En voilà un album qui aurait du faire un tabac dans les boîtes de nuit portugaises des confins du Plateau Briard !

Forsi Live 2000
Sons D'Africa, 2000
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Musique Journal -   En voilà un album qui aurait du faire un tabac dans les boîtes de nuit portugaises des confins du Plateau Briard !
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J’ai grandi dans le 94, dans les années 2000, à équidistance de Pontault Combault et de Champigny. Pour celleux qui ne captent pas ce qu’implique ce déterminisme géographique : mon enfance s’est déroulée dans une zone lusophone af, ne comptant plus ses churrasqueiras, ses enseignes Super Bock au kilomètre, ses maillots de la Seleção floqués avec fantaisie, ses pavillons jamais dépourvus d’extravagance, et plus généralement ses drapeaux du Portugal reproduits avec un entrain non feint sur toutes les surface possibles, de la vitre arrière des govas aux façades des maisons, en passant par la peau.

Il y avait évidemment des gens de « partout » (on reste dans le bouillon francilien, quand même) et finalement d’ici, de ce Plateau Briard si incroyablement indus et forestier, mais l’implantation d’une importante communauté portugaise dès la fin des années 1950 (cf. la dèche et Salazar), dans des conditions d’abord misérables (c’est-à-dire dans des bidonvilles), a ancré durablement la « portugalité » dans la région et a même donné à celle-ci une certaine noblesse. Rétrospectivement, je dois dire que l’ambiance générée par ce substrat culturel dilué mais bien présent, que je trouvais légèrement exaspérante en étant plus jeune – en même temps pas mal de choses sont reloues, quand on est adolescent –, avait en fait une saveur particulière et plutôt sympathique.

L’exemple le plus parlant de cette relation complexe, faite de fascination et de circonspection, reste le Lua Vista. Ce club, situé dans la ville au nom enchanteur de La Queue-en-Brie, symbolisait à lui seul les frontières infranchissables de la bienséance. On en recevait des échos d’ami·es, plus féru·es de drague que d’exploration, confirmant un peu plus nos stéréotypes. Au-delà, c’était le royaume des colliers-chapelets en plastique, des cols en V et des coupes au gel, des diamants sur les canines, des teintes de peau baroques, et de ce qui me semblait être de la soupe à l’accordéon turbinée, mais aussi d’un genre musical explosif alors incompréhensible pour mes compères et moi : le kuduro.

Bien que l’imparable « Xiriri » de Custoleta ne m’ait pas embarqué au point de taper la choré dans les teufs à l’époque (loin de là), l’enjaillement général et franchement inévitable pour ce son m’a en revanche fait prendre conscience de l’existence d’une aire culturelle bien plus vaste que le seul Portugal, et dont l’ouest de l’Ibèrie n’était pas forcément le centre, au moins musicalement (on va évidemment me lancer Cesária Évora, que j’adore hein, mais c’était de la musique de daron·nes façon FIP, on n’était pas DU TOUT dans les mêmes taxons). Il y avait donc aussi, dans ce monde lusophone, des tensions à fort potentiel de créolisation : c’est en partie pour ça, je pense, que quelque chose me touchait dans ces musiques sans que je puisse vraiment mettre le doigt dessus – et que sans réfléchir je le foutais, ce quelque chose, assez vite de côté pour écouter Felt en rêvant d’avoir les cheveux lisses.

Puis voici environ une douzaine d’années, l’arrivée du label lisboète Principe a franchement changé la donne : des Portugais·es originaires d’anciennes colonies, noir·es (et validé·es par les pontes du cool souvent blanc·hes, on va pas se mentir, c’est aussi pour ça que la séduction a marché) m’ont re-balancé du kuduro, de la batida et de la kizumba (grosse sauce sur la kiz’ dans le Val-de-Marne), en gros des musiques que je dénigrais sans vergogne mais qui m’apparaissaient à ce moment évidentes.

Sur le moment, autant vous dire que je ne fais pas le malin, et que ma cartographie super bancale du bon goût pop s’en trouve toute retournée. Le Portugal devient un archipel perpétuellement mouvant, et non plus uniquement cette terre agraire de bâtisseurs ; un archipel glissant aux côtés de ceux de l’Angola, du Cap-Vert, du Mozambique, du Brésil, de la Guinée-Bissau. Logiquement, alors que je commence aussi à appréhender différemment les liens et rapports de force entre mon propre pays et ses anciennes (et actuelles) « possessions », la musique de l’île d’origine de ma mère ne me paraît plus du tout aussi ringarde – on va pas refaire le match, j’en ai déjà parlé la semaine dernière.

Mais comme les renversements de table se suivent et ne se ressemblent pas, quelle ne fut pas ma stupeur, cette semaine, de découvrir par hasard, comme d’hab, un album bousculant un peu plus mes repères déjà bien éclatés, ce qui n’est pas chose aisée, je dois dire. Un album au nom solide comme du marbre, 2000, sorti en 2000 (oui, ils l’ont fait) sur le label portugais Sons D’África et produit par l’énigmatique groupe Forzi Live, liant de manière incroyable la kizumba (une musique angolaise plurielle, qui s’apparente à la samba brésilienne, dont les rythmiques rappelle très fort le zouk love), la house-varièt’ et une pop assez maximaliste.

Je n’ai trouvé absolument aucune info sur Forzi Live. Pas de nom de zikos, pas d’origine (vraisemblablement des Cap-Verdiens basés au Portugal, si j’ai écouté assez attentivement le premier morceau, « Nos Terra »), pas de dédicaces de fan à donf, rien sur le web. Si l’on en croit la pochette pleine d’audace, l’équipe est vraisemblablement composée de deux producteurs aux styles bien sophistiqués, mais j’imagine qu’il y a tout un monde derrière – notamment une chanteuse, sûrement plusieurs, encore une fois totalement invisibilisée(s), je vous dis pas bravo les gars !

Ce qui est sûr, c’est que les 10 morceaux qui figurent sur 2000 sont tous FM comme jamais, et surfent sur une vibe abusée de garçons sensibles ; la voix du chanteur me fait chavirer, il n’est pas toujours juste mais toujours à fond (j’ai direct pensé à DMX Krew époque « Sound of the Street« , je sais pas pourquoi). Ce sont des missiles calibrés pour zoner dans la psyché, des hybrides improbables mais évidents, et surtout très élégants : ça fait cohabiter Jean-Michel Rotin et Lucio Battisti à l’aise (genre « Mae », c’est quoi cette folie ???), l’acid-house et DJ Lycox (« Kuduro Dance », prodigieux), ou le zouk/kizumba et une forme limite Northern soul/rare groove (« Goza Bo Vida », cette bombe moitié zouk moitié anglaise, avec une chanteuse bien en place, toujours pas créditée, bien sûr). Ça sonne comme un rêve et ça l’est, chaque track est un fantasme, je n’en reviens toujours pas !

Les gars tartinent niveau accordéon et synthés du futur antérieur mais ça le fait tellement, même quand le tempo s’envole (« 2000 »), c’est rythmiquement imparable, vraiment la bande-son parfaite pour se laisser aller à la saudade collé-serré avec sa chérie, tout de lin blanc vêtu·es ; on est dans un monde de la chaloupe triste – je sais pas s’il y en a eu des comme ça, au Lua Vista –, entre le désespoir et le dépassement hédoniste de ce sentiment (« Spedi d’Ela »).

Je pense que je tiens là mon album de l’été et de beaucoup de saisons à venir (au milieu de l’automne, un peu en mode bourdon chic, ça doit passer tout seul) et je suis sûr qu’il en sera de même pour vous. Dans tous les cas, je vais tenter de mener ma petite enquête auprès du label pour savoir de quoi Forzi Live est-il le nom, qui sont ces gens, quels sont leurs réseaux, et surtout s’il y a d’autres merveilles dans le genre. Yé et bonne journée, les copaines !

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