Avant leurs tubes, les Espagnols de Mecano faisaient de la synth‑pop géniale

MECANO Mecano
CBS, 1982
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Musique Journal -   Avant leurs tubes, les Espagnols de Mecano faisaient de la synth‑pop géniale
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Jusqu’à récemment, je ne connaissais pas Mecano. Je ne savais pas qu’ils avaient vendu 25 millions d’albums, que Penélope Cruz avait été révélée par un de leurs clips et que Renault avait sorti une Clio « Mecano » accompagnée d’un mini-CD 4 titres en 1989. Certes, quand on me fait écouter « Hijo de la Luna », ça me parle (pas en bien) mais ça s’arrête là. Les « Beatles espagnols » ? Première nouvelle. 

L’Espagne, donc. Je n’ai pas de rapport passionnel avec mes origines (je porte le nom de Torres) mais c’est un endroit où je suis très émotive. C’est un point sensible qui me surprend parfois par son intensité. Entendre parler espagnol me réjouit et m’apaise, ça a le même bruit que les conversations d’adultes quand on s’endort enfant, oublié·e sur un canapé. Tu me parles d’antifascisme ibérique, je peux chouiner facile. (Je dis ça pour poser le contexte.) 

C’est comme ça qu’un dimanche, alors que je cherche à écouter tranquillement un épisode de l’émission d’Amaury Chardeau sur France Culture, Juke-Box, je choisis celui qui porte sur l’Espagne du tournant des années 1980. Dans cette émission, le journaliste raconte une scène musicale en situant son ancrage géographique et le contexte politique de l’époque. C’est une merveille de récit, de transmission d’atmosphères, de précision historique et de musique à tomber par terre. Elle a également le mérite de sortir la musique du giron occidental dans lequel la confinent la plupart des médias. 

La période qui suit la fin du franquisme, la Movida, m’a toujours semblé nébuleuse. Mon rapport à l’Espagne du passé concerne plutôt les mémoires de 1936 (chez Lydie Salvayre, Tancrède Ramonet ou Michel Ragon) ou plus proche de nous, ses évocations chez Virginie Despentes. Mais les années 1980, non, je ne les avais jamais visitées (malgré un petit mal du siècle entretenu avec cette décennie). L’épisode commence à peine que Chardeau clôt son introduction par la diffusion d’un premier morceau : « Hoy No Me Puedo Levantar » (« Aujourd’hui je ne peux pas me lever ») de Mecano, groupe déterminant de cette époque, composé de la chanteuse Ana Torroja et des deux frères Cano, Najo et José Maria. Là, à ma grande surprise, j’ai soudain les yeux humides. Ce morceau inconnu me tire des larmes aussi subites qu’incongrues, vu le caractère enlevé et joyeux de cette histoire de gueule de bois étourdissante. Il faut me comprendre : comment voulez-vous, à l’heure actuelle, que l’évocation de douleurs aux jambes, aux bras, aux yeux et aux mains (sic) d’avoir trop ri, bu et fumé pendant tout un week-end ne me brise pas un petit morceau du cœur ? C’est comme regarder une fête battre son plein à l’extérieur alors qu’on est cloitré·e dans sa chambre, puni·e pour les six prochains mois (sauf que là on regarde dans le rétroviseur, à travers les époques, et non par la fenêtre). L’émission avait commencé depuis 1 minute 30 que j’avais le cerveau plein de cheveux en pétard, d’eyeliner qui a coulé, de petites rues étouffantes, de fringues en cuir, de synthé insolent et de sangria.  

S’il faut trouver d’autres raisons à l’émotion, on remarquera qu’il y a quelque chose de très mélancolique dans la synth-pop bondissante de Mecano. Sorti en 1982, ce premier album est marqué par une espèce d’urgence, un sentiment déchirant aux entournures. Cette sensibilité exacerbée est du même type que l’ivresse qui nous empêche de savoir si on est extrêmement heureux ou extrêmement triste (alors qu’on passe juste de l’un à l’autre en un battement de paupières). Les chansons parlent de se sentir perdu·e dans sa chambre, de dîner à Paris ou de boire des bières l’après-midi sous l’effet de l’ennui.

Tout l’album est génial, un peu cheesy, mais même pas tant que ça. Pour être honnête, je ne sais pas si c’est mon oreille qui a pris goût à tout ce qui va de l’italo-disco au boogie polychromatique, ou si le disque a réellement bien vieilli. En tout cas, quand on le compare aux autres albums du groupe (je n’ai fait que les survoler mais dès le suivant, sorti en 1983, le charme sur moi opère moins), le son du premier est unique. C’est un de ces albums dans lequel chaque chanson vaut le coup et qui maintient en même temps une cohérence interne. Le global et le particulier fonctionnent tout autant. C’est extrêmement dansant, on trouve partout cette rythmique typique de la new-wave qui fait se balancer le corps d’un pied sur l’autre (voyez plutôt Ana Torroja, même son petit style est assez actuel). Il y a aussi des changements de rythmes inattendus, avec des collages de phrases musicales qui n’ont rien à voir les unes avec les autres, au sein d’une même chanson. Je me surprends à préférer aux morceaux calmes et sentimentaux les titres les plus hardis, uptempo, qui tapent sur le crâne à coup de casseroles en cuivre. « Me Colé en una Fiesta » ou « Maquillaje » par exemple, synthé strident et batterie qui tambourine, donnent des envies de pas chassés entre les Abribus.

Le groupe se sépare en 1992 et les rumeurs de reformation vont éclore à intervalles réguliers jusqu’à 2012, sans jamais se concrétiser. Quant à la Movida, le parallèle avec notre époque a quelque chose de confondant. L’épisode de Juke-Box l’annonce en ouverture : « En 1975, débarrassée de Franco, l’Espagne redécouvre la démocratie. La censure et la justice d’exception disparaissent, l’ancien ordre moral vole en miettes, ou plutôt en confettis ». Remplacez Franco par Macron et on pourrait y être. Reste plus qu’à croiser les doigts, en espérant qu’on remercie le second comme on a enterré le premier, avec autant d’éclats et de bienfaits pour les arts, la culture et la jeunesse. En attendant le premier album de Mecano est la meilleure recette pour prévoir, dès qu’on pourra, de s’appliquer trop d’eyeliner, se saouler à la sangria et rentrer chez soi en pas chassés, le plus tard possible. 

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