J’aime la house, j’aime la radio, et donc forcément j’adore la house à la radio. Sûrement parce que c’est sur Nova et FG que j’ai découvert cette musique, grâce à des DJ qui parlaient de temps en temps pendant leur mix comme Deep ou Grégory. C’est aussi un peu pour prendre le micro sur de la house que j’ai commencé à faire de la radio, sur Campus Paris, notamment en invitant de jeunes DJ (devenus depuis de véritables piliers de la scène électro) à jouer en direct – pas que de la house, certes, mais ils en mettaient quand même souvent – et en me permettant de « hoster » leurs performances au micro, de façon toujours très enthousiaste et sûre de moi, bien que parfois très chargée en « unités ».
Et ça faisait bien longtemps que je n’avais pas vécu cette expérience alors je remercie Nicolas du Syndicat des Scorpions de m’avoir invité dans son émission L’Hypothèse Grise sur LYL Radio, et Romain Bailly alias Out One d’avoir accepté de ressortir son matos pour réaliser chez lui ce mix principalement composé de house vintage. Dans le titre je parle de house du « Quattrocento » pour faire mon intéressant, même si, en étant très roublard, on pourrait comparer le tumulte créatif de la dance américaine des années 1980 et 1990 à celui de la peinture du XVe siècle italien. Mais si on voulait s’amuser à rigoureusement trouver un équivalent à celle-ci, l’émergence de la disco, via la soul orchestrale, au milieu des années 1970 tiendrait sans doute mieux la comparaison – bref je reviendrai peut-être là-dessus le jour où Esteban Buch se décidera enfin à me céder sa chaire à l’EHESS.
Pour être très transparent avant que vous n’écoutiez ce mix, je préciserai que les conditions d’enregistrement à la bonne franquette (pas de casque, pas de micro, pas d’insonorisation) offrent un rendu moins proche d’un DJ set millésimé sur FG ou WBLS que d’un commentaire sportif un peu à l’arrache, genre concours olympique de triple saut féminin, comme me l’a fait remarquer Maxime Jacob. Mais je trouve ça néanmoins très sympathique, on entend un peu les bruits ambiants, et à plusieurs reprises résonne la voix du jeune André Bailly, qui a assisté avec attention à la performance de son père.
La plupart des tracks sélectionnés ont déjà été recommandés ici et là, et ça vous donnera donc une occasion de les réécouter ou de les découvrir si vous les aviez loupés : Visions remixé par Tenaglia, « Crucified » d’Aaron-Carl, Incognito remixé par Roger Sanchez, « Links » de Terrence Dixon, « Sin » d’Eric D. Clark, le Popacid qui sample Prefab, « Fix » d’Orlando Voorn, « Buy More » de Chris Korda, « Baddest Bitch » de Norma Jean Bell remixé par Motorbass (d’ailleurs quand je l’annonce je fais une fois de plus l’erreur de confondre Boom Bass et de Crécy), le fascinant « Straphanger » de Metro sur Nu Groove, sans oublier deux morceaux qui eux ne sont pas du tout du Quattrocento et viennent plutôt d’une époque confuse entre baroque extrême et néoclassicisme déviant, signés des Brésiliens de My Girlfriend et du Berlinois Pashanim.
En ouverture, j’ai choisi deux titres dont je n’ai en revanche jamais parlé ici, qui me tiennent pourtant beaucoup à cœur : le Club Mix de « Your Love Is Magic » par le duo féminin Bäs Noir, produit par Ronald Burrell, qu’en 2008 David Vicente-Sandoval (paix à son âme) m’avait envoyé par mail alors que j’étais convalescent, après une méningite corsée, et qui avait produit sur moi un effet proche de celui que décrit Nietzsche lorsqu’il parle du pouvoir curatif des mélismes italiens dans Le Gai Savoir. C’est le garage encore très attaché au R&B ’80, avec des arrangements voyants, mais qui gambade avec insouciance vers les nineties. Et puis ça s’enchaîne avec un anthem que je ne trouve pas assez matraqué, c’est « It’s A Mean World » de Mark IV, production garage elle aussi très roots mais très portée vers l’avenir, avec des paroles qui pointent du doigt l’hypocrisie du pouvoir blanc et réclament la reconnaissance concrète des droits des Afro-Américains. Un vrai chef-d’œuvre de house vocale, produit en 1988 par le génial Patrick Adams, qu’on connaît plutôt pour ses prods disco/boogie au tournant 1970/1980, et qui laisse d’ailleurs entrevoir son background politico-musical en faisant allusion dans les textes de la chanson aux « Smiling Faces » décriées en 1971 par Undisputed Truth, l’un des projets de Norman Whitfield (qui devait sans doute être l’un des modèles de Patrick Adams, en tant qu’artiste-producteur). L’autre détail étonnant, vu d’ici, c’est que le maxi est sorti sur le label Tuff City, alors une grosse maison hip-hop/electrofunk – ce qui nous rappelle qu’à l’époque à New York la house et la rap faisaient plus ou moins partie de la même région de la « street music ».
Bref, voilà, maintenant j’ai envie de faire des émissions toutes les semaines avec des jingles et des exclus, des blagues et des mp3 mal encodés, mais pour ça il faudrait que les webradios françaises arrivent à se trouver un putain de modèle économique – ah ça, chez LYL ou Rinse, pour faire des visuels edgy et choper plein de followers, y a du monde, mais pour monétiser tout ça, là, y a plus personne !!!
Vous venez d’écouter l’Hypothèse Grise avec DJ Out One, merci Nico, merci LYL, merci Soulseek, et merci Piero della Francesca pour cette Flagellation du Christ !