Spleen et fantaisie dans la Lettonie post-soviétique de Hardijs Lediņš

Hardijs Lediņš Tiny Crabs Of Deep Waters
Seque, Alises Ieraksti, 1999 – réédition Musiques Électroniques Actuelles, 2019
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On ne trouve d’information sur Hardijs Lediņš que sur des sites lettons. Autant vous dire que sans Google translate, on aurait été bien emmerdé. Figure de la nouvelle vague du pays, Hardijs Lediņš était critique d’architecture, DJ et membre d’une scène artistique qui a occupé une place singulière dans l’histoire soviétique.

En 1974, alors étudiant, Lediņš commence par organiser des soirées dans des églises ou des parcs, qui donnent lieu à des conférences thématiques sur la musique, ainsi qu’à des fêtes durant lesquelles il tient les platines. À la même période, il fonde avec Juris Boiko, rencontré au lycée, le collectif NSRD, pour « Nebijušu Sajūtu Restaurēšanas Darbnīca », ce qui signifie approximativement « L’Atelier de Restauration des Sentiments Inexplorés ». Actif durant les années 1970 et 1980, le NSRD mélange vidéo, musique, poésie et performance, et devient progressivement un point de convergence de l’avant-garde lettone. Sans démarche explicitement contestataire – il a pour slogan « Art – for Art ! » –, le collectif coexiste avec le pouvoir en place et utilise les circuits institutionnels. Rejetant toutefois la subordination de l’art au régime, ils se démarquent de la culture soviétique populaire. Un de leurs festivals est interdit et le club ouvert par Hardijs Lediņš, le Space, fermé sous prétexte de « consommations illicites ».

Inspirés par Brian Eno, Laurie Anderson ou Philip Glass, les membres du NSRD sont parmi les premiers en Lettonie à composer par ordinateur. Leurs mélodies simplissimes évoquent de la musique pour jouets, pour enfants, que vient rendre cristalline le chant d’Inguna Cernovas – Lediņš n’ayant pas la réputation d’être très bon musicien, le NSRD doit beaucoup à cette chanteuse et flûtiste. La petite troupe organise des enregistrements collectifs filmés, qui s’accompagnent de marches, de rituels et de mises en scènes, durant lesquelles quiconque sait produire des mélodies basiques est invité à participer. L’enregistrement du « Cours de danse binoculaire du Docteur Eneser » voit ainsi une foule hétéroclite apprendre à danser avec les yeux, dans une ambiance à la fois neigeuse et tropicale.

Après la réédition par Stroom en 2017 d’une compilation du NSRD, le label français Musiques Électroniques Actuelles met au jour une œuvre personnelle de Lediņš : Tiny Crabs Of Deep Waters, sorti en 1999, soit neuf ans après la fin du collectif et cinq ans avant sa mort. Le charme des titres demeure mais la tonalité a sensiblement évolué.

Ce qui marque d’abord, c’est l’espace. Toute cette place et ces silences, entre deux épaisseurs de percussions, l’une constante et rachitique, l’autre éparse et paresseuse, naissent d’un nombre restreint d’éléments. Un son unique vient faire vriller l’atmosphère, une fois toutes les 20 secondes. Tout se meut avec lenteur, à la manière d’une procession impondérable, suspendue au dessus du sol. Le nombre réduit de composants n’empêche pas leur diversité. Les pistes entrecroisent des cordes aigrelettes, des boucles de chant d’opéra, une scansion de batterie en fin de course ou un lacis de synthés cosmiques. Les nappes entre chien et loup créent un climat, plus sombre que chez le NSRD, qui oscille entre opacité inquiète et fatalisme sublimé. Les différents éléments sonores semblent entretenir un dialogue abstrait sur les enseignements de la vie. Malgré la liberté des instruments qui semblent obéir à leurs propres lois, la fibre mélodique ne disparaît jamais. On ne sait juste pas exactement où elle se loge.

Honnêtement, je peine à qualifier l’esthétique de Hardijs Lediņš. Il y a des atours du jazz, dans le côté free des cuivres et du piano. Elle convoque aussi le folk, l’ambient et la musique minimaliste. Et puis il y a également cette facture digitale très marquée, ce son à l’époque presque high-tech. Mais l’objet se dérobe tellement que très vite l’exercice de classification paraît vain. A la fois vivante et mécanique, luxuriante et dépouillée, la musique de Tiny Crabs Of Deep Waters semble nourrie de l’inventivité fantasque et du goût du détail du NSRD. Mais depuis, elle s’est parée d’une sagesse triste, d’une langueur biliaire qui humanise les micro-organismes machiniques qui se répètent à l’infini en son sein. Si l’Atelier de Restauration des Sentiments Inexplorés mérite notre redécouverte, il en va donc de même pour l’œuvre individuelle du Letton qui, quelques années plus tard, serait enterré au son de la musique d’Arvö Part.

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