Musique pour poste de radio laissé allumé dans une pièce vide

UNCHAINED Pic
Aizac Logistics, 2020
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J’ai entendu parler de Unchained, alias Nathaniel Davis, en lisant l’article de Nicolas sur Lexi Disques publié ici même la semaine dernière, puisque cet Américain installé en France (et plus exactement à Grenoble) a sorti un 45 tours sur le merveilleux label belge de Catherine Plenevaux. Ce guitariste est actif depuis le début du siècle et a édité des choses seul ou en groupe à travers les réseaux noise/psych/hypnago (sur des labels comme American Tapes ou New Images) mais depuis plusieurs années son projet Unchained flâne sur des chemins moins boueux, plus éclairés. Il s’agit de plages de guitare solo (même si on entend parfois une basse ou un clavier quasi figurants) dont les accents cristallins et la mélancolie ondoyante vous rappelleront sans doute Durutti Column ou Maurice Deebank de Felt, et plus récemment certains disques de Ducktails/Matt Mondanile. Que vous dire, à part que de cet album sorti l’an dernier uniquement en digital se dégage une beauté effritée, un sentiment de dignité dans la perte qui m’émeut beaucoup, une sorte d’héroïsme face à l’amertume. Le jeu de Davis ressemble presque à à un petit échauffement de guitare jazz, n’évolue jamais très loin de l’impro sans prétention, qu’on tente comme ça dans un coin, et d’ailleurs dans le texte de présentation de son précédent enregistrement l’Américain parlait des canapés ou des cuisines sur lesquels lui était venue l’inspiration de ces instantanés. Il y a quelque chose qui tient de l’anecdote dans ces morceaux, une anecdote pourtant essentielle, indispensable, une espèce d’accident qu’on aurait très bien pu louper et qu’il a pourtant réussi à isoler. À quelques instants près ça n’aurait pu être qu’un moment de grâce sans auditeur, comme un son miraculeux sorti d’un poste de radio resté branché dans une pièce inoccupée. D’ailleurs ça me fait penser qu’il y a dix ans j’avais écrit un petit truc dans cet esprit, pour la revue L’Annuel, une sorte de bonus de Faces B où il était question d’un disque qui ne se joue que lorsqu’on quitte la pièce où il est diffusé.

Certains morceaux de Pic (« Law », « Scorpion Reef ») dévient des arpèges de guitare pastorales pour se laisser flotter vers des zones périurbaines un peu plus angoissantes, mais dans l’ensemble le feeling de l’album (qui paraîtra d’ailleurs en cassette au mois de mai sur le label barcelonais anòmia) reste apaisant même s’il ne propose pas non plus de vraie issue et ne montre jamais trop la lumière. Il est en cela cohérent avec sa pochette, qui montre un joli paysage auvergnat vu par la baie vitrée d’une pièce sombre et vraisemblablement administrative, ou en tout cas pas destinée à être habitée. Si une station de radio passait ce disque et les autres disques d’Unchained en continu je pense qu’elle pourrait s’imposer dans certains espaces publics où l’activité, surtout en ce moment, se déroule au ralenti. C’est de la musique d’ameublement (d’ailleurs si vous ne l’avez pas encore lu je vous invite à découvrir le texte de David Toop dans le dernier Audimat où il parle entre autres de Satie, en des termes plus pertinents que la plupart de ce que vous lirez sur le compositeur français) au sens où elle ne peut pas être écoutée à fond : il est possible de discuter à voix plus ou moins basse, de l’entendre plus ou moins fort selon l’endroit où on se trouve, de ne pas s’arrêter sur un morceau plutôt qu’un autre. Et pourtant à mes yeux ça n’a rien à voir avec un disque de guitare jazz en pilotage automatique comme il en est sorti des centaines, notamment en France. À quoi tient cette différence ? Sans doute à ce que Nate Davis semble cultiver une approche très profonde de la légèreté de ce qu’il fabrique, ou qu’il ne surjoue pas le côté « impro » informel et arrive à prendre au sérieux les miracles de beauté qui peuvent en surgir.

Voilà, encore un disque de guitare ! Décidément, il va falloir que je fasse une playlist – voire carrément, comme je l’imaginais, lancer une webradio 100 % guitare solo, on pourrait peut-être choper un partenariat juteux avec Guitare Mag et les magasins de Pigalle. D’ailleurs à propos de playlist, mes amis de Section 26 m’ont demandé d’en faire une pour leur rubrique « Le Club du Samedi Soir » où ils invitent d’autres publications indépendantes à choisir 26 morceaux susceptibles de présenter leur ligne édito. J’ai sélectionné des choses uniquement francophones, pour la plupart déjà abordées ici, mais je me dis que c’est pas mal de les entendre toutes à la suite, et je dois même avouer que j’ai trouvé ça très fluide et très cohérent en parcourant le résultat. Ce sera en ligne le samedi 27 mars [edit : j’avais d’abord cru c’était ce soir, le 20 mars] sur leur site et en attendant vous pouvez écouter ici toutes les playlists Musique Journal réalisées pour illustrer certains de nos articles et stockées sur ma chaîne YouTube.

Bon weekend ! Et surtout n’oubliez pas de laisser la musique quand vous quittez une pièce, c’est pas top pour la planète mais c’est très important pour l’art.

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