependant la musicienne est sans doute plus inspirée par de la musique un peu plus ancienne puisqu’elle intitule deux morceaux d’après des pièces de Ravel, et y pioche vraisemblablement des samples de piano. Carmen composait de la musique classique avant de faire de la musique électronique et sa musique en a gardé l’exigence, la complexité d’écriture, et le mépris des répétitions. Ok, c’est un peu nerd, mais grâce à beaucoup d’onomatopées proférées par des voix enfantines, le fun a le dessus ! [NM]
BMX Bandits – Dreamers On The Run (Tapete Records)
Dans Dreamers on the Run, le nouvel album des BMX Bandits qui sortira le 26 avril prochain, Duglas T. Stewart continue une collaboration musicale entamée il y a quelques années avec le talentueux multi-instrumentiste Andrew Pattie. Ces « Rêveurs en fuite » ont été inspirés par une vidéo animée des amoureux de Peynet qui fuient en courant les horreurs du monde sur une musique d’Ennio Morricone.
Et justement, les morceaux se succèdent comme autant de scènes d’un film onirique, avec une élégance pop franchement rare et carrément rafraîchissante. La thématique du songe comme échappatoire à la cruauté du réel qui sied à presque toute la musique des BMX Bandits atteint ici son acmé. Les cordes, les harmonies vocales, les sons d’oiseaux ou de consoles de jeux, tout se déroule dans un train d’émotions sonores qui avance plein d’espoir, malgré tout. Une comédie musicale construite avec plein de chouettes partenaires – le reste du groupe mais aussi Sean Dickson aka HiFi Sean, Jowe Head, Calvin Johnson ou encore Jay Jay Lozano.
Tout est beau, de la douce berceuse avec la voix sur le fil de Duglas dans « Dreamers on the Run » à la ballade colorée et entêtante « Setting Sun », jusqu’au court morceau électronique qui clôt l’album : « Digital Dreamers ». Si Dreamers on the Run était un temps, ce serait le futur antérieur, celui dans lequel on aura aimé vivre. [AD]
Lustmord – Much Unseen Is Also Here (Pelagic Records)
Je ne connaissais absolument pas Brian Williams, Anglais pionnier du dark ambient ayant débuté son projet Lustmord en 1980 sur les conseils de ses copaines Chris & Cosey – et deux ans plus tard il rejoignait SPK : décidément, on a vraiment pas toustes la même life, hein ! Enfin je le connaissais quand même un peu sans le connaître, vu que le gars a composé/fait du design sonore pour des films (The Crow, Une Nuit en Enfer, Underworld) et des jeux vidéos (Assassin’s Creed, League of Legends, Scorn). Pas une brêle donc, il reste sur la voie qu’il a ouverte, à l’aise. Au programme : des nappes glauques et décharnées, des subs qui vrombissent, du désespoir et de la désolation à la pelle, 0 % de luminosité. La magnifique pochette capte très bien l’ambiance de ces huit morceaux aux titres évocateurs (« An Angel Dissected », quoi), dessinant les contours de mondes parallèles, assurément engloutis ou en ruine, où des ecclesiastes-magicien·nes s’adonnent à des rites bien craignos. Un album à écouter comme une pièce unique, d’une traite, pour profiter peinard de la chute d’un empire, par exemple. [LP]
Anima Musica & R. Carlos Nakai – Atlantic Crossing (La Scie Dorée)
Avec la réédition de sessions enregistrées par Anima (Limpe Fuchs et Paul Fuchs) avec R. Carlos Nakai à la fin des années 80, la Scie Dorée envoie un peu des recherches de libertés anciennes dans notre futur-présent, pour conjurer l’oubli. Succession de moments, la musique libre dans ce qu’elle a de plus intéressant peut consister en des exercices de concentration, de méditation ; il s’agit éprouver ses sensations au moment présent et d’en accueillir les rythmes, les formes les plus simples. On découvre alors toute l’agitation contenue dans un appareil qui apparaissait au départ si dépouillé. Le bourdonnement de la percussion se fait note continue et disparaît. Les résonances et les frottements de pierre, d’air, de bois, de métal et d’organes laissent voie à des effondrements salutaires de la conscience, aux convolutions spectrales de notre subjectivité. Tout cela plane à la fois au dessus et en dedans d’une condition humaine dont le dénuement attire une forme de tendresse transcendée, et permet de s’y réinvestir pleinement, de prendre espace. Après avoir été pétri dans son esprit et ses tympans par ces sessions, on peut souffler un grand coup et aller de l’avant.
Et sinon : en février dernier, Limpe Fuchs sortait Pianoon chez Futura Resistenza. Un disque où elle démontre sa maîtrise et son goût de l’instrument, où il transparaît une autre face de sa pratique percussive. Utiliser le piano, vecteur de la musique dans les sociétés occidentalisées, permet de rattacher son œuvre non pas à un royaume de curiosité de l’improvisation dans laquelle une écoute superficielle risquerait à grand tort de la ranger, mais à une classicité en devenir permettant une compréhension de sa musique par ses fondements. [HP]
Dancer – 10 songs I hate about you (Meritorio Records)
Dancer se définit comme « a band in Glasgow » et cette présentation humble et directe ressemble à leur musique. Porté par le chant punky pop sans détours aux tonalités Riot Grrrl généreuses de Gemma Fleet, l’album tient presque du concert pour platine (elle adore annoncer les titres en début de chanson). L’énergie du direct habite et déborde de ces constructions simples, conçues pour faire bouger les jambes ; tout ça, ce n’est presque qu’un prétexte pour se rencontrer. Et comme toujours la simplicité est une illusion, tout est maîtrisé dans la partition du trio (guitare/basse/batterie), qui navigue avec aisance dans les accélérations et les pointes plus douces-amères. Les paroles sont à l’image du titre de l’album (10 chansons que je déteste de toi), on nous raconte des histoires vraies un peu absurdes, « When I was a teenage horse » – et on y croit, bien sûr. [AD]
03 Greedo – « Still In Shocc »
À la lecture de L’Enfer sur Terre, collection de fictions rap bien foutue sortie par la maison-mère Audimat, j’ai pu à nouveau prendre conscience de l’étendue de ma méconnaissance des incarnations actuelles de ce genre Outre-Atlantique. J’ai ainsi découvert une dose d’artistes, mais surtout pris le temps d’enfin mettre des sons sur des noms et visages qui me passaient aux alentours de la sphère ORL depuis un moment. La mise à jour est effectuée donc, y’a eu des révélations (« American tterroristt » ! Sada Baby, les Street Lord’z !), des regrets (Drakeo The Ruler…) et puis 03 Greedo, tellement hyperactif qu’il mérite une catégorie à lui tout seul. Jason Jamal Jackson, tu es l’apex de la sexyness dangereuse à la californienne 7.0, effectivement au niveau d’une divinité ; que tu rappes ou chantes, je suis toujours preneur ! Et c’est pas ce « Still In Shocc » tristement grisant qui va me faire changer d’avis : un track pour rider sans jamais baisser la garde, l’esprit brumeux et la larme jamais loin de couler. [LP]
or or – La pointe des Periades (AB Records / Standard In-Fi)
Active dans Dragon du Poitou, autrice de trois albums [NdMJ : et par ailleurs contributrice pour nous, il fut un temps !], or or me semble un peu injustement méconnue et je me surprends à penser comme un fan de rap dont le poulain ne progresse pas assez vite : « quand est-ce qu’elle va percer » ? Sa musique se développe assez librement, électronique mais loin des généalogies complexes des musiques de danse, on dirait une techno très organique, assourdie, qui se fait parfois ambiante. Dans ces morceaux instrumentaux, l’oreille s’accroche aux timbres et aux rythmes : des boucles percussives de cloches, de saturations douces, de coups sourds qui m’évoquent confusément le dehors, le vivant, le végétal. or or brille pour rendre passionnants des principes minimaux : une boucle rythmique qui ponctue des accords lyriques, voire épique. « grande » et « eclisse » nous emmènent ainsi sur des terrains où l’émotion s’intensifie sans vraiment éclater, comme des cavalcades extraordinaires. [NM]
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En PS un petit tour d’horizon rapide – mais je l’espère efficace – de quelques nouveautés qui m’ont plu ces dernières semaines, en espérant que vous pourrez également y trouver votre compte. On attaque directos avec l’impensable : une reprise de « Vitamin C » avec laquelle Lou Ree & The Metal Machines parviennent à ne pas se ridiculiser totalement. Derrière ce pseudo rigolo se planquent quelques figures de l’underground tokyoïte, DJ Cornbeef en tête, bien décidées à rendre hommage au regretté Damo Suzuki, décédé en février dernier. Authentique relecture et vraie réussite, leur version est presque aussi obsédante que l’originale. Parlant d’obsession, on va aussi signaler le dernier single du prolifique et passionnant Mancunien Rat Heart, sorti il y a quelques semaines sur Modern Love, deux faces de crooning empoissé que j’ai écoutées (et écoute encore) en rotation lourde, et notamment cette face A, « U Can See Alex Park From Ere », sur laquelle notre homme s’adjoint les services de Ben Vince, le saxophoniste go-to de la pop tordue britannique. Les Suédois de Discreet Music viennent, eux, de sortir une compilation de morceaux extraits des CDr, cassettes et autres flexis généreusement semés par le groupe néo-zélandais Pumice au cours de leur près de trente ans de carrière. Ici, on a le cœur gros et les ongles sales : les audiophiles peuvent passer leur chemin, les autres jetteront une oreille sur le petit joyau que j’ai choisi, « Necklace on a Necklace », sachant qu’il faudra un moment pour explorer cette opulente double compilation. En avril, nique les fils, on les vire tous et on écoute à blinde la réédition de The Seven Gold de U-Roy, originellement sorti en 1987 sur le label de Prince Jazzbo, ici at the controls, et ressorti des oubliettes par le précieux label Death Is Not The End. C’est bombe sur bombe, mais j’ai un faible pour le troublant « Holo Gow ». Ensuite on passe au nouveau single du toujours fiable Lord Tusk, sorte de dub pris dans les glaces qui ne cherche pas à réécrire les tables de la loi, mais parvient à captiver, comme souvent avec le producteur londonien. On peut redouter toutefois que le titre de la face A soit un brin ironique : « Happy Endings ». L’un de nos labels préférés, Efficient Space, vient d’annoncer la sortie pour juin du nouvel album de Th Blisks – formation australienne déjà repérée chez Altered States Tapes qui compte en son sein les membres de Troth et le génie post-punk Yuta Matsumura – et les deux morceaux en écoute pour l’instant laissent présager du meilleur, en particulier ce craquant « Enchancity », aux faux airs d’inédit de Saint Etienne. Pour finir, et parce que le temps mange la vie et que l’obscur ennemi qui nous ronge le cœur, du sang que nous perdons croît et se fortifie, on va recommander à tout le monde d’écouter le magnifique « The Enemy » de Susanna. La Norvégienne s’est spécialisée ces dernières années dans des mises en musique de traductions de Baudelaire. Dit comme ça, ça peut donner envie de prendre ses jambes à son cou. Faites-moi confiance, ce serait une terrible erreur. [HL]