Dimanche de contrebande n°7 : 48 Heures chrono à Strasbourg !

Plastobéton Glam Mort
Eurochoc Production, 2013
Pierre Boulez Livre pour quatuor
1948/1949 - 2017
Iannis Xenakis / Quatuor Arditti Tetras
Gramavision, 1983 / 1989
György Ligeti / Quatuor Arditti Quatuor à cordes n°2
1968
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Jeudi soir, 22 h 07. Je viens d’arriver à la gare de Strasbourg pour un séjour qui s’avère aussi court qu’intense moins de 48 heures sur place, dont 12 heures de train, on va donc économiser sur le sommeil. Le trajet commence par un coup de pression énorme : la douane, accompagnée d’un chien, me fonce dessus, avant même que l’on ne quitte la gare. Je ne sais par quel prodige, j’ai pu garder mon traitement fumigatoire sans passer par les geôles de la Canebière. Sous la protection très explicite de Jah, je me dirige donc vers mon destin, à savoir me hasarder à faire un dj set sans me viander. Tout cela sur l’invitation de mes amis Baptiste Filippi et Manuel Zenner, agissant eux-mêmes dans le cadre du festival Musica, mastodonte de la musique contemporaine en Europe dont ils chapeautent les afters (restons tranquille, c’était plus tarte à la myrtille que poutre de kéta, mais après j’étais pas là tout le temps, hein), sortes d’interstices inédits et étonnants.

J’arrive, donc. Direct, direction le très bien nommé QG (l’ancienne Poste située place de la Cathédrale, temporairement transformée en salle polyvalente / bar / loges pour zikos / point d’accueil pour narvalos nocturnes) pour assister à un set total puissance d’un duo 100 % Plaine des Bouchers : Zad « DJ Cerumen » Kokar accompagné par l’illustre et très justement nommé Baron Dimanche. Avec eux, l’art de la selectah tel que cultivé depuis des temps immémoriaux au diamant d’or se déploie encore une fois : c’est absolument parfait et ça s’enchaîne presque sans heurts, tube sur tube, no wave sur hip-hop, groupes anglo-saxons et alsaco fachés. TOUT EST BIEN, c’est la kiffance même, je me déhanche en compagnie de ces dj-danseurs visiblement heureux de jouer, même s’il n’y a pas foule. Zad(rien), cet éclatant scolopendre à la connaissance encyclopédique m’en met plein les oreilles, je prend la leçon ; Baron passe le « Été 83 » de Plastobeton, ce qui n’est pas pour me déplaire (je vous met l’album, ce monument, en entier), et clôture même avec « Only You » des Platters le vinyle est celui qu’utilisait sa maman quand elle faisait la boum dans les années cinquante, dinguo.

Le lendemain, nous émergeons lentement, mais il ne faut pas chômer : Jennifer Walshe joue à 18 h, je mixe vers 22 h 30. EVERYTHING IS IMPORTANT, œuvre audiovisuelle dont elle est une des protagonistes principales, est une surcharge cognitive et sensorielle. Réalisée en collaboration avec le légendaire quatuor Arditti Ralf Ehlers à l’alto, Lucas Fels au violoncelle et Ashot Sarkissjan et Irvine Arditti, respectivement second et premier violons , Walshe s’y égosille, imite, se transforme en bot, éructe, tousse, bégaye, confond son souffle blanc avec le frottement des cordes. Une vocaliste-NFT, voilà ce qu’elle est, dans cette salle de l’opéra de Strasbourg. Ce qu’elle pose ici : en musique tout importe, tout peut-être pris en considération. Non un relativisme, mais une submersion. À partir de cette considération implacable, elle nous plonge alors dans un flux de vitalité incontrôlé, chaotique et/ou organisé, indicible parce que monstrueux combien d’êtres vivants, d’images mouvantes et fixes, d’objets en plastique et de livres, de déplacements, de ressentis et d’oublis, de particules et de textes, de caméras et de sites internet, de désastres ? Une masse inconcevable : les régiments de bactéries qui composent nos corps, des banques d’images online aux proportions homériques, des éruptions solaires et des chemtrails, et toujours l’atome fissuré, dangereux, en fond.

Quelques heures plus tard, au QG, nous nous retrouvons avec Jennifer qui, surprise, avait préparé une playlist c’est aussi le jeu de ces moments, de générer des rencontres entre des artistes bien installés et des zozos, disons dans mon genre. Bingo : nous discutons et rigolons pas mal (pédagogie, théorie de la connaissance et « Where Is My Mind? ») ; sa playlist illustre assez bien la malice et la gentillesse essentielles de cette femme, qui n’est assurément pas une courgette. Celle-ci a en effet prévu une heure où s’enchaînent les tubes « impossibles mais possibles », mash-up savoureux et un peu flippants, assistés par IA ou non. J’avoue que la version de Billie Jean par Frank Sinatra se laisse entendre, mais ce n’est rien comparé à la vallée de l’étrange que nous fait traverser la rencontre de Michael Jackson et Henry Purcell. Pour cette découverte, Jennifer, encore une fois : merci. À la suite de cela, mon dj set, dont je suis assez fier, mais que je n’irais pas jusqu’à commenter.

Ce matin, samedi, le réveil a été plus difficile. Nous nous dirigeons tout de même, Baptiste et moi, vers l’église Sainte-Aurélie, dans le quartier de la gare, afin d’assister à une représentation de l’ensemble londonien déjà entendu la veille. Nous avons loupé le premier mouvement, lorsque nous entrons le plus discrètement du monde dans cet édifice religieux sobrement germanique un temple presque : bois, blanc, or, une voute de salon viennois , selon un protocole visant à maintenir un silence tout aussi sacré. Nous somme pris, il n’y a pas le choix ; c’est une messe, la piété est totale. En même temps, ces œuvres, interprétées dans ce lieu par l’un des quatuors à cordes les plus réputés (si ce n’est le plus, aujourd’hui) au monde dans les musiques expérimentales canoniques ne peuvent qu’engendrer l’extase. La technique des musiciens est tout simplement surhumaine. Les instruments appartiennent aux corps ; nous assistons, miraculés, aux ébats faussement tranquilles de chimères éclatantes. Les visages des auditeurices sont impressionnants, dignes d’une peinture flamande.

L’intention initiale, tenant de l’expérience esthético-scientifique est aussi belle que borgésienne : rejouer, presque 40 ans après, une situation presque à l’identique. Le même cadre, les mêmes protagonistes, le même programme (Livre Pour quatuor de Boulez, Tetras de Xenakis et le Quatuor à cordes n°2 de Ligeti), dans le but de reproduire les mêmes émotions ; 1985 en 2023. Violaine Bouttier, « assistante sociale encore en activité et randonneuse » ayant notamment participé à la mise en place de cette reconstitution historique, parle dans le programme de ce processus qui pourrait, magiquement, convoquer, ou plutôt invoquer, une intensité similaire une causalité alchimique , produire des émotions identiques. Je devine (ou plutôt j’imagine), parmi les personnes en présence, d’anciens participants tentant de revivre avec la même ferveur ce concert d’il y a quatre décennies. Le simulacre m’interroge certes, je ne me sens pas vraiment à ma place, ce qui arrive. Cette mise en scène assumée du conservatisme de la musique classique contemporaine, plus naïve que politique (même si, selon le fameux adage : rien n’est jamais totalement naïf, ni apolitique), est directe et sans faux-semblants, ce qui est déjà énorme. Un monde se reproduit, se perpétue, en grande partie devant lui-même. Un monde blanc, assez âgé et apparement (très) aisé, où des hommes jouent les œuvres d’autres hommes interprètes, compositeurs, public, un ordre établi. Une époque se remémore.

Cette musique, que je connais sans la connaître, ce n’est pas vraiment « ma culture », pour lâcher un gros mot. Mais là, sur ce banc, installé comme un notable alsacien d’un autre temps, elle m’apparaît interactionnelle : les gestes et le sons s’y répondent, se rencontrent et se frottent, dans une tension non négligeable. C’est une musique de fluidité et de cassures, exécutée parfaitement par le prodige Irvine Arditti et sa clique ; pas difficile mais plutôt complexe, parce que c’est ainsi qu’est le monde. Un renflement sensationnel. Une musique d’après la guerre, littéralement, qui parle de douleur, qui tente de soigner en re-complexifiant les expériences, car la simplicité de la pensée tue, ce que ses compositeurs ne savent que trop bien. Elle est un drame aussi, « une caresse avec un scalpel » (merci Baptiste), provoquant des incisions dans l’âme. Boulez fait toujours son effet, c’est indéniable mais sa profusion m’interroge. Que dit-il, dans ces 6 mouvements fragmentés, en un peu moins d’une heure ? Trop de choses dont beaucoup me touchent oui, mais quand même. Sa radicalité prométhéenne se dissout dès que Tetras démarre ; en 15 minutes, un édifice prodigieux est érigé, fait de glissandi et de tutti chirurgicaux, de jeux de synchronies et de dé-pitchs. La fin, particulièrement, est prodigieuse. Xenakis avait la musique de plusieurs siècles en lui ; cet homme-là, c’était la révolution.

Je n’entendrai pas Ligeti, et je le regrette : il me faut déjà reprendre le train. À moitié dans l’éther, je me plais à l’imaginer, alors que j’écris ce texte, à bord du tgv inouï n°2239. Ce fut un voyage express et intense, merci Baptiste et Manuel, merci Musica, et à bientôt Strasbourg, mein Schatz !

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