Galeristes divorcés, ce disque est pour vous

Coloma Love’s Recurring Dream
Italic, 2009
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Musique Journal -   Galeristes divorcés, ce disque est pour vous
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C’est un disque dont on comprend aisément qu’il soit passé inaperçu, on se demande même s’il n’a pas été conçu exprès pour ne pas qu’on le remarque. On y entend des chansons d’une tiédeur qui laisse d’abord perplexe, menées par un chanteur un peu Broadway, qui se sait doué mais qui semble plus interpréter un rôle qu’un sentiment. On le dirait davantage versé dans l’acting que dans le singing, ce qui rend donc la musique plus « accompagnante » qu’autre chose. Celle-ci n’a jamais l’air de vouloir prendre trop de place et résonne de prime abord de couleurs standard, c’est comme si un accessoiriste était venu poser des presets sur scène, dans le dos des musiciens, là où les projecteurs ne passent pas beaucoup.

Cette fadeur, cet ennui étudié, Coloma les cultivait déjà dans ses trois premiers disques sortis dans les années 2000. Mais avec Love’s Recurring Dream, ce duo anglais – Rob Taylor au chant et Alex Paulnick à la production – installé à Cologne a changé de registre : jadis électronique et très marqué par le romantisme micro-house de l’époque – je pense à des labels comme le leur, Italic, mais aussi leur précédent, Ware, ou encore Aerial, ou à des artistes comme M.R.I. ou MIA (pas l’Anglo-Sri-Lankaise, une autre), leur travail s’est réorienté vers un son qui se voulait live, jouant un répertoire moins contemporain et, dans un sens, plus passe-partout. Cette incertitude esthétique de façade est ce qui fait l’âme de cet album qu’on peut trouver sans âme aux premières écoutes ; il fait penser à plusieurs grands modèles dont j’ai déjà parlé ici, tels que I Trawl The Mega Hertz de Prefab Sprout ou que les Écossais de Blue Nile, ainsi qu’à quelques autres Britanniques que j’aime tout autant, comme ABC ou Scritti Politti.

Est-ce qu’on écoute un ouvrage façonné avec simplicité et sincérité, qui parce qu’il travaille avant tout l’émotion et le texte relègue au second plan la personnalité sonore, ou s’agit-il de l’œuvre de deux pervers amateurs de détours et de trompe-l’œil (est-ce que ça existe, un trompe-l’oreille ?). Je n’ai pas de réponse et je sais juste que beaucoup plus que ses prédécesseurs portés par un style mieux défini, mieux identifié, Love’s Recurring Dream et ses ambiances entre musique au mètre, showtunes updatées et pop pour galeristes divorcés, réussit à ne pas s’user depuis que je l’ai découvert il y a quelques années.  Sa force principale, c’est le temps qu’il prend pour dessiner ses contours : ses compositions peuvent vraiment sonner toutes pareilles les deux ou trois premières fois qu’on les joue, ou du moins c’est ce que ça m’a fait, moi qui ne suis peut-être pas habitué à ces musiques où la voix est mise aussi en avant, et où la recherche d’un accent sonore n’est pas la priorité. C’est la beauté de l’éthique adult contemporary : on n’envoie pas tout d’un coup, au contraire, on laisse l’auditeur se rendre compte de la justesse de l’écriture et des arrangements. On diffuse un parfum d’intérieur, fragrance consensus, avec agents anti-aspérités, mais c’est un leurre. Une fois passé cet écran de fumée, on distingue mieux ce qui se passe : beaucoup d’amplitude malgré le minimalisme et l’apparent manque de profondeur, des paroles qui peuvent sonner mal mais qui restent en tête, une confiance en la voix, et même en les voix sur quelques titres enregistrés avec des chœurs féminins limite déstabilisants quand on les entend arriver.

Il y a certes encore quelques échos du passé « électro » du tandem, notamment sur l’espèce de dub à col roulé de « Tired of Summer » – Tim Finney, l’un de mes auteurs préférés sur la musique, et par ailleurs un garçon génial que j’ai eu la chance de rencontrer quand il est venu visiter l’Europe depuis son Australie natale, parle au sujet de ce morceau de « rencontre entre Basic Channel et Bark Psychosis », tout en insistant bien sur l’absence totale de technophilie et de futurologie qui caractérise l’ensemble. Alex Paulnick a par ailleurs joué avec ce groupe germanique entre IDM et post-rock, dans mon souvenir plutôt charmant bien que sage : Kreidler. Mais c’est un disque qui, comme le dit en effet Tim, évacue toute idée de modernité synthétique : les traitements digitaux n’y sont pas plus edgy que le choix des instruments ou que les lignes de chant de Taylor. Pour tout vous dire, j’ai parfois l’impression d’écouter un truc de chanson française un peu chic, ça pourrait presque être du Bashung, du Christophe ou des trucs beaucoup moins connus qui doivent hanter les médiathèques et les caves des radios du réseau Iastar : les sons ne sont jamais là pour ce qu’ils sont, ni même pour être cool, et ne font que servir avec minutie la direction prise par les deux Anglais. Et à force d’être cliché, Rob finit par ne plus l’être et à sonner comme Marc Almond, tandis que les constructions sonores presque par défaut de son acolyte se mettent à vibrer à bas bruit dans les oreilles et la mémoire. C’est le genre d’album qui sonne hors du temps mais pas intemporel : il préfère ne pas être pris trop au sérieux plutôt que d’être situé sur une quelconque échelle de grandeur ou de génie, mais réussit néanmoins à se dégager son endroit à lui, son petit lopin de cœur avec une résonance pas ouf mais qui, malgré tout, lui appartient à lui seul dans sa façon d’être banale et déjà vue.

D’une certaine façon, Love’s Recurring Dream a la vertu des losers, ou plutôt la vertu de ceux qui ne veulent pas être les meilleurs, les plus musclés, qui ne cherchent surtout pas à apparaître les premiers, tout devant. Taylor et Paulnick excellent tout simplement à être secondaires sinon circulaires dans leur façon de s’adresser à nous. Ils réaménagent l’espace du sensible comme on réaménage son alimentation quand on devient vegan ou qu’on suit un régime ayurvédique : le centre de l’action n’est plus le même, l’ordre de passage peut être bouleversé, ce qui fascinait jadis disparaît au profit de ce qu’on croyait être un « side », et qui combinés à d’autres sides devient le cœur de ce qu’on perçoit et de ce qu’on aime chaque jour savourer. On n’écoute pas ce LP (le dernier du duo, d’ailleurs) pour éprouver des sensations fortes et se lâcher sur une mélodie ou une montée. On l’écoute presque comme on prend de l’homéopathie (oui je sais il paraît qu’on a définitivement prouvé que ça marchait pas, mais bon, c’est pour l’image), ou peut-être même comme une mithridatisation positive : on n’en éprouve pas tout de suite les bienfaits, on dirait qu’il ne se passe rien, et puis au bout d’un moment, on adore ces morceaux et ces climats. Mais ça ne signifie pas pour autant qu’on y devient accro, et c’est bien là ce qui est sain : on peut cesser de l’écouter sans jamais y revenir, ce ne sera pas si grave. Il aura fait du bien, et on l’aura aimé pour ça. Et quand on se remettra à des choses plus « carnées » – et ça je vais vous en servir cette semaine, sachez-le –, on se rappellera ces moments tout en ouate, stuc et radis noir bouilli, et on saura qu’ils nous manquent.

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