« En ce gris caniveau coule un lustré ruisseau… » (à propos de Chet Baker)

Chet Baker, Stan Getz, Jim McNeely, George Mraz, Victor Lewis "Just Friends"
Live YouTube, 1983
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Musique Journal -   « En ce gris caniveau coule un lustré ruisseau… » (à propos de Chet Baker)
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La vidéo à plus d’un million de vues dont je souhaite vous parler aujourd’hui implique une des icônes de mon adolescence tardive, le trompettiste étasunien Chet Baker. Hier à peine je me disais (encore une fois) que cette fois-ci c’était bon, j’allais ralentir internet pour me sourcer et vous parler de musique, et puis me revient à l’esprit cet item très signifiant pour moi et dont je ne vous ai visiblement jamais entretenu. Un item présent sur YouTube depuis QUINZE ANS et que j’écoute régulièrement depuis sa mise en ligne, dont la matérialité affective est très réelle pour moi : cette vidéo fait partie de ma « collection » autant que mes CD, cassettes, vinyles et mp3.

Une image m’a définitivement fait basculer dans l’équipe de Chet, et c’est la pochette de l’album Chet, justement. Alors oui cet album est parfait et s’ouvre parfaitement surtout, mais le visuel qui l’illustre a exercé une fascination sur moi peut-être supérieure au musical. Cette photographie au grain tirant vers la peinture saisissant un moment de tendresse agencée disait tout pour moi, elle symbolisait ce que je voulais être et ne serait assurément jamais : un homme blanc et californien, sensible et torturé, chic et cool, sans aspérités visibles mais bien réelles – un peu comme Christopher Owens, surtout pour les cheveux, mais c’est une autre histoire.

Je pourrais aussi vous parler de Chet Baker & Strings (que j’ai déjà évoqué), cette étonnante tentative de pastorales de chambre cool qui me fait irrémédiablement penser à un Pet Sounds archaïque par l’amplitude émotionnelle que véhiculent ses cordes ; à Surf ‘s Up peut-être aussi. Un album anecdotique parfois mais comportant des pièces époustouflantes, avec là aussi ouverture merveilleuse, mais surtout ce thème élémentaire dans tous les sens du terme – un indice pour la liaison intangible aux Beach Boys. Mais revenons à cette captation pour la télé suédoise d’un concert réalisé en quintet à Stockholm (Chet donc mais aussi Stan Getz, Jim McNeely au piano, George Mraz à la basse et Victor Lewis à la batterie) et dont je vous présente ici un fragment, une interprétation de « Just Friends », standard de John Klenner et Sam M. Lewis. Nous sommes en 1983, soit cinq ans avant la mort de l’élégant gominé par défenestration à Amsterdam, résultante d’un ultime chargement de la mule.

Si la musique est bien sur au centre de notre histoire, il est aussi question, comme pour la pochette de Chet, de tons, de textures et de courbes, d’élans, de postures, bref de style – et notamment de style vestimentaire. Cette vidéo c’est un grain vidéo évidemment, des couleurs, du matériel (le micro de Chet a un design parfait), du mobilier même, des coupes de cheveux mais surtout des sapes et je dirais même plus des pulls. Tous les pardessus sont nickels ce soir-là mais celui du trompettiste les supplante tous, même la veste de Getz, même le col roulé de Mraz (aucun rapport avec Jason). Sa couleur hypnotique, sa matière, son tissage, la manière dont il est porté, tout cela installe déjà une hiérarchie du cool avant même qu’un son ne soit émis.

Avançons : Getz donne le décompte, le morceau part. Le sax ténor supervise mais ce n’est pas lui la vedette malgré sa renommée monstrueuse ; il ne peut pas rivaliser avec l’homme au visage parcouru de ravines, une tête proche du caniveau, du cendrier, de l’entresol. Lequel entame le couplet à la voix et c’est comme s’il entonnait le thème à la trompette – il manipule d’ailleurs rapidement son aérophone, quelques instants avant de se lancer, comme s’il hésitait entre ses deux instruments. Il détache moins les mots qu’il ne les contracte ensemble dans des appogiatures, avec cette grâce qu’on a raison de trouver angélique, les yeux clos, slalome, s’appuie là où il faut, jamais trop lourd. Une courte respiration puis l’impensable survient : il se met à scatter ! Plus qu’un scat, il réalise en fait un solo de trompette sans trompette et pourtant le charme ne se pète pas la gueule, il persiste et s’amplifie même ! Il tricote à peine mais se balade carrément, c’est littéralement son cœur qui parle et c’est juste magnifique.

Ce que je trouve super dans cette vidéo, c’est cette façon qu’ont tous ces musiciens de performer le cool avec un sérieux incroyable. Le cool, ce n’est pas la chienlit. Pendant le (super) solo de Jim McNeely, Chet Baker et Stan Getz sont à peine mobiles, le premier groove à peine quand le second ressemble carrément à une statue du musée Grévin, accoudé au piano. Même Victor Lewis, à la batterie, le plus coquin de tous, en train de mâcher comme un loubard, ne dévie jamais d’un putain de iota de sa ligne légère mais ancrée. De même, quand Baker prend enfin la trompette et entame son solo, Getz le mate par-dessus son épaule, prêt à y aller. Le cool est un combat.

Pendant le solo de Stan Getz donc, Baker fournit la toile de fond, brode autour du thème ; puis il ré-expose le thème à la voix, chante les paroles et c’est alors Getz qui le soutient, il viennent ensemble, c’est beau. La fin du couplet arrive, les modulations de rigueur aussi, Chet tire sur sa voix et sa fragilité éclate et frappe alors, elle n’est plus celle qu’elle fut ; tire, à peine (« but… ») et retombe presque immédiatement, et c’est la fin, tout se conclut dans cette vapeur. Cet homme n’est pas mort, mais déjà il disparaît.

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