La mixtape qui aurait dû changer l’histoire du reggaeton

DJ Nelson & DJ Goldy Xtassy Reggae
Music Engine Productions, 2000
Musique Journal -   La mixtape qui aurait dû changer l’histoire du reggaeton
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Le passage aux années 2000 devait, dans mon imaginaire d’enfant né à l’aube des années 90, symboliser un tournant : au 1er janvier, les voitures voleraient. Pourquoi pas ? Pourtant, à la date fatidique, le diesel familial était toujours là, garé devant la porte. Rien de vraiment surprenant. En 2000, à part les 35 heures, rien n’a véritablement changé. Mais alors que mon quotidien restait inaltéré, s’ouvrait une brèche spatio-temporelle à quelques milliers de kilomètres de chez moi, à Porto Rico. Produite par DJ Nelson et DJ Goldy, la mixtape Xtassy Reggae fut alors sans doute l’un des projets les plus surprenants sortis au tournant du nouveau millénaire.

Au cours des années 90, l’underground portoricain est en ébullition. Dans les caserios, les quartiers pauvres de l’île, une multitude de DJ/producteurs manipulent les samples. Les faces B de maxis hip-hop ou dancehall sont découpés et réassemblés pour servir de support aux MC locaux. Le proto-reggaeton, alors connu sous le seul nom de underground, est une musique faite avec les moyens disponibles, à savoir des cassettes et CD vendues de la main à la main. À travers de longs collages sonores, les pionniers du reggaeton réinventent New York et les Caraïbes. En entremêlant les fils narratifs, le genre balbutiant tresse sa propre histoire, à la fois noire et latino, urbaine et des îles, consciente et dansante, et génère une musique rêche, crue, spontanée, synonyme de modernité. Mais lorsqu’en 2000 la culture rave fait irruption dans le récit, cette trame relativement cohérente et continue semble un instant s’égarer. À la manière de Rodriguez et Tarantino dans From Dusk Till Dawn, le registre change, le temps d’une mixtape. Xtassy Reggae est ce hors sujet fascinant, cet essai sans suite, cet éclat de génie hors contexte. Le reggaeton écrit la première page d’un chapitre qu’il ne terminera jamais, ou pas immédiatement, et surtout pas avec la même splendeur.

J’ai découvert ce disque plusieurs années après sa sortie et pour être honnête, il m’a convaincu avant même que je ne l’écoute. Son passe-droit, c’est cet artwork à la hauteur de toutes les promesses tenues par son titre. À des années-lumière de l’imagerie habituelle du early reggaeton et de ses b-boys cartoonesques à dreadlocks, la compilation s’offre un visuel digne des grands jours des fêtes Fantazia. Un concentré de surréalisme pop ravey en provenance directe d’une époque où, victime de son succès, la culture techno poussée à un rendement quasi industriel prenait des airs de fête foraine hallucinée.

Dans la plus pure tradition portoricaine, la mixtape articule les samples. Les boucles, matériel unique de ce projet, se côtoient, se superposent et s’entrelacent à un rythme inexorable. Toutes les seize mesures, une nouvelle brique s’ajoute ou disparaît, tout est dense, changeant. Aux conventionnels flows des MC se substituent des vocaux échantillonnés, faisant de l’ensemble une véritable usine à recycler les tubes. Les références se multiplient, plus familières les unes que les autres, impossible de s’en défaire. « Party In the Ghetto » de David Morales, le scandaleux « Horny » de Mousse T & Hot ‘N’ Juicy, « No Diggity » de BlackStreet ou encore « Gypsy Woman » de Crystal Waters sont détournés, extraits de leur habitat naturel. Happés par le sampler de Nelson et Goldy, les voix se répondent. En arrière-fond, la matrice rythmique du reggaeton,  le fameux riddim dembow, venu de Jamaïque, donne la cadence, tisse les éléments entre eux et harmonise le puzzle.

La mixtape s’ouvre avec « Sueños Mojados ». Le morceau est un edit du célèbre Sweet Dreams de Eurythmics,  dont le synthé lancinant contient en substance le son du new beat à venir. Entre les mains de Nelson et Goldy, la mélodie synthétique se double de roulements de timbales, s’infuse de samba. Puis le beat éclate, un dembow assourdissant envahit l’espace. Ceux qui se sont intéressés aux récentes mutations de la club music auront sans doute noté la récurrence avec laquelle le dembow a refait surface, souvent associé à des arpèges de synthétiseurs aux sonorités cristallines ou trance. À l’écoute du morceau, certains rapprochements sont inévitables. Prenez par exemple le récent edit de « Fine Day » du Suédois Dinamarca. La recette est exactement la même. Il n’est pas question ici de débattre de la paternité d’une idée mais plus simplement de constater avec amusement que l’histoire est faite de répétitions et de hasards intrigants. Il est aussi l’occasion de se rappeler que l’hybridité des musiques populaires, cette sacro-sainte hybridité, employée telle une formule magique dans l’analyse des musiques électroniques à l’ère d’Internet, n’a pourtant rien d’une nouveauté.

Le projet se poursuit. Le second morceau « Party En El Ghetto » débute par une ligne de basse. La tonalité évoque les productions de l’illustre Frankie Bones, pionnier new-yorkais de la techno breakbeat. Immédiatement, les sonorités de la rave se soumettent aux conventions rythmiques de l’Amérique latine et de ses claves : trois notes se succèdent, entrecoupés d’un court silence, avant que deux autres ne viennent conclure la mesure. Le groove rebondit, les deux univers fusionnent à merveille. Quarante secondes plus tard, un seconde collage chasse le premier. Un synthétiseur sous taurine vrombit. Telle une décharge électrique, « I Like To Move It » de Reel 2 Real s’invite dans la composition et le titre de la mixtape prend tout son sens. L’esprit de la rave est là, sous sa forme la plus plaisante, juvénile et racoleuse.

Si le choix de remixer différents tubes de dance ou house peut déjà surprendre de la part de Nelson et Goldy, celui de certains acapellas tels que le libidineux « Too Sexy » de Right Said Fred ou le « 100% of Disin You » de Armando laisse carrément perplexe. Comment expliquer la présence de tels symboles de la culture club gay sur une mixtape appartenant à un genre maintes fois critiqué pour son machisme ? Xtassy Reggae avance bel et bien à contre-courant, détruit les stéréotypes. C’est un manifeste qui témoigne du désir d’ouverture d’un genre longtemps ghettoïsé, censuré, réduit au silence par les autorités.

En 1997, DJ Nelson avait déjà produit un edit de « Sweet Dreams » pour le MC Alberto Style. Une fusion pop, pour reprendre ses mots, dont le succès en fit « le plus populaire des morceaux de reggaeton jusqu’à la sortie de « Gasolina » de Daddy Yankee ». Dés 1997 donc, la voie semble tracée. L’année suivante sort une autre mixtape, produite par l’un des plus importants DJ de la scène, DJ Playero. Deux morceaux, « Todas Las Yales » et « Descorol », respectivement produits pour les MC Daddy Yankee et Nicky Jam, se ponctuent de claviers trance et acid. Le résultat est probant. Le reggaeton s’offre un passe sous les lasers. Aucun projet ne poussera pourtant le concept aussi loin que Goldy et Nelson, restés les uniques producteurs de l’époque à oser remplacer les MC par des samples. Dans l’histoire du reggaeton, Xtassy Reggae fait donc réellement figure d’exception.

Le chapitre laissé ouvert a depuis quelques années trouvé une suite. À la manière d’un spin-off, l’étrange fusion a fini par revenir. Depuis quelques années, une poignée de producteurs issus du monde de la techno comme DJ Python, Clara ! ou Low Jack se réapproprient le reggaeton. Tel un ressort désaxé dans une mécanique bien huilée, le dembow vient chambouler les conventions rythmiques d’un genre devenu prisonnier de ses propres codes. Le métronome de la techno sursaute, ralentit. La musique qui en découle est tantôt lumineuse et éthérée, tantôt industrielle et froide, davantage destinée à de grands espaces clos qu’à des plages ensoleillées. Des barrières tombent, les horizons de la techno s’ouvrent. Il est peut-être trop tôt pour se prononcer mais je ne serai absolument pas surpris de voir une multitude de projets similaires apparaître dans les années à venir. Après dix ans à creuser le passé sans trouver l’eau, les yeux rivés sur les fantômes de Detroit et de Berlin, il est sûrement temps d’aller chercher ailleurs.

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