L’époque bénie du math-rock sans prétention

Thinking Fellers Union Local 282 Strangers From The Universe
Matador, 1994
Écouter
Spotify
Deezer
Apple Music
Musique Journal -   L’époque bénie du math-rock sans prétention
Chargement…
S’abonner
S’abonner

Les Thinking Fellers Union Local 282 ne sont sans doute pas le groupe le plus singulier de l’underground rock américain des années 90 mais je me rappelle quand même m’être dit que j’allais profond dans le gouffre en achetant un de leurs disques, à l’époque où j’étais fasciné par tous ces petits mondes de la période post-grunge – des mondes alors éparpillés un peu partout aux États-Unis, puisque qu’Internet n’existait pas encore vraiment.

Pour leur part TFUL 282 étaient basés à San Francisco, capitale historique du psychédélisme officiel de la fin sixties, mais où s’est renouvelée dans les décennies suivantes la culture du rock expérimental (Chrome, Flipper, Tuxedomoon, Caroliner, etc – je renvoie en cela au super article de Julien Bécourt dans le dernier Audimat), dont le groupe a très bien porté les couleurs durant ses quelques années de carrière, même s’il a surtout sorti ses disques chez Matador, à New York. J’aime à peu près tout ce qu’ils ont fait, malgré un répertoire qui rétrospectivement comporte pas mal des clichés propres au genre et à l’époque : les atmosphères confuses, fébriles, une certaine façon de faire sonner les voix, des contrastes et des ruptures parfois prévisibles entre le cérébral et le chéper – c’est vraiment le coup classique du thésard en littérature comparée qui pète les plombs. J’aime quand même l’esprit de leur art-rock (on n’utilise pas assez cette étiquette en France alors que c’est vraiment celle qui leur convient le mieux, en tout cas mieux que math-rock ou post-rock) souvent instrumental, qui ne se décide pas entre le lo-fi décharné, la déconne intello et les élans plus lyriques, souvent très enlevés mélodiquement. J’apprécie beaucoup leur manière de ne pas faire semblant de mal jouer alors qu’ils touchent quand même pas mal, sans pour autant trop se la raconter niveau technique, tout en essayant des trucs, notamment des plans que je devine plus ou moins orientalisants, klezmer ou bluegrass, mais jamais “c’est bon comme là-bas, dis !”.

Tout ce que j’ai pu entendre des Thinking Fellers est au minimum attachant mais j’ai tendance à préférer leur EP Funeral Pudding sorti chez Ajax (un label “culte” qui avait démarré au départ comme un service de mail-order artisanal monté par un mec tout seul chez lui à Chicago, et que dans mon souvenir les animateurs de l’émission “Songs of Praise” sur Aligre FM citaient comme s’ils parlaient d’Amazon), mais qui n’est hélas pas sur les plateformes, et leur album le plus fameux, Strangers From The Universe, qu’AMG décrit comme leur moins étrange, mais leur plus écoutable, même si le groupe ne passe pas non plus en mode indie FM, loin de là.

Il y a de tout sur ce disque, et ça a beau être bordélique et mouvementé, et ressembler à pas mal d’artistes plus connus de la même époque, on reste jusqu’à la fin accroché au truc, c’est à la fois sans prétention, libre, dense et digeste. On se dit que malgré leur signature sur Matador – label qui commençait à prendre du poids au milieu des nineties avec Pavement et Liz Phair – et les tournées à répétition – qui finiraient d’ailleurs par les éreinter et les séparer, mais en toute amitié –, les cinq membres de TFUL 282 devaient néanmoins plutôt bien rigoler ensemble, jouer surtout pour eux et suivre leurs instincts parfois maladroits voire merdiques. Ils nous ont en tout cas laissé avec Strangers From The Universe un super album de post-rock à la bonne franquette, potache mais hypersensible, où alternent plages embrumées et chansons plus tenues (j’entends du Pavement ou du Slint ou du Meat Puppets, mais il y a certainement plein d’autres choses à citer, n’hésitez pas à me dire à quoi ça vous fait penser) et dont le morceau de choix est sans doute “Cup of Dreams”, une espèce de petite symphonie pop pas du tout bien habillée qui pourtant enchaîne les miracles mélodiques comme si de rien n’était.

Rien que pour ce tube de station-service très Northern California, je vous recommande de tester les Thinking Fellers Union Local 282 – même si vous l’avez peut-être déjà fait après avoir lu Les Corrections de Jonathan Franzen, dont le narrateur écoute un disque du groupe en bossant, ou en les découvrant à l’affiche de l’édition 2011 d’ATP, curatée par Animal Collective.

4 commentaires

Exhumons un étincelant succès de la soul 80

Pour démarrer la semaine, un énorme classique du R&B eighties que vous ne connaissez peut-être pas, signé par la chanteuse de Detroit Anita Baker.

Musique Journal - Exhumons un étincelant succès de la soul 80
Musique Journal - Musique sexy sans possibilité de rupture conventionnelle [1/2]

Musique sexy sans possibilité de rupture conventionnelle [1/2]

Pour faire monter la température des zones érogènes plutôt que celle de la planète, parlons ce matin de MST (musique sexuellement transmissible) avec la première moitié d’une série qui s’annonce excessivement lascive. Pour démarrer, Motive, le EP de la chanteuse californienne Joyce Wrice.

Une diva indienne et son album disco, gorgé de cordes et de volupté

Pour le weekend, une petite recommandation disco de 1976, avec le deuxième album étincelant d’une vocaliste virtuose née à Bombay, passée par Londres et qui explosera à New York : Asha Puthli.

Musique Journal - Une diva indienne et son album disco, gorgé de cordes et de volupté
×
Il vous reste article(s) gratuit(s). Abonnez-vous pour continuer à nous lire et nous soutenir.