Aujourd’hui dans Musique Journal nous laissons la parole à Monplaisir, auteur et musicien qui s’occupe de deux chaînes YouTube consacrées à la free music et qui sort des albums sur son Bandcamp. Il nous présente un disque de Wizard Apprentice, une Californienne représentante du style computer folk, une musique qui cultive l’amateurisme comme une force d’émancipation.
Dès la première minute, son invisibilité prend tout l’espace. Cette confiance, prise dans la liberté de ne pas avoir peur d’échouer, donnent à sa parole et sa voix une franchise évidente. Une sincérité mise en valeur par l’absence de musique, par cette voix dénuée d’effet, littérale, fausse dans un cadre tempéré mais cruellement juste.
Wizard Apprentice, artiste basée à Oakland en Californie, n’en est pas à son coup d’essai avec I Am Invisible sorti chez Ratskin Records le 13 octobre 2018. Cet album comme ses autres disques la voient explorer un genre émergé depuis peu et qu’on entend également dans les sorties du label Practical Records avec lequel elle a aussi travaillé : la computer folk, une musique minimaliste créée avec des applications de composition simples. Instruments virtuels de basse qualité, textures sonores numériques cheap, mixées dans Garage Band ou autres outils considérés comme non professionnels : la computer folk est à la fois lo-fi et low-tech. Wizard Apprentice revendique le fait de ne pas être une tête en technologie mais elle est définitivement curieuse des arts visuels et sonores. Sur sa chaîne Youtube U.R.L.G.U.R.L., on peut retrouver des quasi-performances live où elle chante ses chansons devant un fond vert, choisissant méthodiquement des patterns visuels hypnotiques qui rentrent en résonance avec la basse résolution des morceaux diffusés. Dans une autonomie totale, elle brise les murs que l’industrie impose par principe dans la démarche de production. Pas de Logic Pro, ni de Pro Tools, pas de mastering dans un grand studio, pas d’équipe de tournage pour des clips expérimentaux.
Mais revenons à l’album. Ce qui se passe à partir de la cinquantième seconde de la première chanson est peut-être l’une des choses les plus justes jamais dites à propos de l’art et de l’amateurisme comme discours chanté et métadiscours. Dans le flux créatif constant des internets, l’amatrice est invisible. Et dans cette invisibilité, l’effort de perfection, la justesse, la crainte de la honte, tout ceci s’évanouit car la gloire, la reconnaissance par la popularité et l’argent ne sont pas liés à l’acte créatif lui-même mais à la communication, au réseau et à la chance. Se libérer des insupportables attentes de l’industrie est un acte créatif politique et ouvre un champ des possibles encore très peu étudié.
Il n’y a pas de peur d’échouer quand il n’y a rien à gagner. Et dans l’acte musical, on ne gagne pas et on ne perd pas. Comme a pu le dire récemment Adam Neely, à part une honte ou une gêne temporaire, il n’y a aucune réelle conséquence à se louper musicalement, il n’y a pas de morts ni de blessés dans le public à louper une note, un accord, une chanson. Ce n’est pas grave, rien n’est grave musicalement. On ne gagne pas, on ne perd pas, on ne fait qu’exister dans la situation musicale. Être libéré·e de la pression de se sentir spécial·e, d’être médiocre, c’est peut-être bien la solution pour briser les stagnations musicales, jouer avec et se jouer de la musique, pour aller au-delà du besoin de reconnaissance et de gloire de l’industrie, pour rompre les modes et accepter l’acte musical pour ce qu’il est et non ce qu’il vaut.
Au delà, cet album me fait pleurer, toujours, dans toutes ses dimensions. Chaque écoute me lance doucement, fait vibrer en moi des cordes sensibles encore vierges. Et si la version sur le Bandcamp de Ratskin Records, ainsi que la version mp3 de l’album, rendent honneur à sa puissance d’envoûtement, les haut-parleurs fatigués d’un combo lecteur CD/cassette offrent une drôle de chaleur à la voix et autres instruments virtuels de l’artiste.
Le 10 mai 2019 est sorti Dig A Pit, le dernier album de Wizard Apprentice, disponible en vinyle, cassette et digital. Témoignage autobiographique d’une relation abusive, résolument computer folk dans son esthétique, puissant dans son discours et ses choix de mots, le résultat montre encore la pertinence du choix de la décélération technologique au profit de l’accessibilité et de la spontanéité.
2 commentaires
Bon c’est super WA. Elle a un truc de mélodiste… Sinon l’article ressuscite les scies mythologiques du lowtech, amateur, en apologie du bricolage indé, solo, forcément pur et hors de tout formatage et autre stratégie malveillante de l’industrie commerciale. On n’est pas dans Gonzai quand même, que diable.
je ne vous connais pas mais sachez que vous êtes un beau salaud de tenir de tels propos !