Sandy Denny, la mélancolie et son remède (mais dans une posologie pas vraiment homéopathique)

Sandy Denny Sandy Denny, homéopathie automnale
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« Quand vient l’automne, toutes les feuilles tombent et mon cœur pleut des larmes longues… » Quand ça vient, qu’on doit se réveiller alors qu’il fait encore nuit et qu’on frissonne parce que, ça y est, il est bel et bien fini cet été, comme les autres. Quand ça vient (quand ça tombe, faudrait-il dire), chacun son truc, moi, j’ai un petit tropisme Sandy Denny.

C’est-à-dire que j’en rajoute.

Je me love dans le lancinant, je me plonge, non pas dans les larmes longues, mais dans la voix longue comme les bras de Monsieur Chatouille de Sandy Denny, et je m’y repose, je m’y ressource de toutes les vibrations folk possibles. C’est ma petite médecine parallèle et je vais vous faire une prescription en trois titres pour soigner par le mal cette inflammation de l’âme qui naît invariablement en cette fin de mois de septembre.

Attention, ce traitement musical est fortement déconseillé si vous êtes allergique à la folk la chanteuse, qui fut celle de Fairport Convention en compagnie de Richard Thompson, n’emprunte pas d’autres chemins que ceux de la folk rock, du rock folk, c’est selon. Dans ce chant, on sent aussi les racines celtes, une certaine campagne anglaise, « dessinée au pinceau plutôt qu’à la charrue » comme disait ce bon vieux Turner.

Sandy Denny aurait dû, aurait pu. Ce conditionnel passé qui sied à tant de génies oublié·es lui va plutôt bien pour deux raisons : parce que sa vie fut bien courte ; parce que ses chansons ne cessent de reformuler ce qui n’adviendra pas, ce qui n’adviendra plus.

Parfois, c’est tout à fait moyen, parfois, c’est tout simplement grandiose.

La preuve du grandiose ici, en trois morceaux dont deux tirés de Rendez-vous, son album paru un an avant sa disparition, en 1977. Je vous déconseille à vrai dire une écoute intégrale de l’album, qui tire un peu trop sur la guimauve, tout en sons grandiloquents et parfois dégoulinants, MAIS sauvez, s’il vous plaît, ces deux morceaux impeccables.

« I’m a Dreamer » est une ballade et une balade. Je sais, c’est facile, mais c’est vrai. C’est une petite chanson et une promenade. C’est une musique d’itinérance, comme une marche à travers la campagne, peut-être même avec la mer pas loin, qu’on rejoindrait à pieds, dans les Cornouailles sûrement. Les feuilles auraient commencé à tomber. En écoutant le morceau, on sait qu’on va arriver au bon endroit, au bon moment juste avant la pluie pour se blottir dans un fauteuil, fut-il rocking-chair my dear, que l’on finira par se balancer doucement en rêvant à toute cette nature, bercée par une voix qui n’a jamais appris à mentir et ne peut donc qu’hésiter, parce qu’elle ne délivre pas un art rhétorique, elle cherche une communion, une réminiscence, une oreille sensible aux mêmes mouvements d’humeur qui soufflent comme le vent dans les chemins.

Et ça pourrait finalement être une envie de partir loin au Kentucky puisque c’est ce qu’elle dit. Le Kentucky, pays du bluegrass, de la country, d’un autre folk rock.

« When the music’s playing, that’s when it changes,
And no longer do we seem like total strangers.
It’s all those words which always get in the way
Of what you want to say. »

(« Quand la musique joue,c’est à ce moment là que ça change,
Et nous n’avons plus l’impression d’être totalement étrangers,
Ce sont tous ces mots qui font obstacle
À ce qu’on veut se dire. »)

C’est toujours intéressant de voir comme les auteurices de chansons dévoilent presque involontairement l’effet qu’iels font au travers de leurs créations : Sandy Denny énonce à la fois ce qui sera et ne sera pas, les mots et ce qui échappe aux mots. La structure musicale de ses compositions est tout aussi ambivalente. Elle a deux langages pour évoquer la déclinaison de ses saisons intérieures et offre dans ses accords de piano et de guitare des successions de sensations, de couleurs, de présent, de futur, qui nous réconcilient avec Carpo, fille de Zeus et de Thémis, souveraine de l’automne, qui appartient aux Heures, les déesses grecques qui décident des saisons.

Un autre bonbon au miel est à écouter dans cet album Rendez-vous comme un possible à vivre qui n’aura pas lieu et qui s’incarne dans le « no more » de « No More Sad Refrains ».

Quel titre. 

On préfèrera le traduire comme ça : « Plus jamais de refrains tristes » pour éviter qu’on y comprenne le sens positif de « plus » (davantage de refrains tristes) et aussi parce que « no more » est plus définitif que « plus de ». Le mot « refrains », en anglais, quant à lui, n’est pas souvent choisi pour parler de refrains ; c’est subtil, il a bien ce sens, mais on utilise en général le terme « chorus », le choix de « refrain » insiste sur l’idée de rengaine répétitive, de complainte. Et c’est une mise en abyme sous la forme d’un pied de nez, parce que la chanson ferait vibrer tous les violons des cœurs les plus arides. 

Les cordes arrivent d’ailleurs tout de suite au début de la chanson après cette amorce en quatre notes de basse qui plantent l’ambiance 70s du morceau, et elles accompagnent le piano sans dysharmonie, sans décaler le propos tout au long du morceau, organisant un arrangement d’un lyrisme musicalement très démonstratif qui pourrait provoquer l’irritation s’il se faisait sans cette voix d’une sincérité bouleversante.

Sandy Denny, on dirait qu’elle va crever de cette vie quand elle chante et c’était sans doute une prémonition inconsciente de la chanteuse qui induisait ce vibrato brut au fond rocailleux qui souffle ses propres mots. Il n’est pas question d’automne ici, mais bien d’hiver qui se finit et de l’espoir renaissant du printemps qui s’annonce :

« And when these winter days are over, I need to set myself upon my feet »

(« Et quand ces jours d’hiver se termineront, il faudra que je me remette sur pieds ») 

Un vers qui dit le futur qu’on voudrait, comme un addict qui arrête demain. Demain, j’arrête d’être malheureuse, semble dire Sandy et on y croit avec elle, pour elle, pour nous. Des mots qui se transforment en prière ou en promesse, c’est selon : 

« I’ll see me as something that I have never been
And I’ll pick up the pieces that will make the girl complete »

(« Je me verrai comme quelque chose que je n’ai jamais été
Et je ramasserai les morceaux qui feront de moi une fille complète »)

Bien sûr qu’on veut que cette réparation ait lieu et on se laisse alors prendre par un solo de guitare qui continue à geindre la douleur de ne pas y arriver tout en affirmant qu’on va le faire. Et que fera la chanteuse une fois guérie, une fois complétée ? 

« I won’t linger over any tragedies that were
And I won’t be singing any more sad refrains »

(« Je ne m’attarderai plus sur mes tragédies d’hier
Et je ne chanterai plus de refrains tristes »)

Pourtant on ne veut rien d’autre que ré-écouter « No more sad refrains » à la seconde où le morceau se termine. On veut l’automne, on veut voir le moment où la nuit tombe et celui où le soleil se lève.

On en veut de l’équinoxe.

Le troisième morceau n’est sorti qu’à titre posthume et sous des formes de démos à partir de 1974, de la plus brute à la plus arrangée. Son ossature musicale et littéraire est indestructible : il s’appelle « By The Time It Gets Dark ».

Quelques accords de guitare et une épure de la mélodie qui étirent son art de la composition folk vers quelque chose de plus pop Yo La Tengo ne s’y trompera pas en reprenant le titre en 2010.

Au fond, on s’en fiche, si c’est pop, si c’est folk, c’est une si belle chanson et un remède des plus efficaces aux jours qui se raccourcissent parce que, toujours avec sa voix tendue vers son aigu légèrement rauque et en tenant ses syllabes plus longtemps qu’il ne le faudrait, Sandy nous dit : 

« Maybe by the evening we’ll be laughing
Just wait and see all the changes there’ll be
By the time it gets dark. »

(« Peut-être que ce soir on rigolera
Attends un peu et tu verras tout ce qui peut changer
Avant que la nuit tombe. »)

Et on sent qu’elle se persuade en même temps qu’elle nous persuade. Bien sûr, ça ira mieux plus tard, ça ira mieux après.

« Got to be free as the leaves in autumn
You may be sad but it never lasts. »

(« Soyons libres comme les feuilles en automne
Tu es peut-être triste mais ça ne dure jamais »)

Vous m’en prendrez trois écoutes par jour pendant une semaine pour me booster cette petite immunité mélancolique.

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