Comme un baloutche sans cithare

Inayat Gul, Nabi Bakesh Dilbar, Basit Baloch, Shahab Sillo mini-playlist baloutche
Écouter
YouTube
Musique Journal -   Comme un baloutche sans cithare
Chargement…
S’abonner
S’abonner

J’ai réussi ! Enfin je t’ai, et plus jamais je ne te laisserai partir. Inayat Gul, toi dont la musique m’a depuis tant d’années filé entre les doigts. Cela n’arrivera plus, j’en fais ici même la promesse !

Lorsque mon ami, compère de musique et d’ethnomusicologie Romain revient de son premier « terrain » réalisé auprès de musiciens baloutches omanais (à Mascate pour être précis), c’est avec une besace chargée de liens tous plus incroyables les uns que les autres – et d’un sorûd, bien évidemment. Oui, cette phrase me semble à moi aussi pleine d’un exotisme très XXe siècle (enfin je ne sais plus trop, vu que j’ai l’impression de vivre en l’an mille ces derniers temps, on verra bien dans quelques heures, je tremble, passons) mais n’en reste pas moins vraie : la rencontre d’une nouvelle musique, de l’altérité, même par personne interposée, est toujours une aventure. Ce n’est pas de l’ordre du fantasme ou de l’objectivation dans la distance, mais plus de l’émerveillement volontaire et auto-induit. Comme une réponse au repli, lui aussi volontaire, de mes chè·res compatriotes au crâne rempli de merde.

Le Baloutchistan s’étend à la fois sur l’Iran, le Pakistan et l’Afghanistan ; au sultanat d’Oman, une diaspora baloutche importante est présente, et ce depuis plusieurs siècles. On va pas partir en exposé sur ce sujet néanmoins passionnant, et si vous voulez en savoir plus, notamment sur la musique cérémonielle baloutche en terre omanaise, je vous redirige vers les travaux de mon estimé camarade, qui vous rédigeront vers d’autres, et caetera… Je peux en tout cas vous dire que le Baloutchistan est vaste, que son peuple est pluriel et culturellement tissmé comme c’est pas possible, on est pas vraiment dans le mirage de l’état-nation essentialiste et ethniciste. Il y a assurément aussi des gros·ses con·nes de coloristes/ethnicistes chez les baloutches, je ne vais pas essentialiser outre-mesure, mais il me semble que l’histoire complexe et multiple de ce peuple le rend peut-être un peu plus conscient de sa diversité constitutive, qui n’est en fait pas vraiment un sujet (reprends-moi dans la section commentaire si je me trompe, Romain).

Et bien sûr, cette créolité (ça faisait longtemps, tiens) se retrouve dans la musique et les instrumariums, qui s’ancrent dans les pays précédemment cités, mais aussi au-delà. Aux instruments occidentaux manufacturés se mêlent par exemple des tambours, joués avec des baguettes ou non, dont certains sonnent comme des tabla, un luth type tambur (le tambirag), la fameuse vièle sorûd, puis le benju, une cithare sur table (et me permet accessoirement de ne pas tomber complètement à côté avec ce titre). Écouter de la musique baloutche, c’est, pour les simili-érudits de papier que nous sommes, faire péter les clôtures et sentir la pulse de la mondialité (je me permet les figures de style les plus craignos, vous m’excuserez mais nous ne savons littéralement pas de quoi demain sera fait) ; superposer le Maghreb et le Vietnam, le Golfe Persique et la côte Est africaine, repeupler le sous-continent indien avec des turkmènes, passer d’une ambiance western à la musique carnatique, ressusciter Nusrat Fateh Ali Khan dans les montagnes roumaines.

Donc : quand Romain revient, il m’envoie comme ça, sans préavis, des morceaux à mes oreilles étonnants, accompagnés de visuels chargés et chatoyants, presque systématiquement adjoint du qualificatif new song et de l’année de sortie – une technique de comm’ certes agressive mais qui a fait ses preuves. Déboussolé par ce déluge d’infos (surtout que, vous vous en doutez, je ne bite pas mot à l’arabe ni au dialecte baloutche) je navigue carrément à vue. Un morceau, signé par un certain Inayat Gul, m’avait enchanté plus que les autres par son utilisation débridée de l’autotune, ce qui s’avère être quelque chose d’assez commun dans la chanson baloutche contemporaine, où la pratique virtuose de cet instrument de modulation vocale est un sacré vecteur d’émotions. Mais très vite, et je ne sais pour quelle raison, nous n’arrivons plus à mettre la main sur le morceau. J’enrage et cherche compulsivement, y reviens encore et encore sans réussir à trouver… La désolation est entière, surtout pour des ethnomusicologues dont l’un PARLE LA LANGUE, je le rappelle (je t’aime Romain mais t’as déconné ce coup-ci, franchement).

Bref, autant vous dire qu’en remettant la main il y a deux jours sur « Inayat Gul Balochi Song 2017 (Ho Jane Man Ho Saye kap) » après une aventure au long cours incroyablement peu palpitante, je n’ai pas lésiné sur les moyens de sauvegarde, tout en remettant bien sûr une pièce dans la machine exploratoire, dont la petite playlist jointe à cet article est un minuscule résumé. En fait, même si j’aime beaucoup le morceau d’Inayat Gul (parfois orthographié Enayat Gul), je crois que tout ce que je me suis pris dans la tronche depuis ces retrouvailles m’enchante encore plus. Ce que j’ai rassemblé peut être catégorisé comme de la musique populaire je pense, même si je n’ai aucune idée de la renommée des protagonistes, et une compréhension quasi-nulle des genres musicaux baloutches : il y a le damâl, le rituel sur lequel Romain travaille, et ce dernier m’a aussi fait écouté du rap baloutche il y a peu. S’il y’a de très bonnes idées, je trouve ça un peu compliqué quand même – sinon, hors sujet : je suis tombé là dessus, c’est fou, non ? Le rap saoudien c’est un truc et personne ne m’avait dit ?

Ce sont surtout des morceaux chantés par des hommes, et d’ailleurs sur le seul où une femme donne de la voix, « Doo Maa Gaish » (la rythmique est folle, ça me fait penser à Muslimgauze), celle-ci n’est même pas créditée. J’ai de toute façon galéré pour trouver des chanteuses – la langue, encore une fois, me ferme des portes – mais il y en a et elles savent foutre le feu. Pour la suite, « Hoor » est aussi bonne visuellement que sonorement, une leçon ; Shahab Sillo me met des frissons comme c’est pas possible avec sa bouille d’amoureux transi, en manteau dans le désert à enchaîner les complaintes mélismatiques, un vrai patron ! Je vous ai aussi mis un petit extrait d’Inayat en concert où la saturation et et le delay remplacent l’autotune, c’est la grosse ambiance ; et puis aussi « Raset Kall » de Nabi Bakesh Dilbar avec des bonnes parties de sorûd vénéneuses.

Voilà, je vous embrasse, j’espère que cet article contribuera à faire de ce monde un archipel d’îlien·nes apparenté·es et un peu moins individualistes. Ça sonne super babz je sais et après le coup de la musique qui ouvre les frontières de l’esprit ça fait beaucoup, mais c’est ce que je pense ! Et puis allez voter s’il vous plaît. Front Populaire évidemment, même si c’est pour François Hollande et que ça rend maboule. Je n’ai pas de devoir de réserve et je pense qu’on est au-delà de ça, clairement. Et puis « déso pas déso » pour ce titre, mais s’il y a un moment où il est possible de détourner des lyrics de Thomas Dutronc, pour le plaisir et sans considération pour la cohérence, c’est bien maintenant tout de suite ! Courage, on va y arriver !

En 1983, Isabelle Adjani déjouait le stratagème gainsbourien et sortait un classique ignoré

Surtout connu pour ses deux singles depuis inscrits au patrimoine de la pop culture française, l’unique album d’Isabelle Adjani mérite quarante ans plus tard d’être réécouté et apprécié pour ses qualités méta, tout en sonnant follement bien aujourd’hui pour ses qualités de groove et de flow.  

Musique Journal - En 1983, Isabelle Adjani déjouait le stratagème gainsbourien et sortait un classique ignoré
Musique Journal - Adieu daronnisme, bonjour daddysme

Adieu daronnisme, bonjour daddysme

La « musique à papa » peut-elle se relocaliser dans des zones où émergeront de nouveaux modèles esthétiques du paternel masculin ? Oui, répond Loïc Ponceau, qui nous parle de l’album Italian Graffiti de l’Américain Nick DeCaro, selon lui emblème du « daddysme », concept à la fois border et fragile, et on l’espère objet de futures discussions entres parents et enfants.

Enfin une bonne nouvelle : la scène chouine-core ne s’est jamais aussi bien portée !

Le Syndicat des Scorpions est le pseudo d’un nouvel auteur de Musique Journal, qui s’occupe également du label du même nom. Il évoque aujourd’hui un autre label, MIDI Fish, bastion bruxellois d’une pop électronique mélancolique et lo-fi qu’on qualifiera non sans malice de « chouine-core », et dont les cassettes sont d’une insondable beauté. 

Musique Journal - Enfin une bonne nouvelle : la scène chouine-core ne s’est jamais aussi bien portée !
×
Il vous reste article(s) gratuit(s). Abonnez-vous pour continuer à nous lire et nous soutenir.