Le groupe postpunk fictif Memorial Device n’existe plus seulement dans un livre depuis que Stephen Pastel a imaginé leur musique

STEPHEN PASTEL & GAVIN THOMSON This is Memorial Device
Geographic, 2024
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Musique Journal -   Le groupe postpunk fictif Memorial Device n’existe plus seulement dans un livre depuis que Stephen Pastel a imaginé leur musique
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Une fois n’est pas coutume, nous allons aujourd’hui surtout traiter d’un livre. This Is Memorial Device, par David Keenan, est une histoire orale hallucinée de la scène post punk de Airdrie, Coatbridge et ses alentours, 1978-1986 comme l’indique le sous-titre de la trad française éditée en 2018. Connu pour avoir signé un épais volume sur les groupes cultes de l’indus première vague (England’s Hidden Reverse), et dans une moindre mesure pour avoir inventé le terme « hypnagogic pop » dans un article de The Wire en 2009, David Keenan a franchi le rubicon pour écrire ce roman, qui se présente comme l’histoire fictive de Memorial Device, une bande de musiciens fantasques vivant dans une ville de la banlieue de Glasgow, Airdrie, et qui cochent toutes les cases du groupe post-punk mythique – chanteur mystérieux, claviériste iconoclaste, existence brève…. Une fausse histoire orale, donc, racontée par 26 personnages gravitant autour de Memorial Device, soit 26 nouvelles autonomes qui en disent autant sur cette scène que sur ce qu’on peut chercher dans la musique. 

Un livre, donc, mais qui a été récemment adapté en spectacle, et dont on écoute aujourd’hui la bande-son composée par Stephen Pastel (meneur des Pastels, groupe historique de la scène DIY de Glasgow depuis les eighties) et Gavin Thompson (ingénieur du son des Pastels et membre de Findo Gask). À l’écoute de cette collection de titres, je n’avais au départ pas le contexte qui les motivait, et je n’avais pas lu le livre de David Keenan, ni vu le spectacle mis en scène par Graham Eatough. La lecture n’est donc pas indispensable, mais le livre expose des thématiques tellement bien relayées par le disque qu’avant d’y venir, faisons un détour par ce dernier. 

Les mauvaises langues aiment à décrire les lecteurices de Musique Journal comme des nerds un peu relou·es, qui vous tiennent la jambe en soirée pour vous parler de la vingt-septième mixtape de Gucci Mane ou de la B.O. d’un film rassemblant Sun City Girls et Jason Pierce. Eh bien quelque part, ce livre parle de vous ! Du moins c’est son histoire, telle qu’exposée dans son introduction : un texte initié par deux protagonistes de la scène, parce qu’ils pensent que c’est important, parce qu’ils en sont fans. C’est le fonds de commerce de Memorial Device, jouer avec la matière la plus cliché qui soit, pousser à fond les fétiches post-punk, la performance, le macabre, les influences synth-pop ou noise. Mais surtout, ce qui est montré ici à nu, c’est le fait d’être fan en soi, la fascination pour tout ce qui va autour de la musique : le support (l’attachement aux vinyles, aux cassettes…), la scène (les connexions entre les différents groupes qui la composent, les lieux fréquentés), les anecdotes (vraies ou fausses)… C’est tout ce qui fait le sel de ces petites histoires souvent incroyables. Même si au fond, les véritables personnages de ce livre sont le post-punk pris comme sous culture, et l’Ecosse, décor sordide et magnifique. Pour le reste, tous les récits sont des classiques transposables à d’autres époques de la pop, à d’autres genres : des souvenirs d’adolescents qui boivent, traînent, flirtent, s’engagent politiquement…

C’est ce qu’il y a de très beau dans Memorial Device : on y découvre une collection impossible d’histoires invraisemblables, de légendes en puissance. Et via ces légendes, la musique prend forme, alors même que le texte ne la décrit presque jamais. On parle d’un groupe fictionnel, dont les morceaux n’existent pas, mais dont pourtant, éclairés par toutes ces anecdotes, on distingue très bien les contours. Chaque chapitre prend la voix d’un narrateur qui a fréquenté Memorial Device de près ou de loin, et on peut ainsi l’approcher via 26 histoires, qui vont des expériences artistiques cheloues aux histoires de groupies et de répètes, ou de partage de musique entre aficionados et aficionadas, en passant par des récits touchants, sur la dépendance par exemple.

C’est là qu’intervient le disque. À la manière d’un film adapté d’un livre, il lui revient la lourde tâche de trancher là où des descriptions peuvent se permettre, à l’écrit, d’être partielles. Ainsi, on y retrouve des transpositions assez littérales de scènes du livre – c’est le cas de « Occluded By Chemistry », qui correspond à l’un des premiers chapitres, où l’un des personnages responsables de la publication raconte sa rencontre avec Lucas, le lunaire chanteur de Memorial Device. Mais plus souvent, il s’agit plutôt d’accompagner des lectures du texte, d’y faire écho, de faire rejouer les questions qui surgissent, d’en illustrer les idées directement dans la musique ; c’est un disque commentaire de texte autant qu’un disque miroir. À la première écoute, et sans connaissance du contexte, j’ai ainsi pu croire à une lost tape : un disque d’époque, pas sorti, oublié, comme on en a vu beaucoup être édités ou réédités dans les années 2015-2020. Cela m’a immédiatement mis sur des pistes qu’explorent le livre en fait, avec des questions propres à la sphère « digging », autant liées à la musique qu’aux fétiches qui l’entourent : je me demandais s’il s’agissait de vieilles démos des Pastels rééditées, si ces nouveaux titres étaient de vrais-faux morceaux des années 1980. Car dans le sillage de cet engouement autour des lost tapes, on en a vu sortir de toujours plus obscures et implausibles, des supports retrouvés dans des marchés, des poubelles, si bien qu’on doutait de leur authenticité. Dans tous les cas, le format du disque This is Memorial Device est peu commun : la plupart des titres sont des lectures, parfois acapella, parfois non, tandis que des pistes instrumentales servent d’interludes. Toutes ces plages explorent des terrains assez épars des années 1980 (tous terrains de jeux de choix pour les diggers !) : spoken word donc, illustration sonore (« The Most Beautiful House In Airdrie »), new wave à guitares (« We Have Sex »), no wave décharnée (« Square Peg In A Black Hole ») et indie plus typique des Pastels.

Ce n’est pourtant pas aux Pastels que l’on pense à la lecture du livre de David Keenan, mais plutôt à The Fall. Le groupe génial, autant que les histoires qui circulent au sujet de feu son chanteur leader Mark E Smith, hante Memorial Device. Leur radicalité a tissé la trame du groupe post-punk et de ses attributs : engagement total pour l’œuvre, groupe à géométrie variable, discographie impossible à suivre, écriture symbolique pour certains, incompréhensible pour d’autres, et propension à générer de la légende… Ce sont tous ces traits que l’on voit réactivés dans ce disque. En les rejouant, il les illustre à merveille, et joue avec notre corde sensible d’adulescents fan de postpunk. En cherchant quelques exemples pour appuyer le dernier trait cité, je trouve déjà celui-ci sur un reddit consacré au groupe. Il y avait aussi un thread, sur Twitter je crois, qui enchainait les anecdotes pittoresques sur Mark E Smith mais je ne le retrouve pas, alors je vais me contenter de me replonger dans le livre de David Keenan.

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