Techno unplugged et indus archaïque chez Benjamin Lew

Benjamin Lew Le personnage principal est un peuple isolé
Stroom, 2019
Benjamin Lew Nebka
Crammed, 1998
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Musique Journal -   Techno unplugged et indus archaïque chez Benjamin Lew
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Quand on lit ce qu’il raconte sur sa vie et sa façon de travailler, on se dit que Benjamin Lew a l’air d’être un homme aussi merveilleux que sa musique. Dans le livret du best-of que lui consacre Stroom (label de rééditions également merveilleux, belge comme Lew et très attachant), on y apprend qu’il était au début des années 80 serveur au Papaya, un bar « tropical » servant des cocktails à Bruxelles et que c’est ainsi qu’il a sympathisé avec l’un des habitués du lieu, le saxophoniste américain Steven Brown, venu s’exiler dans la métropole belge avec ses collègues de Tuxedomoon, au départ basés à San Francisco. Lew se voulait jusqu’ici plutôt plasticien, graphiste ou poète mais en secret jouait sur un petit synthé analogique et un soir il avait fini par le dire à Brown. De son côté Marc Hollander du label Crammed était tombé sur un fanzine, Fossile, réalisé par Lew et quelques amis à lui, alors qu’il était censé être introuvable puisqu’une partie du stock avait brûlé et que l’autre s’était perdue. Dans le zine on avait glissé un flexidisc qu’Hollander aima beaucoup et bientôt il trouva « Benj » (ainsi crédité sur le 45-tours) pour lui proposer de faire, au sein de la série des Made To Measure, un disque avec Steven, qui s’appellerait Douzième journée.

Pour être tout à fait honnête, j’adore ces histoires mais je n’aime qu’à moitié ce premier LP, comme son successeur À propos d’un paysage, essentiellement parce que les nombreuses interventions des vents de Brown (et de Hollander qui joue et compose sur une bonne partie des plages) envahissent trop l’espace du Belge, lui qui dit justement se considérer comme un musicien d’ameublement : je trouve ces amples solos un peu trop signifiants, un peu trop « existants », comparés aux tendres abstractions et minutieuses fictions du synthé de Lew – on pourrait dire qu’ils viennent orner ce qui en l’état est déjà un décor achevé. Peut-être qu’ils portaient quelque chose de très fort et de très neuf à l’époque mais aujourd’hui ce genre de sonorités pâtit à mon sens d’avoir été trop utilisée dans d’innombrables contextes à potentiel jazzy atmosphérique qui se prend au sérieux. L’anthologie de Stroom ne retient d’ailleurs qu’assez peu ces moments datés – datés jusqu’à nouvel ordre, car on ne sait jamais ce qui peut arriver – et offre ainsi une excellente idée de ce qui fait la singularité des morceaux de Benjamin Lew. Il y a sans nul doute quelque chose qui relève du jeu dans ces compositions pleines de bruitages et de bruissements, on dirait des papiers et des pâtes, on entend des plis et des collages. Même lorsqu’elles résonnent d’échos tragiques (comme par exemple dans « Joyeux regrets imprécis » ou « La magnifique alcoolique »), les pièces gardent ce feeling ludique, cette sensation manuelle, ce geste qui se donne du temps et de l’espace pour voir ce qu’il peut modeler. C’est de la musique souvent hautement picturale, qui avance presque comme un film d’animation. On peut toujours aujourd’hui la classer dans le style Fourth World, ou dans l’ambient et l’électronique plus ou moins cinématique, elle n’adhère en réalité à aucun genre établi postérieurement : comme chez Aksak Maboul à la même période et en les mêmes lieux, les références et les formes sont trop superposées, trop feuilletées pour établir un cadre précis, si large qu’il puisse être.

Deux titres de l’anthologie Le personnage principal est un peuple isolé sont extraits de mon album favori de Benjamin Lew, Nebka (un terme qui désigne une dune qui ralentit le vent dans le désert), et c’est le premier qu’il ne co-signe pas avec Steven Brown. Il y arpente certes encore les terres fictives de ce Quatrième Monde bien à lui mais ce qui me plaît le plus c’est qu’il y ajoute plus qu’à son tour une touche de techno acoustique, d’indus archaïque qui donne à l’ensemble un mouvement presque autechrien ou pramien, à la fois rythmique et mélodique. C’est d’une beauté impure, aussi bizarre qu’enjouée, et c’est une beauté qui fait aussi comme un effort vertueux pour se rendre explicable, qui montre ses rouages tout en continuant de fasciner et de séduire. Lew fabrique sans doute sa musique dans un projet d’amour de la musique elle-même, de dévotion séculaire à la nature magique de la musique. Et même lorsqu’il mime des cahots dans des eaux limoneuses (pas facile à trouver dans le désert au milieu des nebkas, mais passons), même quand ses compositions semblent de prime abord « expérimentales », comme l’incroyable « Les traces d’un pont », c’est un expérimentalisme qui ne cache pas derrière sa prétendue exigence mais qui au contraire s’épanouit dans la pure joie de son idée.

Lew explique dans le livret qu’il a ensuite vécu un moment avec sa copine à Bali et qu’il s’est alors arrêté de faire de la musique sans que cela lui manque. Son dernier album Le parfum du Raki est sorti en 1993 et il semblerait que ses travaux sonores aient depuis été réservés à des collaborations avec des chorégraphes ou des vidéastes. On aimerait bien les entendre, s’ils existent vraiment – et puis même s’ils n’existent pas, on voudrait bien aussi.

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