Victimes de la basse ou victimes de l’indie sleaze ?

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KMIF, 2024
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Musique Journal -   Victimes de la basse ou victimes de l’indie sleaze ?
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2024 a définitivement été l’année de l’indie sleaze. Difficile de dire qu’on ne l’avait pas vue venir, après avoir couvé dans l’underground pendant une demi décennie. De la hyperpop (une facette déjà abordée ici par mon collègue et ami Mathias Kulpinski) aux multiples revivals indie, l’impitoyable manège de la mode détourne déjà les yeux des Y2K pour se concentrer sur le tournant des années 2010 – en témoigne le plus gros succès pop de l’année, brat, dont on pourrait débattre du caractère sleazy si cet article ne portait sur la plus grosse réussite du genre à mes yeux : le groupe bassvictim.

Ce duo basé à Londres a sorti cette année Basspunk, petit bijou qui concentre tous les thèmes récurrents du micro-genre : musique très référencée, proximité à la fashion, penchant prononcé pour le too much qui interroge l’idée de mauvais goût… Voilà ce qui compose un menu peu ragoûtant sur papier, mais quel panache à l’œuvre ! Maria Manow (la chanteuse) vous fait un doigt d’honneur depuis son mini short H&M et sa paire de Uggs, et c’est dur de ne pas trouver ça trop cool. S’ils ne sont ni les seuls, ni les plus successful à avoir sauté sur le créneau indie sleaze, bassvictim a néanmoins particulièrement bien réussi à redonner ses lettres de noblesse à l’attitude rock des stars de la fin des années 2000, en racontant avec morgue des histoires de strings sur un titre qu’on aurait pas dédaigné entendre dans la série Skins

C’est un autre trait commun à ce « revival » indie sleaze ; celui d’être « synchro ready », avec des chansons tellement référencées qu’elles devraient s’écouter comme des classiques instantanés. Des morceaux taillés pour la synchro ou qui semblent taillés pour la synchro – mais à l’adresse de qui, en fait ? Cette vision n’est pas celle uniquement d’un enfant des nineties (moi ?), qui aurait appris à faire la teuf du temps des Wayfarer et des T-shirts en V, et à aller dans des concerts de rock à l’époque de Pete Doherty ? C’est en tous cas le genre de question que je me posais à l’écoute de cet album au moment de sa sortie, réalisant pouvoir pour la première fois relier des sorties contemporaines à des références que j’avais en fait vécues à leur époque d’origine… Ô diable de temps qui passe et humilie même les commentateurs les plus edgy !

Après ce coming out Philippe Manœuvre en forme de réflexion sur le temps qui passe, il faut bien reconnaitre à bassvictim un talent pour l’efficacité pop. Notre duo écrit des chansons agrémentées de tics de producteurs EDM, enchaînant les drops, transpositions et autres effets de relance, qui confèrent cette impression d‘avancer à toute vitesse dans leurs morceaux, de toujours retomber implacablement sur le refrain.

Bassvictim ont ici repris à la lettre cette idée de « genre moodboard » qui porte l’indie sleaze, esthétique typiquement vague qui renvoie plus à une idée du cool des années 2008-2012 qu’à un réel créneau musical : leur musique est ainsi portée par bon nombre de signatures sonores des grands genres musicaux de la période. Tout y passe : bass pouet pouet à la Bassnectar (difficile de rater la référence), attitude et traitement vocal rappelant Crystal Castles, charleys épileptiques renvoyant quelque part à l’âge d’or de la trap, un esprit globalement rock et, surtout, des lignes mélodiques sous disto maximum, guitares électriques émulées sur Ableton façon perfecto dessinés sur T-shirt blanc (oui, c’est une référence à Justice). 

Ce gloubi boulga post-moderne se retrouve dans les paroles mêmes des chansons, mettant en avant un lifestyle daté de la même époque : la mode, on l’a dit, avec une mise en avant des outfits, des manières de porter les sapes, la fête, décrite par le menu dans « Flop », et une certaine topographie du cool, avec une petite fixette sur la ville où le duo s’est établi, son « crispy air » et ses « bleak streets ». Sauf qu’ici, la chanteuse Maria Manow est polonaise, et son compagnon et compositeur du groupe Ike Clateman est étasunien, et qu’elle raconte autant les allers-retours avec son pays d’origine qu’elle chante en polonais dans « As Long As ». Quelque part, la relecture de tous ces styles vient mettre à jour et brouiller une carte bien années 2000, dont les pôles aujourd’hui seraient probablement différents du triptyque Londres-Paris-New York d’alors.

C’est ce qui distingue aussi le disque Basspunk : dans cette course à l’échalote à laquelle semblent s’adonner tous ces projets, nos bassvictim envoient ce kaléidoscope de références – qu’ils prennent moins au sérieux et/ou maîtrisent mieux que d’autres – avec assez de recul pour que cette surabondance ne donne pas la nausée. Ce syncrétisme circa 2008 est pourtant salé, avec des clins d’œil à des périodes pas toujours glamour, mais il sonne aussi très contemporain. Sur « Flop » toujours, contrairement aux kicks gonflés à bloc des deux titres précédents, cet éventail de références club a cette fois un goût un peu jersey. Le kick principal n’en a pas exactement la rythmique signature, mais les kicks syncopés y font penser, se plaçant à la même hauteur, beaucoup plus proche des médiums sur la grille des fréquences, comme pour l’écouter sur son téléphone plutôt que dans un temple techno. 

À suivre le groupe sur les réseaux, on retrouve chez eux un dernier trait fondamental de l’indie sleaze qui manquait à notre tableau : la proximité avec l’industrie du disque. Là où les Y2K avaient habitué les gens à la jet-set et plus généralement aux riches sous toutes leurs formes, une thématique de prédilection de l’indie sleaze semble être le milieu professionnel de la musique, en témoignent les références aux sphères musicales qui réussissent : manager, tour bus, RP, etc… En reprenant un discours corporate de label indé – tel l’insupportable The Dare –, bassvictim se mettent en scène dans cette imagerie de groupe pour qui ça prend. On est ravis que ce soit leur cas, mais on ne peut s’empêcher de noter une communication des plus « sleazy ».

On termine par l’annonce du deuxième album à venir de bassvictim, prochainement on dirait, et par une crainte : on espère que le tandem ne va pas tourner comme ses congénères. On a déjà fait allusion aux autres groupes ayant eu du succès sur le même créneau, en voici deux extrêmes : Snow Strippers du côté EDM, et The Hellp côté pop rock. Les premiers sont déjà programmés à Coachella pour 2025, et bassvictim a assuré des premières parties sur la tournée des seconds. Basspunk restera peut-être le seul exemple « underground » d’indie sleaze, jusqu’à ce qu’ils ne révisent leur copie… Affaire à suivre.

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