Impossible de couper le sifflet à Björn Olsson

Björn Olsson Lite Fler Melodier
2013
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Musique Journal -   Impossible de couper le sifflet à Björn Olsson
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Clairement, la MAO et le home-studio ont tout changé. Ce récit presque stéréotypique fait la part belle aux outsiders devenus stars, aux essais intimistes de légions de producteur·ices de chambres. Pourtant, une catégorie de musicien·nes est souvent oubliée dans cette épopée de la musique d’intérieur : les quinquagénaires badant·es qui zonent dans leur petit jardin secret. Reliquats de la pop music d’avant, ces messieurs (ce sont surtout des hommes, on ne va pas se mentir) vieillissants inondent Bandcamp et d’autres plateformes de streaming de leurs petites compos sympatoches et inoffensives. J’ai une tendresse immense et pas forcément justifiée pour cette musique de l’après – après le succès, après la jeunesse et l’espoir, après les succès et les tournées. On parle ici d’une musique qui tourne en rond dans un charmant studio bricolé au fond du jardin, et souvent fabriqué avec un équipement minimaliste et la maestria du musicien expérimenté, entre un cours de gratte et un coup de main pour mixer la maquette d’un·e ado du coin.

Björn Olsson est un cas, là aussi bien stéréotypique, de cette dérive du musicien dont l’ambition s’est transformée en une forme d’aigre-douceur domestique. Ce guitariste, emblématique de la scène punk-grunge de Göteborg des années 90, a notamment joué dans Union Carbide Production, un groupe probablement familier aux lecteurs de New Noise, mais dont je n’ai jamais compris l’intérêt, probablement car la voix rocailleuse du chanteur me crispe trop. Après la séparation de Union Carbide Production, des membres du groupe décident de fonder The Soundtrack of Our Lives, un peu plus supportable pour moi, avec un son garage 90 presque britpop qui devient de plus en plus rétro à l’approche des 2000, et honnêtement, pourquoi pas. C’est pourtant toujours Ebbot Lundberg au chant, mais celui-ci a visiblement cessé de se croire au milieu d’une baston entre Hells pour se convertir à ces vocalises traînantes chères au psychédélisme.

Mais revenons à la carrière solo de Björn Olsson. Dès le milieu des années 90, soit après l’expérience Union Carbide, le gars commence à enregistrer de la musique dans son coin, ce qui aboutit à la parution d’un excellent premier disque en 1997 sur le label new-yorkais Omplatten, Instrumentalmusik… Att Sjunka In I… Eller Kanske Försvinna Till, une merveille guitaristique à l’ambiance façon Popol Vuh au far-west, assez déroutante. Sur ce premier essai, Björn Olsson reprend directement le fil du rock progressif halluciné mais avec quelque chose de plus intimiste, imprégné de folklore à la Bo Hansson, grand-père rigolus du comfy synth surtout connu pour une B.O fictive du Seigneur des Anneaux de 1970.

Ensuite, Björn Olsson ne lâche pas l’affaire et continue d’enregistrer un disque tous les deux ou trois ans alors que sa carrière en groupe s’étiole. À mesure qu’il quitte la scène et le public, ses propositions deviennent de plus en plus déroutantes. Déjà, il a cette idée saugrenue de faire une série d’albums dédiés aux crustacés, publiés par le label suédois Gravitation. Et nous avons donc The Shrimp en 2001, puis The Crayfish en 2003, suivi de The Crab toujours en 2003 et enfin The Lobster en 2005. Les quatre disques de cette série façon plateau de fruits de mer sont pour autant bel et bien digestes, et notre guitariste continue d’explorer une forme vintage d’easy-listening un brin cowboy. Si sa musique sonne joyeuse et solaire, on devine quand même apparaître une certaine ironie, teintée d’amertume. La fièvre du rock laisse doucement la place à une seconde partie de carrière, celle du papounet un peu acide mais sympa, qui enregistre des chansonnettes sans prétention.

Entre 2005 et 2013, il ne se passe plus grand-chose dans la carrière musicale de Björn Olsson, probablement très occupé par sa vie familiale. En 2013, il revient, cette fois en autoproduction, avec deux disques, Lite Nya Melodier et Lite Fler Melodier – soit « les nouvelles petites mélodies » et « quelques petites mélodies de plus » –, exemplaires de l’œuvre d’un quinqua désabusé qui, sourire en coin, enregistre des squelettes de titres.

Sur Lite Nya Melodier, Björn Olsson explore des mélodies au piano, chant et guitare, quand sur Lite Fler Melodier il opte pour une approche moins intimiste avec quelques arrangements bien cheapos mais surtout, l’usage constant du sifflement en principal lead mélodique. Le Suédois avait déjà expérimenté cette approche sifflotée pour l’album The Crayfish, notamment sur « Göteborg » et sur la belle ballade « Annika », qu’il reprend d’ailleurs sur notre disque du jour (« Ny Annika ») mais dans une version sous produite avec un synthé atroce que j’adore – sur « Ny Göteborg » il inflige le même traitement au morceau original, à base de boîte à rythmes au pif et de presets de synthé enregistrés directement au magasin de musique du coin.

Cette forme de « musique de chambre » involontaire à un attrait esthétique très fort pour moi. Lite Fler Melodier est marqué par une maladresse dans l’utilisation des synthétiseurs (et notamment l’usage abusif de nappes vraiment très basiques), contrebalancés par un certain génie mélodique et de multiples références à la pop music à papa, comme sur « Orust » et son clin d’œil à peine masqué aux Beatles. On nage dans une forme de dad rock défaitiste, qui garde malgré tout sa cohérence grâce à la constance du très beau sifflement de Björn.

Lite Fler Melodier est probablement le pire disque pour découvrir la musique de cet homme, mais il possède un charme troublant, poussant à son paroxysme cette logique d’une musique d’après la carrière, dénuée d’ambition, et déroutante dans son absence d’effets de manche. Il y a un côté illustration qui semble assumé par son auteur, puisque sur le site de Björn on lit que Lite Nya Melodier et Lite Fler Melodier ont « probablement été créées pour la pub », en ajoutant entre parenthèses que « Björn à 4 enfants ». Il est pourtant évident que ces deux disques ne mettront de la nourriture dans la bouche de personne et que tout ceci est une vaste blague d’ex-punk un peu maussade qui ne trouve rien de mieux à faire que de siffloter dans son studio… Bref, j’aurais du mal à vous parler des morceaux dans leur singularité, tant la force de ce disque tient dans sa façon de désingulariser, dans le néant tranquille qu’a atteint ce gratteux vieillissant qui n’en a plus rien à foutre de rien, même pas de trouver une pochette décente. Bref, disons qu’on arrive pas loin du degré maximum de l’indolence en musique, avec un vague fond de psychédélisme narquois.

Voilà, je vous laisse filer écouter les sifflotis de Björn, et trancher enfin : est-ce que je n’exagère pas un peu ? Est-ce que ce disque en dit plus sur l’amertume de Björn ou sur ma propre lassitude ? Lâchez des coms !

5 commentaires

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