Un titre efficace ne fait jamais de mal et j’imagine que vous avez compris de quoi il s’agit aujourd’hui : un « live@home » en multiplex qui enchaîne de façon millimétrée (et post-produite, certes, mais on distingue à peine les coutures) certains des plus gros tubes R&B des années 1990, avec les interprètes qui sont là chez eux, en train de tout donner depuis leur canapé. Il y a Ginuwine, Montell Jordan, SWV (qui sont toujours aussi incroyables), Brownstone (trop fortes elles aussi), Jermaine Dupri, Da Brat, Ma$e, Dru Hill avec Sisqo qui fait son intéressant, Missy (eh ouais, carrément !), et aussi 112, Next, Soul4Real, Gina Thompson, Adina Howard, c’est vraiment la dream team. Le mec qui anime tout ça, DJ Cassidy, est une figure de l’industrie (il a joué à l’investiture d’Obama et au mariage de Jay et Beyoncé), c’est cool qu’il ait réussi à réunir tout ce monde pour ce programme associé à SoulTrain et BET mais ça ne l’empêche pas d’être crispant, il faut bien le dire. Heureusement l’agacement se dissipe vite quand on voit défiler les artistes et leurs tubes. On pourrait faire un groupe Discord ou Clubhouse pour parler des intérieurs des artistes, de l’abondance de cuir et de chapeaux, du sourire de Taj de SWV, de la gestu de Teisha Brown de Brownstone, de l’entrée « GRS » de Sisqo, du charme discret des chanteurs R&B d’âge mûr (la palme revient sans doute à RL de Next, à sa barbe, son col roulé, son air de R&B dad jamais contre une petite vocalise). Il faudrait aussi évoquer à quel point ces morceaux qu’on a tout de même beaucoup, beaucoup entendu en France à la grande époque des chaînes musicales et d’Ado FM ont pour la plupart tous gardé leur attrait et leur groove – parfois ils se sont même carrément bonifiés –, peut-être parce qu’une bonne partie d’entre eux sont plutôt des balades ou des slow jams que des gros bangers, des morceaux de tendresse et de mélancolie plus que des machines à turn up. Bref, je ne fais que lancer des pistes et pour le moment je vous invite surtout à visionner ces vingt minutes (plutôt dix-sept en réalité puisque les trois dernières sont occupées par Wyclef qui casse l’ambiance avec sa guitare sèche) qui devraient, comme on dit, vous donner la banane, vous foutre le smile, faire rayonner un peu de soleil dans vos cœurs en ce début de weekend de Pâques où le ciel blanc est revenu sur Paris après trois jours de beau temps. Un beau temps aussi inattendu qu’éphémère, je le savais, j’ai tout de suite deviné son délire « no strings attached » quand il est arrivé mercredi, ce petit salaud, encore un gros égoïste qui a peur de l’engagement.
Je me suis demandé ce que donnerait une version française de cette vidéo et je pense que ce serait certainement super, quoique probablement moins tight en termes de montage et de logistique. Une chose est sûre c’est qu’on y verrait beaucoup K-Reen, notamment sur les classiques « Tu me plais » avec Def Bond et « Savoir dire non » avec Shurik’n. Au-delà de ces hits totalement inusables, la chanteuse a sorti en 1998 un premier album presque entièrement produit par Cutee B, un beatmaker et musicien bien connu des milieux rap/R&B de l’époque en France, qui pratiquait un son moelleux, d’inspiration jazz-funk et soul, mais qui claquait quand même suffisamment pour accompagner des rappeurs. Et on entend d’ailleurs plein de rappeurs et rappeuses sur ce LP, par moments ça peut même ressembler à un album collectif autour de K-Reen, ou à une mixtape « hip-hop soul », mais en tout cas c’est un disque que je prends beaucoup de plaisir à écouter en dépit de ses défauts – je pense notamment aux interludes avec le Saïan, qui font mal à la tête, et à des titres un peu génériques en fin de tracklisting. K-Reen a cette personnalité très digne et pudique dans ses textes, une écriture appliquée, un côté bienveillant et presque chrétien, associée à une voix et une dextérité sans pareil. Dans la première chanson, elle s’adresse à un garçon pour le rassurer, l’aider à surmonter, justement, sa peur de l’engagement : « Tu te sentiras moins laid dans ton cœur / laisse-moi te guider / à l’intérieur se sache peut-être un diamant ». Ce que j’aime beaucoup aussi chez elle, c’est qu’elle écrit souvent des phrases assez longues qui du coup s’étalent sur plusieurs vers (comme certains textes de JoeyStarr, dans un autre genre) et qui lui font réaliser de fréquents « enjambements », comme on dit en versification. C’est le cas sur le track suivant « Au bout de tes rêves », avec la FF, où son deuxième couplet s’enchaîne sur un couplet de Luciano en pleine effervescence multisyllabique. Il y a du gros niveau de rap sur le disque, on entend le trop rare et pourtant très charismatique Nob de Rootsneg (groupe dont faisait au départ partie la chanteuse) et bien sûr Oxmo sur l’un des autres tubes (« Choisis », au sujet de l’éternel problème de la jalousie et de l’infidélité, que la chanteuse traite avec une certaine lassitude, mêlée d’amertume). Les allitérations et assonances d’Oxmo (« Ton mec est nul et même bigleux »), les changements d’accords, les arrangements, le sample du son de « Supa Star » de Group Home (qui lui-même vient d’un track de Cameo), c’est juste hyper LOURD, je peux pas le dire autrement. Le level se maintient assez bien sur le reste du disque, et bien que je sache mon cœur parfois atteint de nostalgiquescence, je crois que ça n’en fait pas moins un album très, très sous-estimé de l’histoire de la musique française. K-Reen en parle dans cette récente interview sur la chaîne d’un YouTubeur R&B du nom de Steevy et elle souligne en outre que ses productions suivantes ont été encore plus ignorées. En l’entendant parler et en voyant les questions très précises et passionnées de Steevy, je me suis dit sans rigoler du tout que ce serait pas mal d’écrire ou de réaliser une histoire orale du R&B français, qui sans souffrir de préjugés aussi bourrins que le rap a néanmoins subi un traitement parfois très vicieux de la part des médias et de l’industrie. Notamment parce qu’il était vu comme un genre moins « noble » que la soul au sens Aretha Franklin/Marvin Gaye du terme, mais aussi parce que ses artistes, même les plus doués vocalement, comme K-Reen, se retrouvaient souvent relégués au rang de choristes, de personnages secondaires, pour le dire simplement réduits à des fonctions de Noir·e·s de service qui auraient « naturellement » une belle voix mais qui ne peuvent pas non plus être de grands artistes au sens français/variété/Laurent Boyer du terme. C’est une question qui est déjà traitée dans les discours progressistes et elle est en ce moment même mise en évidence par « l’affaire Pépita », mais elle serait sans doute intéressante à traiter au prisme de ce secteur musical. Bref, bon weekend pascal (sevran).
PS : d’ailleurs pour fêter Pâques, que vous soyez ou non chrétien, je vous encourage à cliquer sur ce thread Twitter du compte Secular Sanctified qui propose un panorama de la « Black [American] Religious Music », en naviguant de ville en ville et d’État en État, c’est merveilleux et c’est hyper varié, je vous laisse apprécier – merci à mon cher Guillaume Heuguet de m’avoir aiguillé.