Voir la vie en dub grâce à Seekers International

SEEKERS INTERNATIONAL Run Come Test
Bokeh Versions / No Corner, 2017
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Musique Journal -   Voir la vie en dub grâce à Seekers International
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Pas besoin d’effectuer un test antigénique pour en être certain : en 2020, j’ai chopé le virus dub. J’avais quelques prédispositions qui faisaient de moi une personne à risques, comme celle de préférer les dub mix de disco à leurs versions vocal et radio, mais je ne m’attendais pas à devenir à ce point obsédé par les musiques de danse jamaïcaines et leurs fameux variants anglais. Ça n’était pas vraiment ma culture – ayant toujours été plus attiré par les clubs urbains que par les soundsystems itinérants et les free parties en rase campagne – et j’ai même pu être assez réfractaire à tout ce qui, de près ou de loin, concernait le reggae, un mot générique que j’employais pour dénigrer la « musique de babos ».

Mais l’année dernière, j’ai compris. J’ai vu la lumière. Et il aura suffi de peu de choses. D’abord, je suis tombé sur la réédition de ce morceau sur le label berlinois Sound Metaphors. Choc émotionnel immédiat, invitation irrésistible à aimer son prochain sur une instru de reggae streetsoul franchement lourde. Ensuite, grâce à mon pote Jimane, j’ai eu la chance d’assister à une Dub Station, soirée consacrée au genre au Trabendo, une salle de concert parisienne. J’y ai vu des DJ passer des riddims en les mixant directement sur la large table de mixage de la console son, en y ajoutant en live des effets d’écho et de réverbération devant un public totalement absorbé, collé aux deux murs d’enceintes installés pour l’occasion. Je ne crois pas avoir jamais vu une telle ferveur dans les soirées house où j’ai l’habitude d’aller, et j’ai été séduit par l’énergie qui se dégageait de tout ça. 

Surtout, la rencontre avec le dub s’est faite dans un contexte général, un glissement assez récent de la dance music underground vers la trance goa et la drum’n’bass. Une réhabilitation progressive de la musique de free et de la culture soundsystem en marche depuis quelques années maintenant : les DJ en vogue programmés sur HÖR ou NTS oublient un peu Detroit et Chicago pour explorer Brixton, Bristol et les West Indies. Jamie Tiller, patron du label Music From Memory, joue essentiellement de la trance à des bpm de house, et des morceaux de dub dans des DJ sets très remarqués. Un des labels les plus influents des dernières années, Berceuse Héroïque*, sort des disques de techno et d’ambient à l’approche dub. Bien sûr, la bass music anglaise était présente et très influente, mais j’ai le sentiment qu’aujourd’hui les DJ s’intéressent plus aux roots et mettent plus en valeur l’héritage culturel de la diaspora jamaïcaine, notamment sur le versant disco : les rééditions vinyles de labels comme Isle of Jura sont en rupture de stock, preuve que la « communauté des diggers » tend davantage l’oreille sur les skanks. Ou, peut-être que ces influences étaient déjà là mais que j’y étais totalement insensible. Il est possible qu’au cours de toutes ces années passées à m’intéresser à la culture club, j’ai refusé de voir que le dub était en réalité partout.

Au pic de ma fièvre dub, survenu au printemps-été 2020, j’ai réalisé une série de quatre mix pour LYL radio* consacrée au genre musical et à ses irruptions dans d’autres pans de la dance music. C’est à cette occasion que je suis tombé sur un EP de Seekers International, dont j’aimerais dire quelques mots ici. RunCome Test est sorti en 2017 sur les labels Bokeh Versions et No Corner. Les quelques barrières qui séparaient encore, dans mon esprit, la musique de club de la culture soundsystem, sont tombées à l’écoute des quatre titres qui composent ce disque magique. Tout dans la musique de Seekers Intl. repose sur une technique – le mixage dub fait de cuts, de tape echos et de delays – dont l’unique fonction est de se faire oublier aux oreilles de l’auditeur pour créer une illusion quasi mystique. On se demande bien d’où peuvent provenir ces quatre morceaux, difficiles à dater par ailleurs, et comment ils arrivent à provoquer tant de mystères en nous. Il y a du bruit, on entend des surfaces, des souffles silencieux pourfendus par des mélodies extrêmement limpides, des juxtapositions de textures inhabituelles et une structure cyclique qui nous désoriente. C’est un travail tout à fait artisanal, un travail d’orfèvre vertigineux qui se découvre à force d’écoutes répétées. Ce que j’essaie d’expliquer, c’est que RunCome Test ne sonne pas comme des edits dub, ni comme des samples qu’un musicien aurait retravaillés avec des pédales d’effet. L’EP donne au contraire l’illusion d’un matériau brut, créé ex nihilo, un tout fini dont les origines et les modes de productions nous paraissent impénétrables.

Le mystère qui entoure ces quatre morceaux est entretenu par Seekers International eux-mêmes. On ignore l’identité exacte des membres qui composent le trio, ce qui est déjà beaucoup à l’heure où l’on exige des artistes qu’ils postent quotidiennement du « contenu » sur Instagram, ou qu’ils dévoilent toutes leurs techniques de composition dans des formats type Konbini. Tout juste sait-on que l’un d’entre eux, porte-parole des deux autres, se fait appeler Daddy Cool Breeze (un alias que je trouve super). Il n’est pas impossible, d’ailleurs, que cette figure publique du collectif soit incarnée tour à tour par chacun de ses membres. Les Seekers International, connus également sous les noms SKRS ou Skrs Intl, seraient établis au Canada, plus précisément à Richmond, en Colombie Britannique. Des articles de la presse spécialisée anglo-saxonne évoquent leurs origines philippines. La ville de Manille est parfois mentionnée.  

Le crew sort des disques depuis 2012 et explore depuis toutes les dimensions de la musique jamaïcaine et de ses relectures électroniques. Leur travail de composition, à l’orée des années 2010, rappelle les brillants débuts de Pole et des grands représentants de la dub techno allemande comme Mark Ernestus & Moritz von Oswald, alias Basic Channel. Des plages sonores proches du drone, le recours délirant, façon Lee Perry, au field recording et au traitement « abstract » du son dub, c’est ce à quoi nous préparaient les Canadiens sur leur premier album The Call From Below (2012).

Le trio s’est ensuite consacré à des expérimentations plus dancefloor-compatibles, notamment en effectuant sur LoversDedicationStation un détour par le lovers rock en 2016, sous-genre reggae reprenant des standards disco, soul ou R&B, et initié à Londres par Dennis Bovell à la fin des années 1970. Un point d’équilibre à été trouvé, à mon sens, dans RunCome Test l’année suivante : l’EP est, dit vulgairement, bien abstract et en même temps très groovy.

Seekers International ont, parallèlement à leurs productions, livré quelques mixtapes et DJ sets dont l’approche patchwork leur a été inspirée par celle du Californien MixMasterMike : on y entend, pour la faire courte, des acapella de dancehall pitchés et filtrés posés en mash-up sur des morceaux d’ambient, entrecoupés de hits du Paradise Garage et de faces B de reggae. Ce mix pour Fact est particulièrement cool, quoi que pas tout à fait au niveau de leur mixtape Midnight Skanking, sortie en 2020 sur ICS Library Records, leur propre label, et qui présente une succession d’edits très courts, savamment mixés et ponctués de sirènes de police.  

Grâce à ma découverte de Seekers International, je suis devenu plus résilient : cet amour pour le dub, dont je pensais qu’il ne durerait que quelques mois, je sais désormais que je vais devoir apprendre à vivre avec toute ma vie. Et ma vie est désormais une dub life.

*Le label Berceuse Héroïque a justement fait paraître un EP de Seekers International et Om Unit en novembre 2020.

*LYL radio propose par ailleurs d’excellents shows consacrés au dub. S/O notamment à l’équipe lyonnaise derrière l’émission Mystery Booms, dont les sets sont exceptionnels.

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