Mari Boy Mula Mar, extraterrestre sous autotune de Milwaukee

MARI BOY MULA MAR Overflow
846532 Records DK, 2019
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Musique Journal -   Mari Boy Mula Mar, extraterrestre sous autotune de Milwaukee
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Milwaukee est l’agglomération la plus ségréguée racialement des Etats-Unis. Les habitants afro-américains de la ville du Wisconsin (qui représentent 40% de la population) accumulent les obstacles : difficulté d’accès à l’éducation, taux invraisemblable d’incarcération, pauvreté, chômage…  En avril dernier, 70% des victimes du Covid-19 y étaient afro-américaines.

Mari Boy Mula Mar est membre du crew Mari Boyz, et il vient donc de l’ancienne capitale de l’industrie de la bière américaine. Ses morceaux, eux, sortent tout droit d’une autre galaxie, loin des artères poussiéreuses de la ville de la Rustbelt. Elastiques et nuageux, ils font se côtoyer basses caverneuses étouffées et envolées autotunées aériennes. Comme Young Thug, première référence qui vient à l’oreille quand on découvre le prodige de Milwaukee, Mari Boy Mula Mar a préféré devenir un alien, plutôt que d’affronter la violence et le racisme des bords du lac Michigan. « La musique a été un échappatoire pour moi. Quand je vais au studio, et que je m’enferme, ça m’empêche d’être en danger dehors », confiait-il à Piet Levy du Milwaukee Journal Sentinel en janvier dernier.

Le grand extraterrestre traîne sa nonchalance sur YouTube depuis quelques années. Comme bon nombre d’autres scènes américaines, le rap de Milwaukee, longtemps confidentiel, a été mis en lumière par un réseau de clippeurs hyperactifs, qui filment les artistes festoyant dans leurs quartiers, et leur  permettent d’oublier, le temps d’un tournage, la réalité morose de la ville. Dans la lignée du renouveau du Midwest rap à Detroit, Flint ou Chicago, Milwaukee dévoile depuis quelques années sur YouTube un ensemble d’artistes au son froid et percussif.

Avec son style vocal excentrique, Mari Boy Mula Mar apparaît comme un ovni au sein de cette scène. Soutenu par les clippeurs et les journalistes de la ville (en particulier Evan Rytlewski, auteur pour Radio Milwaukee et Pitchfork), il n’en est pas moins l’une des vedettes locales. Les morceaux les plus célèbres du leader des Mari Boyz dépassent le million de vues sur YouTube.

Le rappeur n’est pas  du genre à sortir une mixtape par semaine. Ses projets paraissent au compte-goutte, et ressemblent souvent davantage à des compilations de titres clippés et de leaks qu’à un tout cohérent. Seule exception, About Average, sorti fin 2020, est un projet complet, avec des inédits, des singles, des featurings, etc. Pour ma part, le premier EP (à ma connaissance) de Mari Boy Mula Mar, The Overflow EP, sorti en 2019, reste le projet du rappeur que j’écoute le plus.

Sans doute que sa pochette y est  pour quelque chose. Un dessin y met en scène l’artiste planant au milieu d’un océan violet et d’une nuit étoilée. Quelque part entre l’espace et la mer, celui qui se fait surnommer Mister H2O laisse couler un flow unique tout au long de l’EP.

Ce flow, flexible et chanté, est porté par une utilisation aussi innovante que déroutante de l’autotune. A l’image de celle de Young Thug, la musique de Mari Boy Mula Mar est davantage verticale qu’horizontale. Sa voix passe du grave au suraigu d’une phrase à l’autre. Le transformateur vocal vient tantôt casser le timbre du rappeur, tantôt lui donner une pureté cristalline. Des râles autotunés haut perchés viennent répondre à  une voix douce et médium. Sur la première piste, « No Chill Days », le rappeur semble même en featuring avec lui-même tant les écarts entre ses différents timbres choquent.

Ce jeu de contrastes et ces mélodies étranges sont mis au service de ballades comme « In Love », ou des titres plus nerveux comme l’électrique « Nasty Night ». Dans toutes les circonstances, Mari Boy Mula Mar garde sa nonchalance aérienne. Il s’amuse, faisant grimper très haut sa voix, avant de descendre très bas, puis de remonter à nouveau, rappelant la folie créative du Thugga des débuts. Par ce jeu de yo-yo, Mula Mar dessine des chants évocateurs, sensibles et doux, sur des productions rugueuses et froides.

Les beats sont en effet empreints du son étouffé et mécanique qui fait le renom de l’underground du Midwest actuellement. La ressemblance frappante entre l’actuel son du Midwest et celui de la Bay Area saute aux yeux. Le lien est très concret : RichySlims, beatmaker présent sur le projet de Mula Mar et producteur phare de Milwaukee, a déjà collaboré avec SOBxRBE et Mozzy. La spécificité des beats de l’album réside dans l’utilisation des guitares, qui viennent donner au rappeur des airs de rockstar et de crooner.

L’un des titres les plus frappants est « No Auto Mar ». Comme le titre le sous-entend, Mula Mar y rappe sans autotune, guidé par une boucle de piano mélancolique cérémoniale, ainsi que par une rythmique à la 808 dense et épaisse. On pourrait s’attendre à trouver Mula Mar faible dans l’exercice, ou en tous cas métamorphosé. Mais non, le membre des Mari Boyz rappe comme sur ses autres titres. Son timbre pur et ses hoquets évoluent toujours dans les aigus, pour parfois redescendre vers les graves.

Mari Boy Mula Mar n’a donc pas vraiment besoin du logiciel correcteur de tonalité. Comme Future ou Young Thug, il a avalé et digéré l’outil. Il fait une musique sous autotune, même sans autotune. Sa voix est naturellement artificielle et il est à peu près impossible de distinguer quand il utilise le logiciel ou pas, et à quel point.

L’EP se conclut avec « Mr. H2o », ballade où la voix douce et caressante de Mula Mar vient chatouiller les astres sur une boucle de piano. La chanson parle de sexe, même si je dois avouer ne pas toujours saisir le sens des paroles articulées par son phrasé coulant. Mais le vrai sujet est ailleurs : il s’agit de s’envoler en général, que ce soit grâce au sexe, à la drogue ou à la musique. L’important est de côtoyer les étoiles, ces étoiles qui tapissent la pochette du disque.

Sans doute que parmi elles se trouve Demarion Allen, un ami de Mula Mar, tué en 2016. C’est en sa mémoire que les Mari Boyz ont été formés. En 2020, 166 homicides ont déjà été commis à Milwaukee, battant le record d’homicides annuels dans la ville, daté de 1991. Dans la capitale du Wisconsin, selon le Milwaukee Journal Sentinel, un homme noir a huit fois plus de chances de se faire tirer dessus et décéder qu’un homme blanc. L’évasion et la protection que procurent la musique apparaissent parmi les seuls boucliers efficaces pour se défendre. Les rêveries autotunées de Mari Boy Mula Mar ne sont pas seulement agréables pour la ville de Milwaukee ; elles lui sont nécessaires.

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