Été 76 : Akiko Yano met des gros zicos à l’amende

Akiko Yano Japanese Girl
Philips, réédition We Want Sounds, 1976
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De la pianiste et chanteuse Akiko Yano, je ne connaissais jusqu’ici que l’album Love Life, sorti en 1989, un blockbuster de variété internationale pas trop tape-à l’œil, mais composé et orchestré avec raffinement – sont sur le coup Ryuichi Sakamoto, son mari à l’époque, ainsi que Pat Metheny, Nana Vasconcelos ou Charlie Haden. C’est une œuvre dont la mélancolie d’ambiance, cette espèce de tristesse diffuse et jazzy, ne plonge jamais dans les ténèbres réelles et ne sert que de contrepoint moral à un disque qui, par ailleurs, semble célébrer, à l’époque de la chute du mur et la redéfinition des utopies, une nouvelle ère émotionnelle propre aux classes aisées en quête de lifestyle déculpabilisant.

Sur le disque dont je voudrais parler ici, à savoir son premier album Japanese Girl, enregistré treize ans plus tôt, Akiko Yano a une voix bien différente, certes plus jeune et mais aussi plus riche sous certains angles, ou disons moins contrôlée, moins installée. Ses musiciens ne sont pas les mêmes et le résultat n’a logiquement rien à voir  : là où la beauté de Love Life réside dans ce regard passif, préservé, dans ce constat à la fois résigné et apaisé face au temps qui a passé, Japanese Girl – qui ressort demain sur le label We Want Sounds – vibre d’une force hyper palpable, il est pris d’un élan irrépressible de se jeter dans la vie. Le chant de Yano, l’énergie d’ensemble du jeu et surtout la construction des morceaux ont une qualité presque musculaire, on sent comme d’énormes flexions, et ça s’étend, ça croît sous nos yeux. C’est de la musique qui donne envie de se déployer physiquement, vocalement, expressivement, un peu de toutes les façons possibles, en fait.

L’album comporte deux parties, une pour chaque face du vinyle : sur la face A, Yano, qui n’avait alors que 21 ans, est allée enregistrer à Los Angeles avec les membres de Little Feat, groupe formé au départ par deux dissidents des Mothers of Invention de Frank Zappa. Leur son général est une sorte de blues rock sudiste, de ce qu’on appelle, si j’ai bien compris, le Southern boogie, que leur virtuosité technique vient pimenter de notes country, funky, parfois jazz-rock, bref c’est un groupe qui gagne à être connu au delà des cercles consacrés – en ce qui me concerne c’est dans le magazine Muziq que j’ai pour la première fois entendu parler d’eux. Avec Yano, ces gros zicos californiens ont visiblement dû monter d’un cran leur niveau, pourtant déjà très élevé, tant ils ont été impressionnés par les partitions de la Japonaise – il se dit même qu’ils auraient renoncé à une partie de leur cachet. Sur l’autre face, Yano a fait entre autres appel à son compatriote Haruomi Hosono, qui n’avait pas encore lancé Yellow Magic Orchestra mais qui menait déjà plutôt bien sa barque, notamment au sein de la formation Tin Pan Alley, dont on retrouve la plupart des membres sur Japanese Girl.

Il y a sur l’album un titre en deux parties qui exalte tout particulièrement ce sentiment de déploiement et de vitalité irrésistible dont je parlais plus haut : c’est « Funamachi Uta », une composition dominée par des chœurs féminins et des percussions traditionnelles japonaises, avec une structure de type appel et réponse qui me rappelle cette incroyable chanson napolitaine aux accents « tribaux » que Romain BNO m’avait dit jouer dans les premières raves. J’aime aussi beaucoup « Tsugaru Tour », une sorte de reggae avec un contretemps vicieux qui n’a, je pense, jamais dû passer dans le moindre sound-system jamaïcain malgré la parfaite exécution de son skank par la partie nippone du personnel en studio. Sur d’autres titres, on devine les références à  l’écriture de Joni Mitchell, le groove est baroque et voluptueux, les arrangements chatoyants. Au micro, la voix de Yano, qu’on a souvent comparée à celle de Kate Bush alors que celle-ci a démarré sa carrière après elle, m’évoquerait plutôt celle de Minnie Riperton dans sa manière de retomber en douceur après ses envolées, de murmurer parfois, de suggérer un peu de désir sans pour autant se soumettre au male gaze auditif – d’ailleurs malgré sa jeunesse et sa tendance à aller chercher assez haut dans les aigus, la chanteuse ne colle pas du tout au fantasme kawaï qui au Japon définirait ensuite pas mal de ses cadettes.

We Want Sounds annonce déjà la sortie prochaine d’un album un peu plus tardif de Yano, Irohani-Konpeitou, dans la même veine chaude et luxuriante. Sachez par ailleurs que Yano a sorti à peu près un album par an jusqu’à la fin des nineties et que sa discographie laisse l’embarras du choix – on conseille notamment le très électronique et très moderne Tadaima en 1981, produit avec Sakamoto.

Et d’ici là on vous invite à vous réveiller au son de cette musique toute en élévation, qui sied très bien aux matins ensoleillés que nous avons la chance d’avoir depuis quelque temps, et qui peut donner des envies d’étirements, d’expansion et aussi un peu de courage pour affronter sans s’énerver la jungle de la vie.

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