Cet album de pop‑rock lombard du prémillénium prend tout son sens au cœur de l’été 2022

Madreblu Necessità
Milano 2000/Chrysalis, 1999
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Musique Journal -   Cet album de pop‑rock lombard du prémillénium prend tout son sens au cœur de l’été 2022
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En ce moment je mate The Sopranos, série incontournable que j’avais néanmoins jusqu’ici réussi à contourner sans problème. En termes de musique, j’ai remarqué que la chambre du personnage de Meadow était ornée de posters de Girls Against Boys, d’Ulver et d’un duo féminin rap/r’n’b oublié qui s’appelait Nadenuf ; mais surtout la bande-son m’a fait découvrir un tandem italien qui fait dans le pop-rock, option trip-hop deuxième vague opportuniste, qui s’appelle Madreblu et qui en ce qui le concerne m’a l’air tout à fait contournable.

Soyons transparents, si je comprenais les paroles et que je devinais donc un peu mieux le genre d’état d’esprit performé par la chanteuse et songwriteuse Rafaella Destefano, je serais sans doute moins sous le charme, je me dirais que la nana pourrait être une sorte de Zazie lombarde (le groupe vient de Lodi, dans le Nord de la Botte), avec une grosse influence de feu Dolores O’Riordan dans le chantage à la virtuosité et au lyrisme. Mais la qualité des chansons et de la production l’emporte, et on entend aussi des références à des artistes moins pied dans le plat, tels que Liz Fraser des Cocteau Twins et dans un registre plus intimiste Suzanne Vega. Leur deuxième album, Necessita, s’ouvre par le track des Sopranos, « Certamente », dont un passage préfigure le ligne de chant de Dido sur son hit avec Eminem. Puis ça s’enchaîne sur un morceau épique qui me retourne totalement, « Reiko », qui oscille entre la flamboyance et l’ordinaire : c’est prévisible mais ça réussit quand même à faire croire que c’est exceptionnel.

Le reste se maintient dans cette vibe trip-hop de rockeur, downtempo pas chic, lounge de bar à bières, avec des effets qui ne font pas semblant d’être voyants et des refrains qui jouent le passage en force (ils vont « chercher la faute » comme on dit en foot ou en basket) tout en chargeant la mule d’une tristesse pas facile à éteindre. « Bargiallo », le quatrième titre, synthétise bien ce talent à contenir des émotions qui se font la gueule, avec une grosse ligne de basse grunge, une batterie big beat, des arrangements James Bond, et une ligne vocale où la colère le dispute au dépit.

Au fil des titres, on se rend compte que la force de Rafaella Destefano et de son binôme Gino Marcelli est de réussir à ménager ces forces contradictoires et à les faire se tenir dans le petit espace de leurs chansons, sans exactement les sublimer mais en leur donnant à chacune la place qu’il faut, le temps de quelques couplets et refrains. C’est le contraire d’une musique qui déborde, qui ferait résonner hors-champ beaucoup plus que ce qu’elle donne concrètement à entendre : c’est plutôt un art du compromis qui, quand on y pense, caractérise la majeure partie de ces productions pop-rock à ambition crossover de la fin du XXe siècle, ce son post-indie féminin typique des nineties, Alanis Morrissette, Fiona Apple, ou dans un genre plus Americana Sheryl Crow. Un affect très « mall » (ici je contre-cite Kanye West au sujet de sa première Yeezy pour Nike, qui la voulait justement « surtout pas mall ») qui marche en toute saison mais qui m’a particulièrement saisi alors que je m’apprêtais à partir à la campagne après avoir passé tout le mois à Paris, une sorte de plénitude de la banalité, de satisfaction offerte par quelque chose de certes pas génial mais pour autant pas une seule seconde relou ou déplaisant. Contentons-nous de ce content, remplissons nos contenants corporels de ce contenu à la fois sonore et socio-atmosphérique : cette ambiance dissipe le sentiment de vide et combat la terreur du réel, son effet ne durera que quelques semaines, avant que la ville ne se repeuple de nouveau et qu’on soit tous réunis au même endroit comme des cons.

À noter que l’album se termine sur un morceau étonnamment plus délicat que le reste, « Calma », avec une prod à l’anglaise et une superbe ligne de chant, on dirait une face B limite dubby des All Saints ou des Spice Girls, c’est une petite surprise de mettre ça en fin de disque genre « la suite au prochain épisode », et d’ailleurs ce prochain épisode est d’abord un hidden track très réussi aussi, dans une veine pour le coup « authentiquement » trip-hop. L’album suivant L’equilibrio, sortira en 2004 et je l’ai hélas beaucoup moins aimé.

Je n’arrive pas à trouver d’interview ou d’article sur le groupe et si on en juge aux nombre de vues et de commentaires YouTube, on peut en déduire que Madreblu n’a pas tout à fait conquis le public italien. Sûrement que c’est comme en France, les locaux préfèrent les originaux anglais ou américains, et puis j’imagine que le son très « géré » du groupe ne colle peut-être pas à l’idée que je me fais (sans preuve scientifique) du goût transalpin pour le schmaltz et le pouët-pouët (un goût qui n’a rien de moins valable à mes yeux qu’un quelconque autre goût). Reste que ça s’écoute aujourd’hui avec un angle « kitsch du chic premillenium » dont on pourra discuter si vous le voulez, mais c’est en tout cas un album qui s’épanouit bien en voiture sur une route nationale, fenêtres ouvertes, avec un vent tiède qui vient fouetter la sono de l’enceinte Bluetooth : la bande-son parfaite d’un été normal. 

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