Alcheringa, eldorado poétique et magnifique chaos musical [archives journal]

Écouter
Musique Journal -   Alcheringa, eldorado poétique et magnifique chaos musical [archives journal]
Chargement…
S’abonner
S’abonner

Le champ lexical de la révélation, de l’exploration et du trésor excavé irrigue abondamment notre prose, à nous autres, gazetiers musicaux ; chaque semaine nous « mettons à jour », « dévoilons » et « redécouvrons » trouvailles et merveilles, devant lesquels nous nous extasions avec plus ou moins de force. C’est parfois un peu baroque, mais sans jamais être du chiqué, je crois – je parle pour ma team, là. Il faut quand même vous épater un peu, lecteurs insatiables ! Et pour ça, il faut vous enchanter, vous saisir.

Hier donc, j’ai découvert un trésor, encore un ; cependant, celui-ci diffère un peu des autres, non tant par sa rareté – même s’il y a un peu de ça – que par sa beauté, sa provenance et sa cohérence. C’est une nouvelle fois via une chaîne youtube – celestialrailroad, je ne sais qui vous êtes, mais vous cartonnez tout, merci – que cette affaire s’engage. Alors en pleine flânerie numérique parmi un amas d’album de musiques expérimentales, bruitistes et électroacoustiques, je me dirige, intrigué, vers la miniature d’une vidéo au nom alléchant : « Rev. W.T. Goodwin / Jackson Mac Low – Alcheringa Ethnopoetics No 4 (1972) ». En tant qu’ethnomusicologue, autant vous dire que le terme d’ethnopoétique fait presque directement surgir dans mon esprit la figure de Steven Feld, chercheur passionnant dont je vous avais parlé il y quelques mois. Évidemment, l’écoute de ces deux pistes – le sermon d’un pasteur et la performance d’un poète – a fait péter les scores de ma curiosité ; encore une fois, une quête impromptue s’engage.

En farfouillant un peu, j’apprends qu’Alcheringa (le « temps du rêve » en aborigène) était une revue d’ethnopoétique américaine éditée par les universitaires Dennis Tedlock et Jerome Rothenberg, et publiée par l’Université de Boston entre 1970 et 1980. Son but premier était de publier, traduire – ou de simplement mettre par écrit, pour les traditions orales – de la poésie venue d’un peu partout sur la planète, de réfléchir aux modalités et à la possibilité d’une telle translation, mais aussi d’élargir la compréhension de ce que la poésie peut être. Cela a ainsi donné lieu à des juxtapositions intéressantes d’enregistrements in situ, de performances, de collectages de mythes et de contes. Il s’avère que neuf des treize publications ont été accompagnées de flexidiscs comprenant chacun deux enregistrements et évidemment on ne trouve aucune trace de ceux-ci dans les médias traditionnels. En investiguant de plus belle, je me suis retrouvé sur un obscur site dédié à la poésie et à la poétique moderne, Jacket2, qui a fait l’effort de numériser et diffuser ces matériaux.

Avec la totalité de ces enregistrements, un monde s’ouvre : il y a de tout, et tout est incroyable. De la voix, encore de la voix et surtout de la voix, dans ses expressions les plus diverses, parfois vraiment étonnantes : des prêches, un conte soudanais, des traductions-chantés navajos, de la poésie ricaine seventies engagée, du chamanisme japonais et plein d’autres trucs. La musicalité s’y loge parfois où l’on ne l’attend pas, et les discours, conversations et déclamations se transforment progressivement en d’étranges mélodies – je pense entre autres au phrasé de Son House qui raconte son histoire façon conte de la crypte du Mississippi. C’est d’ailleurs là une des nombreuses qualités de cette petite collection d’enregistrements : ils mettent en évidence le caractère non seulement poétique mais aussi musical de productions linguistiques et sonores parfois simples, parfois complexes, trouvent dans le parlé du chanté, et du beau partout.

Plutôt que de tout vous commenter en large et en travers, j’ai fait le choix de tout vous livrer au sein d’une mixtape-fleuve, déroulant ce catalogue précieux dans son ordre de parution. Le tout dure 1 heure et 47 minutes, ça croustille, c’est pénétrant et fascinant, et j’espère que ça nous excusera un peu pour cette semaine en dent de scie niveau publication !

Volume One, Issue Two, 1971

Jerome Rothenberg, The Tenth Horse-Song of Frank Mitchell (Blue) : A Total Translation from Navajo (1969, 1971)

Jerome Rothenberg, The Thirteenth Horse-Song of Frank Mitchell (White): A Total Translation from Navajo (1969, 1971)

Volume One, Issue Four, 1972

Reverend W.T. Goodwin, from Easter Sunrise Sermon, 1971, John’s Island, S.C., recorded by Peter Gold and Henrietta Yurchenco

Jackson Mac Low, from Stanzas for Iris Lezak, simultaneous performance by David Antin, Spencer Holst, Iris Lezak, Jackson Mac Low, Mordecai Mark Mac Low, Jerome Rothenberg, and Emmett Williams, recorded May 20, 1966 for WRVR, N.Y.

Volume One, Issue Five, 1973

Andrew Peynetsa, « Once Long Ago, » a performance in the Zuni language, recorded June 17, 1972

Armand Schwerner, Tablets XVII and XII, from « The Tablets » (1971, 1973)

New Series, Volume One, Issue One, 1975

Jaime de Angulo, The Story of the Gilak Monster and his Sister the Ceremonial Drum, Reproduced by permission of the Pacifica Foundation, Los Angeles (2 parties)

New Series, Volume One, Issue Two, 1975

Anne Waldman, « Fast-Speaking Woman », recorded at New Wilderness Event #20, Washington Square Church, New York City, May 19, 1975 (2 parties)

New Series, Volume Two, Issue One, 1976

Son House, Conversion Experience Narrative, recorded by Jeff Titon

Songs of Ritual License from Midwestern Nigeria, Vocalists: Awawo, wife of John; Ogiepo, son of Aimiebo; Asegieme, son of Obemata, recorded by Jean Borgatti

New Series, Volume Three, Issue One, 1977

Hotoke-Oroshi (manifesting spirits of the dead), Jizõ Festival, 1953, recording copyright 1976 N.H.K. (Japan), reproduced with permission

Alonzo Gonzales Mó, from The Deer Secret, June 16, 1972, recorded by Allan Burns

New Series, Volume Three, Issue Two, 1977

Reverend Sherfey, « I’m Here and I Don’t Know Why I’m Here » and two excerpts from « Dressed in the Armor of God, » recorded in Falls Church, Virginia, July 9, 1976, and Stanley, Virginia, Summer 1977

« Debaghaale Arr Dilley aragten, » a Somali folktale told by Zahra Abdi Kareem to Abdi Sheik-Abdi, recorded in Albany, New York, June 6, 1977

New Series, Volume Four, Issue One, 1978

Oratory in Three Languages, recorded by Dennis Tedlock and Barbara Tedlock (1965-1976)

Three Testimonies, recorded by Jeff Titon and Ken George (1977)

1986 : Étienne et le schisme pop favori

Comme remède aux bombances déraisonnées de cette année presque achevée, notre cher Nicolas Golgoroth propose une liqueur au bon goût d’évidence : Pop Satori, troisième album d‘Étienne Daho et sommet de sophistication marquant une césure dans la discographie du Rennais.

Musique Journal - 1986 : Étienne et le schisme pop favori
Musique Journal - Vague à l’âme et rusticité : son nom est Duffy Power

Vague à l’âme et rusticité : son nom est Duffy Power

Aujourd’hui c’est la journée du blues anglais pour ceux qui comme moi n’y connaissent rien.

La pop vaincra toujours l’art contemporain : le jour où le sound artist Paul DeMarinis a fait un tube

Un morceau vocal imparable qui fait revenir aux balbutiements du langage, suivi d’une démonstration de prononciation anglaise sur la chaîne YouTube du dictionnaire Collins : Musique Journal vous propose aujourd’hui un bon petit programme de khâgneux assorti d’un exercice de dissolution de l’ego.

Musique Journal - La pop vaincra toujours l’art contemporain : le jour où le sound artist Paul DeMarinis a fait un tube
×
Il vous reste article(s) gratuit(s). Abonnez-vous pour continuer à nous lire et nous soutenir.