En cet an de grâce 2014, un fantôme pas si menaçant hante le footwork angelin

Cakedog Menace in Phantom
Leaving Records, 2014
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Musique Journal -   En cet an de grâce 2014, un fantôme pas si menaçant hante le footwork angelin
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Une question sur ma pratique sportive ne me paraît pertinente que si l’on me demande ce que j’écoute pendant l’effort. Et dans cette configuration quand même assez spécifique, une seule réponse m’est envisageable : Cakedog. Soit l’alter ego juke/footwork du beatmaker Ahnnu, dont le nom véritable est Leland Jackson ; la vérité, c’est que j’ai tenté de m’activer sur sa musique mais que les beats sont si rapides que mon corps peu entraîné a été incapable de suivre la cadence lorsque j’ai tenté de faire des abdos ou de sauter à la corde – les seuls sports que je pratique de façon tout à fait occasionnelle. Et parce que la vie fait que je n’ai encore jamais entendu du Cakedog en club (un·e DJ daignerait-t-iel jouer ses tracks en ma présence ? Viendra-t-il un jour à Paris ? Irais-je jusqu’à effectuer un pèlerinage dans la cité de Los Angeles ?), je me contente d’en écouter dans ma chambre en dansant ou en travaillant. Et rédiger des textes en écoutant des morceaux avoisinant les 165 BPM est toujours une expérience intéressante.

Par l’expression « je fais du sport en écoutant du Cakedog » j’entends surtout qu’une envie irrépressible de bouger (pas nécessairement de danser mais bien de bouger), de sauter partout, de laisser exploser l’énergie dont je recèle, naît nécessairement à l’écoute de cette musique, et plus particulière de certains morceaux figurant sur Menace in Phantom, son premier album sous cet alias, paru en 2014 (il a sorti beaucoup de super trucs depuis). Il suffit des premières notes de « Suicidal » et « Uncrushable » pour que l’envie de mettre la tête dans le caisson (ce qui m’arrive malheureusement plus que de raison) survienne, inévitablement ; « FOH » ne peut-être un simple fond sonore ; sur « SLAM DUNKIN », le pogo est inévitable. Ces morceaux se doivent d’être projetés avec véhémence, tapisser l’espace, le saturer.

Pourtant, répéter des mouvements précis sur la musique de Cakedog me semble extrêmement compliqué (peut-être est-ce justement parce que que je ne m’active physiquement en ce sens qu’une fois par semaine, à compter de cinq minutes maximum) : les changements de rythme sont fréquents et souvent surprenants, les items (voix parlées et chantées souvent tirées de chansons hip-hop ou R&B, grésillements, alarmes) fourmillent. Je sais que cette complexité véloce est l’essence même des musiques de danse chicagoanes que sont le footwork et la juke, dont les tracks sont forgés pour accompagner les furieuses embardées des danseur·euses ; mais s’en rendre compte par le corps est toujours une épiphanie.

Dans une interview de 2016, on apprend que le pseudo Ahnnu précède celui de Cakedog et qu’au départ, Leland donne plutôt dans l’ambient. C’est en découvrant le « travail de pied » dans la cité des anges (deuxième scène la plus importante après Chicago) qu’il décide de s’y mettre lui aussi, sans tomber dans l’appropriation et le pastiche. Ses deux pratiques ne semblent pas strictement séparées, et l’on sent que célérité bass et stase contemplative se mêlent souvent avec agilité sur Menace in the Phantom, ce qui donne une sensation de rugosité moindre que certains canons du genre. Toujours dans cet entretien, le producteur indique par ailleurs lui aussi danser, et que cette pratique nouvelle a modifié son approche de la musique. Il en est de même pour l’auditeur·ice : l’expérience est tout autre lorsqu’on entend/voit le footwork in situ, mouvementé par des danseur·euses ; et quand on passe de l’observation à l’action aussi, la répétition prend une nouvelle dimension. Sa volonté de mettre en lumière ses prédécesseur·es et contemportain·es a en tout cas bien fonctionné sur moi : par son biais, j’ai pu par exemple découvrir DJ Nate et son Da Track Genious de 2010, un album qui me semble super actuel – sûrement parce que les musiques d’aujourd’hui (à commencer par l’hyperpop) puisent énormément dans la bass music et le footwork en particulier.

Sinon, pour revenir à Menace in the Phantom  : « HOLD THE FUCK UP » me paraît être une bonne intro pour un DJ set, « THE RYTHM », excellent pour une transition et « HELL NA » pour un outro. Cette façon d’amener le footwork vers l’écoute plus que la danse (le syrupeux « 24 HRS » et l’étrangement planant « HOLD THE FUCK UP ») fait évidemment écho à une figure indépassable du genre, DJ Rashad, qui sortait un an avant Double Cup, son propre magnus opus. Rashad meurt en 2014, l’année où Cakedog apparaît, et Menace in the Phantom lui est d’ailleurs dédicacé. Il ne s’agit en aucun cas d’une réincarnation, mais ce début bien entamé d’une nouvelle décade marque en effet une transformation pour le footwork, qui s’autonomise en partie de la danse par l’écoute. Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose, mais la tendance est sensible, en tout cas.

Menace in the Phantom m’a tiré sans vergogne dans un univers que je ne connaissais pour ainsi dire pas, et je suis devenu un peu accro aux vidéos de battle qui paradoxalement, malgré leur rythme effréné, me relaxent : la technicité des participant·es est telle qu’elle me demande une grande concentration pour comprendre ce qu’il se passe. De la turbulence à un calme relatif, le déluge qu’est le footwork m’équilibre, comme un art martial hyperactif et exponentiel.

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