L’ASMR non-intentionnel des vidéos de moulins à huile

LA FABRICATION DE L'HUILE D'OLIVE Provence, Kabylie, Ligurie…
Playlist YouTube, 2021
Écouter
YouTube
Musique Journal -   L’ASMR non-intentionnel des vidéos de moulins à huile
Chargement…
Musique Journal -   L’ASMR non-intentionnel des vidéos de moulins à huile
Chargement…
Musique Journal -   L’ASMR non-intentionnel des vidéos de moulins à huile
Chargement…
S’abonner
S’abonner

L’autre jour je faisais une sauce de pâtes, en utilisant à la fois de l’huile d’olive et des olives grecques violettes (et aussi des câpres, de l’ail, du piment et des tomates). Pendant que je remuais gentiment les « Kalamata » en train de s’attendrir et de donner encore un peu plus de gras à la préparation, je me suis demandé comment on fabriquait l’huile d’olive et j’ai donc été voir sur YouTube. Sans surprise, j’ai trouvé des tutos pour faire sa propre huile, ainsi que des reportages télé « en région », façon J.-P. Pernaud ou France Télévisions avec une mise en scène paternaliste un peu nulle. En général il y a toujours de la musique au kilomètre derrière, cette espèce de « folksploitation » publicitaire, souvent associée au secteur « vie pratique ». Ça m’a en tout cas permis de comprendre un peu le principe de l’extraction de l’huile, mais à vrai dire je ne prévoyais pas non plus de tout de suite créer mon oliveraie quelque part sur le pourtour méditerranéen, et j’aurais pu très vite passer à autre chose. Seulement, je suis tombé sur un certain nombre des vidéos incroyables, sans voix off, ni bande-son relou, et qui réussissent à être aussi intéressantes sur le plan pédagogique que sur le plan esthétique.

La première que j’ai découverte, c’est celle des « huiles Robert » : elle est filmée très à l’arrache, comme la plupart des autres que vous trouverez dans cette playlist. Les plans longs sur les olives écrasées par le moulin, sous différents angles, à différentes étapes, avec le son du moteur : je trouve ça très apaisant, ça déclenche une sensation que les neuropsys doivent sans doute pouvoir expliquer. C’est la contemplation mêlée de l’automate, de la substance broyée, du mouvement répétitif et circulaire, c’est parfait pour se détendre tout en nourrissant littéralement les yeux d’une matière consistante et palpable. Je ne m’y connais pas assez en cinéma expérimental ou en documentaires d’art et d’essai mais j’aimerais bien savoir ce qu’en pensent les cinéphiles qui nous lisent.

Le son des huiles Robert n’est pas mal non plus, mais il reste relativement monotone et plat dans sa texture. Ce qui n’est pas le cas d’une autre sélection, « Fabrication de l’huile d’olive à l’ancienne », tournée en Italie (plus précisément à Imperia, en Ligurie, pas loin de la frontière française) et dont j’ai trouvé le rendu audio vraiment génial. On sait qu’il existe dans la communauté ASMR une catégorie appelée « uninentional ASMR », qui concerne les sonorités involontairement relaxantes sinon carrément voluptueuses, qu’il s’agisse de voix (celle de Phyllis de The Office est ainsi souvent citée) ou de bruits d’objets divers, et je crois que la piste audio de cette vidéo pourrait sans problème être intégrée à ce segment. À la différence près qu’elle contient entre autres des sons parfois abrasifs ou « lourds », mais qui restent hyper agréables à mes oreilles. Est-ce qu’on peut dans ce cas parler de « power ASMR » ? Le raclement des pelles sur la pierre, la tôle heurtée par une caisse ou un chariot, le tintement crissant des noyaux déversés sur le métal… Quelle beauté ! Je précise quand même, pour celles et ceux qui ne seraient pas sensibles à tout ça, que j’ai toujours adoré cet appareillage massif mais usé, pas forcément toujours super adapté et surtout pas du tout pensé pour être beau, uniquement fonctionnel avec ce que ça peut avoir de brutal et rugueux : c’est du futurisme d’une certaine façon, mais du futurisme redescendu de son nuage « marinettien » et qui doit composer avec les contraintes du monde réel et pesant, et oui ça fait beaucoup de bruit, mais ça ne donne plus à personne l’envie de guerroyer. Je me sens à l’aise, détaché, protégé des assauts de mon ego, quand j’évolue dans ces environnements de terrains vagues ruraux et d’artisanat pas du tout carte postale, mais pas industrialisé pour autant. Les images bruyantes de ces objets et de ces lieux qui fonctionnent encore, mais que presque tout monde ignore, sont vraiment très belles. L’approche « No Comment », seulement ponctuée de très courtes virgules de library music et d’écrans de petits textes explicatifs, m’a fait rêver d’une chaîne en continu spécialisée dans ce genre de « contenus » : ce serait une façon sibylline de s’instruire tout en se relaxant, et surtout de participer à la création d’une œuvre discrète, en tant que « récepteur-activateur » (c’est un peu comme être consomm’acteur mais sans aller chez Bio C Bon).

J’ai choisi des vidéos aux couleurs sonores diverses, qui évoluent entre des moments très soft et des passages plus « power ». « Moulin à huile traditionnel au Portugal » est feutrée, avec des images agrémentées de commentaires placés comme des sous-titres, ce qui donne au truc un côté vaguement « cinéma gauchiste ». On entend les gens discuter, on les voit aussi travailler mais aussi juste se balader dans l’atelier, on est parmi eux mais sans s’immiscer dans leur vie, comme c’est trop souvent le cas dans les reportages télé classiques, on ne leur demande pas de se soumettre au « media gaze ».

Il y a aussi plusieurs films tournés en Kabylie, dont un qui est un vlog au smartphone, où l’on entend le vidéaste intervenir en langue amazigh. Dans un autre, « Huilerie traditionnelle kabyle », l’artisan en chef, M. Ahcene, explique le processus face à la caméra en switchant entre amazigh et français, – un français qu’il parle en employant des tournures élégantes comme « une température avoisinant les 80 degrés » ou « elle va tiédir aux alentours de 25 degrés », tout ça sur fond de meule hypnotique. Je sais que ça peut sembler débile mais pour moi c’est précieux d’entendre et de voir ces phénomènes sonores et langagiers archivés quelque part.

Dans « Trituration traditionnelle d’olives au village de Tahla, province Taza, Maroc Partie 2 », on entend un peu de musique au kilomètre, mais elle est heureusement très très sous-mixée, et ça donne un truc incroyable parce qu’on dirait de la vaporwave à la Ferraro circa Far Side Virtual, en encore plus fantomatique car étouffée par d’autres pistes beaucoup plus fortes qu’elle : on a la voix du mec qui bosse, celle de celui qui lui pose des questions et qui filme, et parfois on entend aussi une voix féminine, et puis le vacarme ambiant. Le son est grésillant et brut, ça produit un effet de réel très fort et, en même temps, un effet de « composition » du paysage sonore qui aurait peut-être touché R. Murray Schafer. De toute façon, je me dis que toutes ces vidéos l’auraient au minimum intrigué, tout comme elles doivent aujourd’hui un minimum intriguer les gens qui travaillent dans le domaine de l’acoustique et du design sonore. La vidéo de la chaîne « La Kabylie profonde » (la région a l’air très active en termes d’huile d’olive) commence par une petite mise en scène avec deux jeunes types en plein air, de part et d’autre d’un gentil âne qu’ils chargent de sacs d’olives : j’aime bien cette tentative de fiction, surtout qu’elle s’arrête très vite, dès qu’ils arrivent au moulin, à peine une minute plus tard.

J’ai accordé une dérogation à une vidéo avec voix off et bande-son, tournée à Velaux, en Provence. Le commentateur n’a clairement pas l’air d’être un journaliste pro, peut-être qu’il est lui-même cultivateur ou fabricant, et il a un accent du Midi ample et généreux. La musique traditionnelle en accompagnement n’est pas terrible mais c’est toujours mille fois mieux que les propositions habituelles. C’est grâce à cette vidéo que j’ai pu apprendre le nom des grandes galettes en fibre végétale dans lesquelles sont pressées artisanalement les olives : les « scourtins ». Ça se dit tisnet en amazigh ou fiscolo en italien.

Je vais explorer ce monde secret des vidéos d’artisanat traditionnel DIY et voir si on y entend d’autres choses aussi captivantes. Pour le moment, j’espère déjà que que ça vous aura un petit peu intéressé, et que vous y penserez la prochaine fois que vous verserez un filet d’huile d’olive dans un plat ou une poêle. Bon et puis c’est bientôt l’heure de déjeuner d’ailleurs, donc bon appétit à toustes, peut-être à l’écoute de ces vidéos d’ASMR, accidentel mais néanmoins stimulant.

L’archipel basse fidélité de Lexi Disques

Le label Lexi Disques est un bastion belge de l’internationale pop underground. Nicolas Golgoroth nous en parle aujourd’hui en choisissant trois de ses disques préférés de leur si beau catalogue, à la direction artistique inclassable.

Musique Journal - L’archipel basse fidélité de Lexi Disques
Musique Journal - Un disque de reggae roots tellement terrible qu’il va faire cesser toutes les blagues nulles sur Jah

Un disque de reggae roots tellement terrible qu’il va faire cesser toutes les blagues nulles sur Jah

Avec le label I Grade, le groupe Midnite a mis les îles Vierges américaines sur la carte du reggae roots, jusqu’à en devenir un mètre étalon dans les années 2000. On écoute aujourd’hui l’admirable voix de feu son chanteur Vaughn Benjamin sur leur album Rule The Time, à la production somptueuse.

Pour passer un bon The Weeknd, mieux vaut écouter Miguel

Alors que Miguel vient de sortir un nouvel EP, Aurore Debret revient sur l’insuccès (relatif) du chanteur californien, sans doute trop lumineux pour résister aux ténèbres déployées par The Weeknd afin de défendre son titre de roi de la pop R&B.

Musique Journal - Pour passer un bon The Weeknd, mieux vaut écouter Miguel
×
Il vous reste article(s) gratuit(s). Abonnez-vous pour continuer à nous lire et nous soutenir.