Pop lo‑fi pour vie en haute fidélité : Fievel Is Glauque a sorti le plus beau disque de ce début d’année

FIEVEL IS GLAUQUE God's Trashmen Sent to Right the Mess
"la Loi", 2021
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Musique Journal -   Pop lo‑fi pour vie en haute fidélité : Fievel Is Glauque a sorti le plus beau disque de ce début d’année
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Janvier fut un mois particulièrement froid, pas particulièrement lumineux, un peu cotonneux. Un temps à traîner en pantoufles, sur le parquet à moitié chauffé par les radiateurs, l’ordinateur et la radio à proximité. Un temps à fouiller les recoins de ce qui reste accessible, Internet par exemple, en quête de quelque chose qui saurait compenser le cruel manque de luminosité (et de vie sociale). Et parfois, sans même fouiller réellement, on trouve. Sur la page d’accueil de Bandcamp, je tombe sur leur album du jour : God’s Trashmen sent to right the mess de Fievel Is Glauque. Le morceau d’ouverture, « The Perfect Idiot », de la pop lo-fi aux accents jazz et bossa, construite sur un BPM haletant et une suite harmonique lumineuse, laisse déjà entrevoir la singularité du disque. C’était une agréable surprise, assez émouvante en réalité, de voir le nom de ce groupe sur un site aussi populaire que Bandcamp, car il m’était déjà très familier.

En mars 2019, j’ai fait la connaissance de Ma Clément, chanteuse du groupe. C’était au Rumsteek, à Bruxelles, spot inclassable et boisé dans lequel nous avions joué avec Dragon du Poitou au cours d’une tournée avec PPaulus & Frère, sautillant duo strasbourgeois. Ma était alors l’une des habitantes du lieu, et participait énergiquement à son activité avec l’organisation d’évènements. Mais notre vraie rencontre eut lieu quelques mois plus tard, dans un cadre qui ne promettait pourtant pas grand chose sur le papier : une aire d’autoroute sur l’A1 où fit escale le Ouibus qui m’emmenait de Paris à Bruxelles. Café en main dans le froid hivernal, j’ai vu Ma s’avancer vers moi et me dire qu’elle avait l’impression de m’avoir déjà croisée, « tu joues pas dans Dragon du Poitou ? ». Nous avons fini le trajet en bus assises côte à côte, à discuter de tout, notamment de musique, et ce fut le début d’une amitié profonde qui dure encore aujourd’hui. Je me souviens parfaitement de ce moment, j’ai les images et leurs détails, il semble s’être inscrit comme tel dans ma mémoire.

Ce n’est pourtant pas le fait qu’elle soit dans mon cercle d’ami·e·s qui motive l’écriture de ce papier, car si Ma m’avait certes mentionné le fait qu’elle chantait dans un groupe, je n’avais jamais entendu le son de sa voix de chanteuse, ni même ne serait-ce qu’une seconde de la musique de Fievel Is Glauque. La découverte eut lieu lors de ce froid matin de janvier 2021, et cette impression de chaleur immédiate provoquée par les premières notes de l’album demeure aujourd’hui intacte.

C’est peut-être cette fin de mars printanière qui m’a donné envie de lui apposer une bande-son idéale, à savoir cet album. C’est peut-être par envie de retrouver le moment, celui de la rencontre avec cette amie, l’écouter et l’entendre me donnant le sentiment de sa présence. Et puis peut-être juste l’envie de trouver le moment du moment, ce petit interstice temporel sans nostalgie ni projection. Considérer l’interstice de loin, le regarder et le contempler pour ce qu’il est. L’album est un délicieux mélange de genres, une collection de vingt titres dépassant rarement les 2 minutes 30, pour une durée totale de 35 minutes : un format punk pour une musique mélodieuse au possible,  harmoniquement riche, pensée par Zach Phillips et transcendée par le timbre chaleureux de Ma. De petits joyaux, qui se présentent comme autant d’alliances entre la pop et le jazz, la bossa nova et le hip-hop, du Stereolab en ballade avec Cortex, faisant coucou de loin au Caetano Veloso resté au chaud dans son cocon tropicaliste de 1967. Originaire du New Hampshire et new-yorkais d’adoption, autodidacte et touche-à-tout, Zach Phillips est aussi à l’origine des projets Blanche Blanche Blanche et Perfect Angels ainsi que de « la Loi », label bâti sur les cendres du précédent, OSR, et dont God’s Trashmen est la première sortie. Récemment débarqué à Bruxelles, il fascine par cette clairvoyance sur ce que peut/devrait être la musique, ou en tout cas sur ce qu’il aimerait qu’elle soit, et par cette insatiabilité créatrice. Ma et Zach associent leurs énergies à celle d’une trentaine de musicien·n·e·s, réparti·e·s en cinq groupes. Un projet aux allures pharaoniques.

Et pourtant, Zach et Ma se présenteraient plus comme des anti-pharaons. Une volonté de justesse, ni trop ni trop peu, mais aussi de décélération du temps, pour contrer la vitesse ambiante. Si les confinements ont souvent ralenti les rythmes de vie, Internet et le consumérisme digital battent encore des records, d’autant plus dans ces périodes de vie sociale fragmentée qui laissent une place importante aux échanges virtuels. « Nice to e-meet you » m’a d’ailleurs dit Zach par mail. Ce rôle de ralentisseur temporel, c’est Ma qui semble l’apporter, à travers un équilibre existentiel qui se ressent dans sa manière de chanter. Une voix chaleureusement habitée, qui tient presque lieu de constante vitale parmi les mélodies jouées par les instrumentistes, à la manière d’un pouls parfaitement régulier. Peu importent les musicien·n·es derrière elle pour accompagner sa voix, Ma reste droite dans ses baskets, et apporte une douce lueur enveloppante.

Anti-pharaonique encore, car ce que le groupe offre avec cet album, ce sont des enregistrements de répétitions, le genre d’enregistrements que l’on qualifie souvent volontiers d’« à l’arrache » : un simple enregistreur cassette mono Marantz a recueilli les performances en direct des instrumentistes réuni·e·s dans une pièce. Il y avait un nombre conséquent de possibilités d’enregistrement pour ces chansons, décrites sur le Bandcamp comme étant « les morceaux de cinq albums hypothétiques différents », et aussi la possibilité d’en faire quelque chose de léché, de plus produit. C’est précisément ici que vole en éclats la définition de ce qui est (bien) produit et de ce qui ne l’est pas, de ce qui est poli, soigné, précieux, ou ne l’est pas.

L’élégance de l’album est indéniable et la beauté des chansons tient aussi (surtout) au fait qu’elles aient été laissées dans cet écrin brut du présent de l’enregistrement. Les extraire de ce même interstice riche en échanges inter-humains, riche de cette énergie vitale communiquée les un·e·s aux autres, reviendrait à dénaturer l’essence même de ce qui fut créé lors de ces sessions, par accident, volontaire ou non. Au-delà de cette évidente honnêteté du geste, réaliser ces sessions en studio, avec un matériel conséquent, un mixage différent, une intention de fait différente, serait une démarche tout autre, une forme de dé-fixation de l’instant. Par le délai naturel impliqué par une production en studio, composée de plusieurs prises, ou plus simplement par le délai entre l’enregistrement, l’écoute, la sélection de pistes puis le mixage. Ici les quatre étapes semblent être niées au profit de l’encensement de l’instant. Les 20 titres sont des moments, dans ce qu’ils ont de plus simple, de plus inattendu. Le fait qu’il existe des partitions pour ces chansons ne corrompt en rien le fait que ce qu’il se passe à un moment précis entre plusieurs être humains jouant ensemble soit imprévisible. Ce sont toutes ces imprévisibilités qui sont constitutives de la joie naturelle qui se dégage de l’album. Un magnifique premier album, déconcertant de sincérité, au sein duquel Ma Clément et Zach Phillips semblent avoir trouvé le lieu parfait, à distance idéale, pour pouvoir contempler, puis investir, le temps de l’instant, le moment du moment.

NB : le nom du groupe est une référence au personnage principal du très beau long-métrage animé Fievel et le Nouveau Monde (An American Tail), réalisé par Don Bluth et produit par Steven Spielberg, sorti en 1986. Fievel et sa famille sont des immigrés russes juifs qui débarquent à New York à la fin du 19e. Fievel étant à l’origine le prénom du grand-père maternel de Spielberg. Le film connaîtra trois suites nettement moins intéressantes dans les années 1990 et 2000, dont sera absente la mélancolie diffuse du premier opus.

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