Castelhemis : banlieue tropicale et terroirs d’aventure

Castelhemis N’importe quelle sorte d’amour
RCA, 1982
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Musique Journal reçoit aujourd’hui la visite de Rod Glacial, fin connaisseur de variété underground française, qui va nous parler d’un chanteur landais amoureux des voyages, mobiles ou non.

Qu’est-ce qu’il fait, qu’est-ce qu’il a, qui c’est celui-là ? Avec sa tronche évoquant Pierre Vassiliu, celui qu’on appelait Castelhemis a traversé le paysage musical français 70/80 comme une anomalie. Né à Paris mais chez lui en province, Philippe Laboudigue de son vrai nom a commencé sa non-carrière en tant que troubadour dans des spectacles médiévaux. Aux yeux de ce déraciné de nature, aucun chanteur hexagonal ne trouvera grâce, à l’exception peut-être de François Béranger. Le premier disque solo de Castelhemis sortira tardivement, en 1978, alors qu’il a déjà 30 ans. « Tchik y Tchik (la Favella de Levallois) » est édité sur le label Cobra, maison prog-expérimentale bien connue des universitaires de la Phrench Touch. Il a tout du contre-hit : avec sa flûte filoute, son refrain rigolo, son rythme enivrant, la rupture folklorique y semble consommée. Dans la foulée de ce single sortiront deux albums enregistrés aux studios Milan de Gérard Manset sur des arrangements signés Paul Slade, chanteur folk anglais au parcours sinueux : Armes inégales en 1979 et Mots croisés en 1980.

Il faut attendre 1982 et son troisième album, N’importe quelle sorte d’amour, pour voir “Castel” accéder à un niveau supérieur. A la manière d’Yves Simon, qui à l’orée des eighties va adapter ses sonorités – soit abandonner la guitare pour les machines – pour coller à l’époque sans pour autant se corrompre, il quitte Cézame pour RCA et s’attribue les services de Jean-Yves d’Angelo (arrangeur funky et futur acolyte de Manu Katché dans le groupe Préface). Le premier morceau « Le banlieusard tropical » attaque d’entrée avec un folk brésilien qui reprend la recette de « La Favella de Levallois » : c’est une ode au voyage immobile. Le vilain (ce paysan libre du Moyen-Âge) souffle le chaud et le froid sur l’auditeur en alternant syllabes haut-perchées et fin de phrases mangées à la loubarde. La voix de Castelhemis, claire et râpeuse à la fois, à l’accent toujours palpable, donne tout sur le morceau donnant son titre à l’album. Le décalage entre la mélodie sirupeuse et le chant désespéré le font courir dans un couloir parallèle à la variété. Car la sensibilité du Landais n’est pas feinte ni exagérée, c’est celle d’un gars du terroir. Pas étonnant si ce titre est plus proche de Balavoine, autre grand prolo de la chanson française. Pas d’épanchement ou de longues phrases métaphoriques donc, pour Castel « n’importe quelle sorte d’amour fera l’affaire ». La pochette arc-en-ciel suggèrerait-t-elle d’ailleurs la découverte d’une sexualité “alternative” chez le Landais ? On ne sait pas bien.

Si N’importe quelle sorte d’amour montre un peu plus d’ambition commerciale que ses prédécesseurs, les médias ne sauront toujours pas où mettre Castelhemis. « Tout le monde danse », un titre French boogie, ne fera rien pour dissiper la confusion.  À l’époque, Castel, qui a toujours vécu de 36 petits boulots, était « disquaire » en boîte de nuit. L’histoire ne nous dit pas s’il exerçait Chez Castel ni s’il a rencontré la troupe de Martin Circus, mais en tous cas le morceau groovy et cuivré n’a pas du tout à rougir de ses concurrents de 1982. Les couplets libertins susurrés continuent de nous interroger sur le lifestyle du troubadour et l’intermède burlesque qui suit, « Madame Henri », une balade au piano cabaret racontant la double-vie d’un travesti, ne va pas davantage éclairer nos lanternes. Une lettre d’amour qui témoigne que Castelhemis posait déjà la question du genre en 82 – « si la femme est maître de la Terre, pensez aux travestis… ». Tel un caméléon, là où on ne l’attend pas, à l’aise dans tous les styles, le jukebox reprend sans traîner sur un rock diabolique, « La Banane en panne », satire du monde poussiéreux du rockabilly et complainte du rocker qui devient chauve. Une nouvelle occasion de proposer une formule qui fait fi des mots « mélodrame » ou « ironie ».

« Coco » est sans doute le morceau le plus célèbre de Castelhemis. C’est celui que mon grand-père écoutait dans la Passat lors des promenades du dimanche. Trois cassettes trônaient alors dans la boîte à gants (je vous épargne Chants de Marins vol.3et Fest Deiz Accordéons : le premier album de Dire Straits, le best of des Pogues et donc N’importe quelle sorte d’amour. Il n’est pas nécessaire de rappeler que je détestais ce « Coco qui jouait, qui chantait, qui nous prenait et nous emmenait » sur les routes du Morbihan, avec son air de samba en solde, plus proche des Gypsy Kings que de Chico Buarque. Pourtant, 25 ans plus tard, Coco me laisse un petit goût de madeleine au beurre. L’imperfection du tube saute encore plus aux oreilles aujourd’hui, rien n’est vraiment calé, c’est mal mixé, la voix de Castelhemis traîne partout, il rajoute des mots au pif… Et puisqu’on parlait de Dire Straits, la septième piste du disque, « Sunset Boulevard », vient ni plus ni moins taquiner Marc Knopfler sur ce soft-rock de voiture qui conte la chute d’une starlette jusqu’au virage-suicide. Cet éternel décalage rythmiques/lyrics débouche même sur un blues, « J’ai pas envie », le moment plus crispant de l’album, sur lequel Castel a le saxo qui le démange jusqu’au dérapage.

Le Castelhemis qu’on préfère resplendit une avant-dernière fois sur « Les Centrales », un morceau minimal-wave écolo et aliénant sur le nucléaire, armé de son refrain catastrophiste : « Puisqu’on te l’dit, puisqu’on te l’dit, puisqu’on te l’dit… ». Son timbre et ses intonations changent une nouvelle fois sur un tempo rapide, quatre ans avant Tchernobyl. L’album se termine par un sticker de pare-brise, « 40 Landes », une déclaration d’amour acoustique à un pays que personne ne chante assez à son goût. À la manière de Glenmor pour la Bretagne ou Joan Pau Verdier pour l’Occitanie, sans doute ses modèles, Castel crie pour les Landes, en patois local. Le type ne triche pas. Avec le recul, on se demande comment il fut possible de marketer cet album tant il passe du coq à l’âne, voire du pop à l’âme – d’ailleurs personne chez RCA ne semble avoir cherché à le faire, ce qui devait très certainement faire ricaner Castelhemis derrière sa moustache.

Il ne rira malheureusement pas très longtemps. Après un infarctus en 83, Castelhemis sortira trois albums, Coucou en 1984, Imagine un p’tit bar en 1986 et Castelhemis 88, publié comme son nom l’indique en 1988 – période où l’auteur n’en a clairement plus rien à foutre (la piste 10 s’appelle « Piste 10 »). Il y chante sans conviction la « Fin des haricots » en déplorant le culte de la gagne et la connerie sans limites de la décennie. Castelhemis arrête logiquement la chanson et la scène après ce sixième disque, le seul présent sur les plateformes de streaming. À noter qu’aucun de ses albums n’a été réédité depuis les années 80 : seule existe une compilation plutôt triste de 18 titres, publiée en 2002 par le label Griffe. À cette époque, Laboudigue gérait un restaurant “hispano-provençal” à Saint-Martin aux Antilles, après avoir tenu une crêperie à Vannes, dans le Morbihan, où il retournera en 2004 pour monter une autre affaire à Sarzeau, laquelle périclitera deux ans plus tard. Contrairement à Francky Vincent, il n’écrira pas de chanson sur ses déboires gastronomiques et repartira en famille à Saint-Martin en 2007. Il mourra hélas en 2013, dans l’anonymat le plus total. Seul Le Télégramme lui rendra un hommage de plus d’un feuillet (1800 signes pour être exact). A la fin du dossier de presse rédigé en 1978 par Cézame pour la sortie de son premier album, on lisait la phrase suivante : « Castelhemis espère que ce disque saura dire qui il est… alors écoutez-le… » Mais en réalité Castelhemis n’a jamais vraiment su dire qui il était, et c’est bien pour ça qu’il faut l’écouter.

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