La musique, le cœur et les masques

Jahug Behind your mask
Jahug, 2021
Barry Isaacs, WInston Reedy, David Jahson, The Inn House Crew, Fish The Face Covering Riddim
Room in The Sky, 2020
Dubcup & Henry Matic NATION'S LOCKDOWN
Dubcup, 2020
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Musique Journal -   La musique, le cœur et les masques
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C’est un fil, et comme tous les enfants le savent, les fils, c’est fait pour tirer dessus. Le début du fil, c’est d’abord une histoire de masques.

Aaaah ! C’est si bon ! J’ai trouvé ce disque il y a quelques mois, en fouillant dans un bac de CD chez un disquaire à Londres. Je me souviens très bien de la scène. N’ayant que quelques minutes pour faire le tour du rayon, j’étais en train de faire s’entrechoquer à toute vitesse (Tac ! Tac ! Tac !) les boîtiers de disques pas chers quand, simultanément :

* je suis tombé sur le visuel de The Face Covering Riddim. Magnifique ! Je précise : j’adore les masques chirurgicaux, les masques canards, les masques en tissu, j’en ai mis de toutes les formes, j’en ai porté jusqu’au bout, je suis un des premiers à en ressortir au boulot dès que ça chauffe un peu, au grand étonnement des mes collègues. C’est mon truc, politiquement et esthétiquement. Si je pouvais j’en mettrais un différent chaque jour, avec pour chacun une nouvelle inspiration animale, le masque oie, le masque girafe, ragondin, lama, etc. À raison de 365 masques par an, j’en aurais pour un paquet de siècles avant de faire le tour. J’ai donc tout de suite été ému en tombant sur The Face Covering Riddim. Il se trouve qu’en plus (cadeaux des dieux farceurs du hasard) le bonhomme masqué sur la pochette ressemble beaucoup à un ami, ami qui aime infiniment le reggae ET la musique masquée de Underground Resistance MAIS a une sainte horreur des masques chirurgicaux…

* … et (au même moment donc) un être étrange et flamboyant est entré dans le magasin en chantant à tue-tête, laissant déferler le flot de sa voix (en pleine décompensation, sans aucun doute, et pleine de grâce, ça aussi c’est certain). Sa voix : quelque chose à mi-chemin entre Oscar Brown Jr et Linton Kwesi Johnson. 

C’était trop de signaux au même moment, trop d’étoiles filantes d’un coup, c’était parfait, j’ai payé le disque et je suis sorti. J’ai pas mal écouté l’objet depuis, c’est un canard boiteux que j’aime beaucoup, un petit machin plein de fougue et de bons sentiments, c’est cool. Le riddim va, il vient, il saute de pistes en pistes comme attendu. Parfois, il voyage, il fait un peu de vaudeville, façon piano sous l’eau pendant que descend le Titanic du haut vers le bas.

Les noms ne me disaient rien, j’ai cherché un peu, c’était comme toujours comme entrer des poèmes dans le moteur de recherche, qui ne sait pas du tout quoi en faire. Et alors, la suite du fil : à force de chercher un peu, l’algorithme avançant par ailleurs m’a-t-il semblé complètement à l’aveugle (ce qui évidemment est très ironique quand on y pense), j’ai fait une nouvelle rencontre. Cette fois j’ai eu l’impression de changer complètement d’atmosphère, comme si j’étais un plongeur avec des bouteilles changeant soudainement de profondeur, passant d’une couche d’eau tiède à une autre nettement plus froide et dense, pleine de mérous mutiques et d’oursins musicaux. Quelques dizaines de minutes dans cette zone, je fais des bulles, je note bien l’adresse pour y revenir plus tard et puis…

La suite, encore, du fil – à quel moment ça cesse d’être un fil que je tire pour devenir carrément une vraie corde ?

On tombe parfois sur des merveilles absolues sur Youtube, qui cumulent 15 vues quand on y arrive, et c’est à se demander s’il n’y a pas une scission groupusculaire qui s’opère à l’intérieur du flot mécanique terrifiant qu’est YouTube toujours réveillé… toujours actif… toujours en train de dégouliner plus loin dans chaque interstice sociomental… ronron de la menace totale. Une véritable scission, avec un petit noyau d’ordis qui te cible personnellement pour t’envoyer à toi spécifiquement le carburant poétique dont tu as spécifiquement besoin pour imploser une fois encore. Comme ça, par exemple.

Mais qui est Bongo Carl I ? Aucune autre référence sur YouTube. Même pas 20 vues. Ça m’a pris un petit moment (je ne suis pas très organisé), mais j’ai fini par me rendre compte qu’il s’agit en fait de Carl Gayle, aka Carl I, aka Healing, aka Jahug (des fois). Carl Gayle, combattant de l’ombre de la musique. Chanteur, journaliste, parolier qui n’a jamais laissé tombé le beau reggae politique, galérien splendide de la poésie. On lui doit l’une des seules interviews sérieuses de King Tubby, si j’en crois ce que j’ai lu en ligne. Sa voix, douce et forcenée en même temps, me fait dresser les poils sur la peau elle a quelque chose du timbre unique de Nitty Gritty, tout en étant très particulièrement différente, vieillie, un peu mangée, un peu repliée sur elle-même.

Le fil ou la corde, à force de tirer dessus, finit pas casser.

Et voilà que tout cela me mène à Pas-du-tout-où-je-voulais-aller, dans le pays complètement inattendu d’une certaine histoire de la presse musicale underground et amoureuse. Car le nom de Carl Gayle, les quelques textes et l’interview que j’ai trouvés de lui, tout cela forme une petite constellation qui est comme un filet de pêche miraculeux, et celui qui le tire hors de l’eau fait remonter tout un tas de nouveaux noms-poèmes… à commencer par l’inoubliable Jahugliman, merveilleusement belle (à contempler) publication underground qui a sévit quelque part entre 1978 et 1982 (ou après ?), un zine du feu de dieu entièrement rédigé en créole jamaïcain. De ce que j’en ai vu ça parlait de musique, de religion, d’amour, de poésie, et de politique bien sûr. Un peu avant, entre 1973 et 1977 précisément, Gayle a fait partie de l’aventure du très célèbre et très culte magazine britannique Black Music. Il édite toujours un magazine ; Jahugliman est donc devenu Jahug nom d’un objet protéiforme et pas vraiment défini, à la fois artiste et label, sur lequel est paru l’année dernière un album qui donne très envie , réduction d’une beauté à crier.

Et voilà donc une nouvelle étoile dans mon ciel mental, Jahugliman & friends, Carl Gayle aka toute une vie à chanter et à écrire sur la musique, la musique du cœur, avec la colère intacte qui rayonne par toutes les fenêtres, et tout un tas de pelotes de laines qui traînent, et de chaînes un peu rouillée, et de câbles jack, des fils à tirer, des fils à tirer de partout.

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